Elle a été le théâtre de l’une des voies les plus avant-gardistes de son époque – la Gervasutti – puis de voies modernes, de Little Big Men (Batoux-Daudet) à Groucho Marx, libérée par Manu Romain et les regrettés Pierre Labbre et Max Bonniot. Il faut croire que cette face Est des Jorasses est suffisamment haut-perchée pour ne pas avoir révélé tous ses secrets. En témoigne cette superbe ouverture début juillet racontée par Jérôme Sullivan, qui en profite pour proposer une nouvelle expression : à la place d’un banal « dément ! » essayez « extra-plat ! »
L’été covid 2020 sera un bon cru pour les activités dans le massif alpin. En quelques semaines le talent et la fougue déversée sur les parois menace d’accélérer la fonte du permafrost tant les cordées sont rapides et coriaces ! Les enchaînements et réalisations difficiles abondent, comme si le manque de travail et le confinement aurait créé les conditions parfaites pour un lâcher de fauves qui ont la dalle (et pas que). Quand les amigos proposent une virée en face est des Grandes Jorasses, c’est l’occasion d’ajouter notre pierre à l’édifice. Cette ligne saute aux yeux et nombreux sont ceux qui s’exclameront « je l’avais vue »!
Dans la face secrète des Jorasses
Apres une montée matinale au col de hirondelles et une longue après-midi à glander là -haut, on s’installe dans les duvets pour une longue nuit. La traversée matinale pour éviter de se faire ratatiner en traversant le déversoir de rochers (droite de la paroi) nous amène aux pied des difficultés vers 7h. La ligne est tellement évidente que c’est avec une certaine surprise qu’on ne trouve ni piton ni coin de bois a R1. Gege nous a amené jusque-là . On tourne et s’en suit un toit fissure très ludique (L2). Il y a tout ce qu’il faut, des pieds et des fissures pour protéger.
Le splitter qui nous avait rempli d’euphorie la veille en scrutant la face aux jumelles est bien bouché… « une fissure en cul ! » Un piton extra plat me sauve et me permet de traverser a gauche pour rejoindre une autre fissure. Une expression est créée, au lieu de dire « dément ! » à toutes les sauces, maintenant ce sera « extra-plat ! » Un exemple ? L’un dit, le rocher de la face est des Jorasses est super compact et de très bonne qualité. L’autre s’exclame avec un sifflement : « extra-plat mec ! »
Où il est question d’un extra-plat (un piton, donc)
Arrivé au relais suivant, je suis obligé de dégainer marteau et pitons. Ma grande expérience du pitonnage me permet de rendre mon index « extra-plat » (dans ce cas l’utilisation de l’expression ne s’applique pas) d’un coup de marteau bien (mal) placé. Et hop, tel une petite tomate cerise entre le marteau et l’enclume, mon bout de doigt si précieux explose en pulpe rouge. Mes collègues prennent le relais pour le reste des longueurs. Merci les copains.
Victor nous emmène balader entre dalles et fissures. La qualité compacte du caillou nous force à rejoindre la gauche et éventuellement, à R6, le relais de la Gervasutti. Avec un petit perfo on aurait bien pu passer ces dalles et rendre l’itinéraire plus droit, mais bon, cela sera pour d’autres, et puis dans cette paroi alpine cela n’a pas de sens pour nous de perforer. C’est à R6 donc que la question se pose: on rejoint l’itinéraire à la longueur de A2 ou on force un passage à droite ? Victor se motive et franchit un mur une cinquantaine de mètres à droite. Ce sera le crux de la voie : un 7a+ (7a obligatoire) bien retors et exposé. Un sympathique mur à réglettes lui permet de s’approcher de la fissure déversante repérée précédemment. Et là une dalle compacte le repousse.
Au relais, on commence à être tendus en voyant Victor.
Mais il dégaine avec brio un crochet,
plante un mauvais piton, et s’engage dans le pas.
Et ça passe !
Extra-plat, mec !
Notre pyrénéen barbu (tel le gypaète) déploie ses ailes (impressionnant), plante un piton, et s’embarque dans une traversée mal protégée (avec pieds glissants). Au terme de celle-ci, d’une dizaine de mètres approximativement, il ne trouve pas la fissure providentielle dont il avait rêvé. Avec Gégé au relais on commence à être tendus. Avec brio, il dégaine son crochet, plante un deuxième piton (mauvais), et s’engage dans le pas de bloc (7a). Et ça passe ! Extra-plat ! Jusqu’au relais les protections sont encore douteuses (triangulations fantaisistes) mais le terrain est plus facile. En on enchaîne la longueur en second avec Gégé.
L3, la longueur de l’extra-plat ! ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
Victor se régale dans la dernière longueur avant de rejoindre l’arête. ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
L2, le toit en 7a : un régal de fissure et réta physique. ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
Le froid commence a se faire sentir. Gégé prend la tête de la cordée. La prochaine longueur est très belle en fissure (on y a trouvé une vieille sangle). Les pieds glacés et mouillés, un pas d’adhérence nous résiste, trop la flemme de redescendre et réessayer, ça restera A1 (sûrement 7b). C’est l’heure du bivouac et une terrasse providentielle nous attend. Le lendemain matin, encore deux superbes longueurs (dont une fissure « extra plat » en 6c) nous permettent de rejoindre l’arrête puis le sommet de la pointe Walker.
Une super aventure bien complète et sauvage, le beau rocher en prime ! À noter que la ligne est relativement protégée des chutes de pierres qui canardent la partie droite de la paroi. Merci Gégé et Vic et spéciale dédicace à Martin qui nous a accompagné spirituellement. La voie est évidemment nommée en pensant à Max Bonniot qui avait copieusement défouraillé sur la droite du mur.
Les plaisirs de la face est : on a les premiers rayons de soleil ! ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
La longueur crux : le 7a+. En arrière-plan, « le mollusque » accroché ! ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
Ca sent le sommet… ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan
Et on y est ! Le sommet de la pointe Whymper. ©Coll. Brauge-Saucède-Sullivan