Ni vous, ni moi n’allons ouvrir un Leetchi ou un GoFundMe pour Christophe Profit. On ne va pas se cotiser pour payer les 4000 euros requis par le parquet à son encontre pour avoir retiré quatre pieux de la voie normale du mont Blanc. Pourquoi ? Parce qu’il faut croire en la justice, et parce que la justice ne doit pas condamner Christophe Profit comme s’il était un voleur. Verdict attendu le 5 juin.
Pour avoir retiré l’été dernier quatre pieux sur l’arête des Bosses, un équipement posé par les guides de St-Gervais avec le financement et la bénédiction de leur édile, M. Peillex, Christophe Profit est accusé de « vol », le maire de St-Gervais ayant porté plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et le « vol » des pieux. Seul le dernier chef d’accusation a été retenu par le tribunal de Bonneville. Et Profit serait condamné pour avoir retiré un équipement sans pour autant mettre en danger quiconque ? La belle affaire. En résumé, pour avoir affirmé haut et fort que le mont Blanc demeure une affaire d’alpinistes, Christophe Profit a été traîné au tribunal par un maire orgueilleux.
Deux de ces quatre pieux ont été enlevés à la main. Tous les pieux ne constituaient pas une « sécurité » pour contourner la crevasse qui est apparue sur l’arête. Christophe Profit a largement communiqué sur la voie alternative, relativement commode, qu’il a déniché à gauche de l’arête. À ceux qui se demandent si le maire de St-Gervais n’a pas raison de défendre sa responsabilité, on peut poser la question suivante : qu’aurait-on dit, ou reproché, à M. Peillex, si une cordée était tombée après s’être vachée sur l’un de ses pieux ? Ils n’ont pas été réinstallés, et la crevasse est toujours là. Il faut croire que tout le monde a dû apprendre à cramponner, depuis.
Les pieux n’ont pas été réinstallés, et la crevasse est toujours là. Il faut croire que tout le monde a dû apprendre à cramponner, depuis.
Christophe Profit, le 20 avril au tribunal de Bonneville. ©Thomas Pueyo
Mme la procureure se trompe quand elle dit que cette affaire n’est pas l’occasion de « philosopher sur la liberté de l’alpinisme, mais bien pour juger du vol des pieux ». Christophe Profit n’est pas un margoulin qui a piqué une pelle et une pioche sur le chantier de la nouvelle route forestière du col de Voza. Christophe Profit est guide et sait de quoi il parle. Mais puisqu’en droit, il ne faut pas mégoter sur les arguties, l’avocat de Christophe Profit a donné deux bonnes raisons de relaxer son client. La première concerne le lieu où les pieux ont été plantés. Le vol des pieux peut-il être reproché par une juridiction française si ces pieux se trouvaient en Italie ? Regarder de plus près les cartes, et s’apercevoir qu’une partie du territoire revendiqué par M. Peillex se trouve être italien, fera sûrement plus de remous au niveau de l’État que deux morceaux de ferraille.
Autre argument qui n’a rien de spécieux : la présence de ces pieux ne serait-elle pas initialement en complète contradiction avec l’arrêté préfectoral de protection des habitats naturels qui inclut la voie normale du mont Blanc ? Cet APPHN dont le cadre met en garde contre « la banalisation des lieux d’exercice ». Un équipement dans la neige ou la glace va pourtant clairement dans ce sens, et à l’encontre de l’APPHN défendu mordicus par M. Peillex lui-même. Retour à l’envoyeur.
Oui, c’est un acte militant.
Mme la procureure s’égare quand elle regrette publiquement que Christophe Profit ait refusé de « sortir par le haut » de cette affaire : il a refusé une composition pénale – et une amende de 600 euros – pour éviter le procès. Mais pourquoi aurait-il accepté de reconnaître une quelconque culpabilité ? Oui, les pieux n’étaient pas la solution, tant par leur date de péremption – ceux enlevés par Profit le 13 juillet 2022 l’ont été à la main – tant par leur situation. Oui, c’était « un acte militant » a expliqué Maître Thouvenot, l’avocat de Christophe Profit.
Oui, la voie normale du mont Blanc est bien de l’alpinisme, n’en déplaise à ceux qui veulent l’équiper toujours plus, sous prétexte de fréquentation. Alors ne doutons pas que le 5 juin la justice relaxe Christophe Profit. Lui nous a confié : « j’ai tout mon temps, c’est de cette manière que je gère l’engagement ».
Il y aura d’autres crevasses, et d’autres raisons d’en discuter ailleurs qu’au tribunal.