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Etienne Klein

"Comme en science, la marche d’approche peut être longue et pénible"

©Coll. Etienne Klein

Mobiles #5
C’est une question qu’on nous pose souvent. Et que l’on se pose parfois. « Pourquoi je vais en montagne ? » Il y a du social et de l’intime dans ce point d’interrogation.
Certains disent qu’ils ont la réponse, certains qu’ils ne s’interrogent pas, d’autres qu’ils cherchent encore le mobile, ce drôle de mot qui dit la raison, l’impulsion autant que le mouvement.

Mobile :
1. Adjectif. Qui peut se mouvoir.
2. Nom. Motif qui pousse à agir.

Etienne Klein
Physicien et docteur en philosophie des sciences, il dirige le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière du CEA (LARSIM).
 Il anime tous les samedis à 16h « La Conversation scientifique » sur France-Culture

 

« Notre corps est fait pour absorber par ses possibilités photovoltaïques toutes les possibilités errantes de l’infini du vide », écrit Antonin Artaud dans Le Théâtre de la cruauté. Avec ses sinuosités évocatrices, cette phrase pourrait servir de devise au très modeste alpiniste que je suis. Outre les spectacles élévateurs qu’elle offre à la vue et à la réflexion, la montagne me révèle ce que peut mon corps, qui dépasse parfois ce qu’a priori je croyais qu’il pouvait :  la fatigue que sa fréquentation engendre n’est bien souvent qu’un surplus d’énergie momentanément déguisé en son contraire.
La montagne a aussi et surtout pour vertu d’être « le terrain de l’amitié », pour reprendre les mots de Gaston Rébuffat : elle offre l’occasion indéfiniment renouvelable d’aller faire le fou dans des histoire fraternelles.
Enfin, l’ascension d’une montagne a ceci de commun avec l’exercice de la pensée scientifique que je tente de pratiquer qu’elle permet des changements de points de vue, le surgissement de nouvelles perspectives : une fois atteint le sommet, on embrasse le détail et l’ensemble. La similitude se prolonge jusqu’à la façon même de progresser : en montagne comme en science, la marche d’approche peut être longue et pénible, comporter maints tournants et raidillons ; on croit être arrivé, mais non, une dernière difficulté surgit, qu’il faut surmonter ; on sue à grosses gouttes, on peine, on tachycarde, on désespère, jusqu’à ce qu’on arrive au col ou sur l’arête sommitale. La récompense, je le sais, est alors sans égale.

Sur l’Arête du Doigt à la Pointe Percée (Aravis).
Parce qu’il y a cette roche calcaire qui coupe les doigts habitués au granite chamoniard.
Parce qu’il y a le mouvement.

 ©Denis Poussin