Aujourd’hui, 7 novembre, Christophe Profit est convoqué au tribunal de Bonneville. Une plainte a été déposée à son encontre par le maire de Saint-Gervais, M. Peillex, pour « vol de matériel appartenant à la commune ». Christophe Profit aurait-il dérobé un pot de fleurs saint-gervolin, ou pire, un panneau de circulation pour en faire une table basse ? Que nenni. Le maire M. Peillex reproche à Christophe Profit d’avoir « volé » les quatre pieux en fer sur la voie normale du mont Blanc, l’été dernier.
En juin, ces pieux avaient été mis en place par des guides de Saint-Gervais, sur l’idée du maire, pour faciliter l’ascension de l’arête des Bosses devenue crevassée en début d’année. « On a voulu par orgueil et par jalousie installer des pieux sur le toit de l’Europe, alors je deviens un lion pour protéger ce sommet » a expliqué Christophe Profit. Quelques jours après leur installation, il a commencé par en enlever deux sur quatre, tout en prévenant le PGHM de son geste. La belle affaire.
Sur la voie normale du mont Blanc ©Ulysse Lefebvre
Reprenons. Les guides de Saint-Gervais, soucieux de leur prochain comme de leur gagne-pain, sécurisent la voie normale avec des pieux dans la pente. Les prétendants au mont Blanc sont-ils dispensés de savoir planter une broche à glace ? Doivent-ils éviter à tout prix de faire un relais et d’apprendre à progresser en se protégeant ? Que diraient les guides à Chamonix si on installait des pieux à l’Aiguille Verte ? Dans une de ses chroniques, Gilles Rotillon a rappelé que « le problème de la voie normale du mont Blanc n’existe que parce que se développe une industrie des loisirs de masse dont l’objectif n’est pas l’émancipation des individus au travers d’activités diverses, émancipation qui implique la responsabilité de sa propre personne, mais la rentabilité de capitaux », autrement dit, la marchandisation du mont Blanc a créé les pieux. Point.
Christophe Profit agit en défenseur de l’alpinisme tel qu’il est décrit, et ce pourquoi il est inscrit, au patrimoine de l’Unesco, document que la France a signé, ce que sans doute son avocat rappelera au plaignant*. Il a voulu poser la question qui fâche, celle de la définition de l’alpinisme, une activité où le risque existe. « S’il veut rester un guide, qui est finalement celui qui garantit au maximum la sécurité au client, Profit doit refuser les équipements qui contribueraient à réduire son savoir-faire professionnel. Car après tout, si la sécurité est sans débat et que des équipements l’assurent, pourquoi aurait-on besoin d’un guide ? » pointe astucieusement Gilles Rotillon.
la voie normale du mont Blanc doit rester une affaire d’alpinistes, et son avenir se discuter ailleurs qu’au tribunal.
Le maire de Saint-Gervais, lui, défend « sa » propriété. Mais quelle propriété ? Veut-il qu’on rappelle que le versant ouest de l’arête où les pieux ont été placés est censément celui de la commune de Courmayeur ? Quant aux deux derniers pieux, ils ne tenaient plus dans la glace, qui fondait. Celui qui les a enlevé à la main a peut-être évité une catastrophe si un alpiniste avait décidé d’y faire relais, au lieu de construire un relais sur broches. Alors, qui met en danger la vie de qui ? Qui aurait été responsable si une cordée s’était vautrée en se tenant à ce pieu branlant ?
Réclamer la sécurité de l’alpinisme est impossible, a fortiori sur un glacier en perpétuel évolution. Même avec ses vingt mille prétendants, la voie normale du mont Blanc doit rester une affaire d’alpinistes, et son avenir se discuter ailleurs qu’au tribunal. En gardant en mémoire que chaque aménagement oblige moins lesdits prétendants à avoir le niveau requis ou à faire appel aux professionnels, mais contraint toujours plus les autorités compétentes à gérer les flux, les déchets, mais aussi les incidents, les « bloqués techniques » comme les appellent pudiquement les secouristes.
Vouloir à tout prix chasser les « hurluberlus » tels que les appelle M. Peillex est contradictoire, à tout le moins, avec le fait de renforcer l’équipement de la voie normale avec des pieux. Sans doute n’est-il pas à une contradiction près. Mais pour toutes ces raisons, sans parler de l’encombrement des services de la Justice, l’alpiniste et le guide qu’est Christophe Profit n’a rien à faire au tribunal.
[Mise à jour du 9 novembre] Selon les informations de nos confrères du Dauphiné Libéré, à l’issue de sa convocation au tribunal de Bonneville, une procédure de composition pénale a été proposée à Christophe Profit, ce qui évite le recours à un procès pénal mais demande que ce dernier reconnaisse les faits qui lui sont reprochés. Ch. Profit a refusé. Le parquet étudie les suites à donner à cette affaire.
* En opposition au texte de l’Unesco signé par la France, les règles de l’Arrêté de Protection de l’Habitat Naturel pris par M. Peillex limitent la liberté de mouvement de l’alpiniste. Lire les explications de Claude Gardien ici.