Imaginez. C’est le réveillon. Autour de la table, il y a les petites cousines qui aiment le cheval. Les cousins germains qui aiment taquiner le poisson. Les grands parents qui aiment le golf parce qu’ils peuvent se le permettre. Du côté des gosses, il y a le cadet qui aime le vélo, et le petit dernier qui aime l’escalade et pas le gibier en sauce, mais son avis, l’oncle qui commande la tablée, il s’en tamponne. Lui, c’est l’oncle qui picole, qui dit tout ce que la France, dit-il, pense tout bas. Et puis c’est lui qui invite, alors c’est lui le patron.
L’oncle gênant, c’est Willy Schraen, le président de la Fédération nationale des chasseurs. Le petit dernier, c’est la FFME, qui fait partie, mais oui, de l’Alliance des sports et loisirs de nature (ASLN), assemblage de six fédérations à l’initiative de la plus puissante, la Fédération Nationale des Chasseurs (1). Depuis deux ans, la FFME a son rond de serviette chez la FNC, qui se sert de ladite alliance pour arrondir son nombre de pratiquants et étouffer le débat sur le partage du temps (journée sans chasse) ou de l’espace avec son mantra habituel, « les chasseurs sont les premiers écologistes de France ».
Est-il opportun pour la FFME de cautionner la Fédération nationale des Chasseurs ?
Il semble que le président de la FFME ne voit aucun problème à rester dans cette alliance, à cautionner la FNC. Est-il opportun de donner un blanc-seing à Willy Schraen – et ses affidés (2) – , lui qui ne perd pas une occasion de s’élever contre « les ayatollahs de l’écologie », ni de dénoncer les « normes qui nous étouffent » qui « entravent les libertés individuelles » … Sauf quand ça l’arrange : la FNC se réjouit de la nouvele loi contre l’engrillagement de février 2023, qui permet aux propriétaires et aux chasseurs d’éjecter les pratiquants de sports de nature de leurs terrains !
Nous avons expliqué comment un système de chasse privée de luxe interdit l’accès à une partie de la Réserve naturelle de Chartreuse au détriment des randonneurs et des grimpeurs. Ajoutons le contexte du déconventionnement des falaises, à la suite duquel des sociétés de chasse, toutes membres de la FNC, ont soufflé ce qu’il fallait aux propriétaires pour faire fermer certaines falaises.
Business de la chasse + nouvelle loi = rando et grimpe interdites des Lances de Malissard (ici) aux secteurs de l’Aup du Seuil. © LC.
Avec cette loi, admet Willy Schraen, « on est sur un équilibre peut-être dur à trouver avec la propriété privée, des enjeux de biodiversité et la liberté d’aller se promener dans la nature. » (3). Sans blague. Alors que les protestations enflaient, et peu avant une manifestation contre cette interdiction d’accès à la Chartreuse, M. Schraen a tranquillement asséné : « la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) tient à rappeler que contrairement à ce que l’écologie politique et les écologistes de salon répètent à longueur de temps : la nature n’est pas à tout le monde. (…) Comme me le disait ma grand-mère : souviens-toi que lorsque tu n’es pas chez toi, tu es chez quelqu’un d’autre ! » (4), et invite les propriétaires « à se barricader chez eux ». En tous cas, on comprend mieux la tardive et tiède réaction de la FFME au sujet de la Chartreuse. Faut pas fâcher tonton !
Au fait, le même Willy Schraen qui a obtenu du président Macron la réduction de la moitié du prix du permis de chasse, a lancé le 5 décembre une nouvelle alliance, politique cette fois : « l’Alliance rurale » sorte d’héritière de la liste Chasse, Pêche, Nature et traditions avec les élections européennes de 2024 en ligne de mire (5).
Un conseil pour le réveillon ? Le tonton, soit on est d’accord avec lui, soit on quitte la table.
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Notes
(1) Font partie de l’Alliance des sports et loisirs de nature (ASLN) : la Fédération nationale des chasseurs, la Fédération française de l’équitation, la Fédération française de golf, la Fédération française de pétanque et de jeu provençal, la Mountain Bikers Foundation, et la FFME. À titre d’information, la première fédération concernée, par son nombre d’adhérents (220000), la Fédération Française de Randonnée, ne fait pas partie de l’ASLN.
(2) Proche de M. Schraen, le lobbyiste Thierry Coste est conseiller politique de la FNC, et également secrétaire général du Comité Guillaume Tell qui défend les intérêts des utilisateurs d’armes à feu.
(3) La République du Centre, 2 février 2023
(4) Communiqué de la FNC, 19 septembre 2023
(5) Le Monde, 6 décembre 2023
(6) ce qu’a décidé de faire le président du Syndicat Interprofessionnel de la Montagne, qui a démissionné du Conseil d’Administration de la FFME après avoir constaté cette « compromission » de la FFME au sein de l’ASLN.