Nous vivons un moment crucial de la vie politique française, mais aussi de l’avenir des milieux de montagne. Si l’extrême droite remportait les élections législatives le 7 juillet prochain, amenant un candidat du Rassemblement National (RN) à Matignon, les communautés de montagne auraient du souci à se faire, du point vue des questions écologiques, économiques et des libertés.
Beaucoup d’appels à faire front contre l’extrême droite émergent dans tous les milieux, y compris au sein des médias. Nous sommes concernés depuis toujours et nous soutenons le mouvement d’opposition à l’extrême droite, et à toutes les formes d’extrêmismes.
Il est facile, voire confortable, de se draper dans une opposition de bon aloi (ou de principe) au RN en clamant que les valeurs de la montagne seraient incompatibles avec tout fumet extrémiste. L’association entre la montagne et opinions extrémistes est hélas une triste possibilité que l’histoire a déjà connue. Le nier serait naïf, voire contre-productif.
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Ce serait d’abord une erreur historique. La montagne a toujours été le théâtre des courants politiques qui ont animé les hommes un peu plus bas. Revoyez la photo de l’équipe des vainqueurs de l’Eiger célébrés aux côtés d’Adolf Hitler. Les exemples ne manquent pas où les alpinistes et la conquête des sommets ont été instrumentalisés par les régimes politiques, démocratiques ou totalitaires.
Plus récemment, en 2018, rappelez-vous que les militants de Génération Identitaire ne se privaient pas d’investir le col de l’Echelle pour intimider les migrants et les associations qui les défendent. Les membres de l’ultra-droite, eux, avaient bien compris que le territoire montagnard peut être un instrument politique.
c’est aussi pêcher par opportunisme
ce qui discrédite la parole progressiste
Nier sciemment les influences de l’extrême droite en montagne reviendrait aussi à pêcher par opportunisme. Cela ne ferait que discréditer la parole progressiste. Vouloir une montagne ouverte, nourrie par des courants humanistes, animées par des gens curieux, audacieux, ne se décrète pas par un slogan. Cela demande du temps, du travail de pédagogie, des explications.
À notre niveau, en tant que journalistes, c’est un travail de tous les jours et une ligne éditoriale quotidienne que nous entretenons à force d’articles que vous ne lisez pas forcément ailleurs, parfois décalés voire dissonants, qui mettent en avant des personnalités différentes des héros habituels, parce qu’elles sont nées ailleurs que dans les Alpes ou l’Himalaya, ou parce qu’elles proposent des points de vue qui dérangent, en posant des questions complexes sans réponse toute faite quant à l’avenir des montagnes, de son accès, en allant voir aussi sur le terrain les différents courants d’opposition qui émergent, loin des idées préconçues, sur le féminisme, les jeux olympiques, la préservation de la faune, la paix dans le monde… Bref, les sujets ne manquent pas pour contrer l’obscurantisme et le populisme. Le sillon se travaille sur le long terme sur Alpine Mag. Et pas uniquement en période électorale.
Cachez cet électeur du RN
que je ne saurais voir
Ne pas voir que les idées d’extrême droite peuvent aussi infuser en montagne, même si on les combat, serait enfin une preuve de grande naïveté. C’est à minima la conséquence d’une montagne fantasmée, peut-être par manque de fréquentation de ses chemins, ses sommets, ses refuges, ses troquets. C’est a maxima une marque de méconnaissance qui donne du grain à moudre aux extrêmes. Qui n’a jamais entendu des propos « limites » au détour d’une conversation en refuge ou au relais ? Voir en la montagne un espace à part, un lieu apolitique d’entente et d’harmonie, de consensus idéalisé peut même être dangereux car cela exclut de manière arbitraire les « adversaires » avec qui l’on ne veut pas discuter, dont on nie jusqu’à l’existence. « Cachez cet électeur du RN que je ne saurais voir » aurait dit Tartuffe. L’électeur RN, lui, dort en refuge à côté de vous.
Qu’on le veuille ou non
la montagne est faite des gens
qui la parcourent
et de leurs opinions
À une époque, on scandait dans les manifs « la jeunesse emmerde le Front National ! ». Pourtant, à trop croire que les jeunes ne sont pas concernés par l’extrême droite, et à considérer ce fait comme un acquis indéboulonnable, on se retrouve avec des cohortes de teenagers-groupies qui suivent Jordan Bardella sur Tik-Tok et hurlent son nom dans les meetings.
Qu’on le veuille ou non, la montagne est faite des gens qui la parcourent. Et de leurs opinions. Elle est donc perméable à son époque, aussi inquiétante soit-elle. Mieux vaut voir la vérité en face, se remonter les manches et ouvrir le dialogue avec ceux qui penchent vers le vide, en cette période électorale cruciale.