©Ulysse Lefebvre
Ici-bas, les plaines déroulent leur spleen. Des routes et des champs, des chants qui déroutent, tout juste atténués par les haies qui leur font honneur. Haies nécessaires mais trop bien taillées pour assouvir notre soif de sauvage. Nature domptée. Point de reliefs, nulles saillies, le champ est libre, le vent peut souffler sa litanie. La platitude y est tout juste lacérée par d’interminables fossés. Pas d’accidents de terrain. Des accidents de la route tout au plus. Logique, la plaine endort. Monotonie à l’horizon. Les champs de colza font tâche d’huile dans les openfields verdoyant. Un patchwork agricole auquel il manque un brin de folie. D’où ce mot qui n’existe pas (encore) : platibulaire. Morne plaine avons-nous coutume de dire, mais pourquoi diable ne s’agit-il pas des mornes de nos concitoyens créoles ? Ceux-là même qui, des Antilles à La Réunion accidentent les plaines ! C’en est trop. La coupe est pleine – elle aussi. Il faut briser les lignes du remembrement, rompre les rangs de blé, fausser compagnie à ces fossés, déserter sur le champ ces étendues sans reliefs ; tout juste bonnes à trouver le souffle et prendre l’élan nécessaire pour gagner les hauteurs. Quitter la platitude, nous élever, nourrir une utopie ! Celle d’une bande de fous à lier qui trouveront à n’en pas douter d’autres fous, des fous alliés. Encordons les fous, accordons leurs folies pour une utopie grosse comme une montagne. Une utopie pour finalité à ces routes. Routes sans fin qui sillonnent la plaine comme le font les tracteurs des champs qui la composent.
Tout le monde descend,
bien décidé à monter !
Entendez-ici les chants détracteurs. Une utopie en somme, telle une nouvelle bataille. Que ces routes n’aient qu’un sens : à contre-courant ; qu’un but : les montagnes ; mais surtout qu’une fin : les piémonts. Que leur terminus soit annoncé au débouché des vallées, pas plus haut, pas plus loin. Tout le monde descend, bien décidé à monter ! Nos jambes, nos bras et nos esprits libres s’arrangeront du reste ! L’asphalte s’arrête ici, net. Les pylônes, câbles et autres ferrailles en tout genre : déboulonnés, car nous autres utopistes, déboulons ! Lavons les vallons à fond en y versant notre utopie, sauvons-nous et savonnons ! Lavées, les vallées ! À nous les arpents sauvages, les dénivelés sans fin à avaler au petit matin. La route laissera place à la piste qui deviendra chemin, qui deviendra sentier, qui s’évanouira et dès lors nous épanouira. Que feu la ballade devienne une randonnée, la randonnée une itinérance, l’itinérance un raid hors du temps, la classique alpine, une grande aventure. La plaine utopique ne serait alors qu’un point de départ vers un point de convergence, la montagne du sauvage. Et une fois parvenus là-haut – dominants – un sentiment nous habiterait : Plénitude.