La Chine est un lieu d’une richesse inépuisable pour le voyageur contemporain. Les montagnes du Xin Jiang cachent des artisans du ski d’un autre âge. À moins qu’ils ne soient les plus modernes d’entre nous, à fabriquer eux-même l’objet de leur glisse, pour le travail mais aussi pour le plaisir.
Cela fait un peu plus d’une heure que l’on attend Arghen notre ami Chinois qui doit venir skier avec nous… Bon, on y va, il nous rattrapera et puis il fait trop froid pour attendre plus ! Je me demande bien quels vieux skis il va nous sortir, sans doute des planches des années 70 laissées là par quelques aventuriers au bon coeur ! Il nous a assuré ne pas avoir besoin de matériel, mais bon pas facile de se faire comprendre… Première descente, quand soudain une silhouette approche. Un seul grand bâton et un Arghen qui dévale tout sourire. Etonnement général, une paire de ski qui aurait pu sortir de la malle à accessoire du dernier Âge de Glace. Ma curiosité est piquée au vif : j’avais bien lu et entendu des histoires à propos de ces gravures datant de plusieurs milliers d’année retrouvées dans les montagnes de l’Altaï chinois. Mais justement c’était il y a plusieurs milliers d’années, entre 4 000 et 10 000 ans selon que les experts norvégiens ou chinois… Bref un bail.
Arghen nous assure que c’est ce qui se fait de mieux et pour preuve il nous invite à rejoindre le petit village de Jia Deng Yu à deux petites heures de ski où officie l’un des fabricants de la région. Deux heures durant lesquelles je comprends rapidement que pour se déplacer par ici en hiver, il a vite été impératif d’inventer un moyen pour ne pas s’enfoncer dans le mètre de poudreuse qui recouvre tout.
Commence alors un voyage temporel dans l’art de transformer un banal tronc d’épicéa en deux planches qui allaient sauver de la misère bon nombre de villages alpins et faire grimper en flèche mes actions à la Compagnie des Alpes ! Ces gestes ancestraux transmis de génération en génération n’ont que très peu changé. Seules concessions à la modernité : une tronçonneuse et un rabot à main.
Après avoir choisi un tronc d’épicéa parfaitement droit la première étape consiste à le couper en son milieu. Puis la forme globale (le shape donc) se fait à l’aide d’une hache et d’un rabot. Hallucinant de précision et d’efficacité le tronc se transforme en deux planches parfaitement symétriques. Vient alors la délicate étape où l’on va donner la courbure à la spatule (le tip quoi…). Direction le poêle à bois où boue une grosse marmite d’eau. En versant l’eau bouillante sur la spatule, le bois s’assouplit suffisamment pour pouvoir l’insérer dans une sorte d’étaux dans lequel il séchera jusqu’à obtention de la forme définitive. Le système de peau anti-recul est fabriqué à partir de la peau d’une jambe de cheval (pas pire que le phoque…) qui sera fixée soit grâce à des lanières de cuir soit directement clouée sur le ski.
Une paire de ski prend entre 3 et 4 jours de fabrication, plus si l’on y ajoute l’ornementation faite de fines sculptures (la sérigraphie quoi…).
la peau anti-recul est fabriquée à partir de la peau d’une jambe de cheval
Ce qui frappe au delà du caractère exotique c’est l’utilisation encore quotidienne de ces skis. Partout dans le massif nous avons pu voir des traces ; certaines utilitaires (rejoindre les chevaux laissés en liberté, regrouper les troupeaux de vaches, aller chasser…) mais d’autres clairement dédiées au plaisir de glisser.
Et pour paraphraser Alfred de Musset « Peu importe le shape pourvu que l’on ait le kiff » !