©Alain Duclos
Mobiles #9
C’est une question qu’on nous pose souvent. Et que l’on se pose parfois. « Pourquoi je vais en montagne ? » Il y a du social et de l’intime dans ce point d’interrogation.
Certains disent qu’ils ont la réponse, certains qu’ils ne s’interrogent pas, d’autres qu’ils cherchent encore le mobile, ce drôle de mot qui dit la raison, l’impulsion autant que le mouvement.
Mobile :
1. Adjectif. Qui peut se mouvoir.
2. Nom. Motif qui pousse à agir.
Paul Bonhomme
guide de haute-montagne & skieur de pente raide
La montagne m’a sauvé la vie.
J’ai vécu pas mal de choses de mon côté, pas plus que d’autres certainement, mais pas forcément moins. Je ne suis pas venu en montagne facilement. Cela a été lent, long, douloureux parfois. Je veux dire, quand t’y a perdu ton frère et ton meilleur pote, quand t’as plus rien à bouffer qu’un bol de riz, du vin blanc, des clopes et dix balles pour l’essence de la semaine … quand ta femme s’est barrée avec quelqu’un d’autre, que t’as un procès avec ta baraque et que ce qui te fait tenir debout c’est ce que tu vas faire demain, là-haut, ça ressemble à une bouée non ? En tout cas ça l’a été pour moi. A un moment donné, je n’avais plus que ça.
Ce n’est pas que je veuille me plaindre, au contraire. Je pense depuis longtemps que la montagne peut devenir une base, au-delà de ma pomme, pour aider la société, aider les autres. Je suis convaincu, et cela ressemble à un combat, que la montagne est une école de vie extraordinaire. Oui, plus qu’une expérience, une école. La montagne t’apprend à comprendre ce qui est important : en toi … et avec les autres. Pour moi, la montagne est profondément culturelle, philosophique, psychologique. Le sport en est un prétexte, le sport, c’est la partie « défouloir ». En réalité, la montagne n’est rien, elle n’a aucune importance, les sommets se ressemblent, les difficultés, une fois qu’on les connait, se ressemblent, c’est toujours forêt/rochers/glaciers, plus ou moins mixées en fonction du shaker. Alors pourquoi je continue à y aller ?
Peut-être simplement parce que lorsque j’en redescends, je m’estime meilleur, meilleur aux autres, meilleur avec moi-même. Quoiqu’il s’y soit passé, que j’ai réussi ou que j’ai échoué. Le contact radical à la nature m’aide à améliorer mon contact avec la vie. Oui peut-être est-ce pour cela, simplement.
Tout près du sommet du Cho-Oyu (8 188m) le 20 septembre 2005 avec Jean Noël Urban (sur la photo) et Nicolas Brun (qui prend la photo). Le jour de mes 30 ans. J’y étais allé avec « ma bite et mon couteau » (dixit Jeanno), j’avais sur le dos la doudoune de mon père (acheté aux US dans les années 60) et le sac à dos de mon frangin (décédé au G6). Je n’avais jamais dépassé l’altitude du Mont Blanc. Trois ans plus tard, Jeanno décédait au G2 … Mon frère m’avait fait aimé la montagne, Jeanno m’avait aidé à passer mon diplôme de Guide. Nicolas Brun est toujours là, tout proche de moi et de mes rêves.
©Nicolas Brun