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La conversion

Des stations fermées, mais ouvertes ? Quand le président annonce l’impossibilité d’ouvrir les stations, il ne précise pas qu’il parle des remontées mécaniques. Les alpins, pyrénéens, jurassiens, auvergnats ou vosgiens ont dû se dire, nous voilà enfermés à double tour ! En même temps, en Absurdistan, on peut courir sans masque mais pas marcher sans masque, hein. Comme le rappelait Martin Fourcade, si les stations sont fermées, la montagne ne le sera pas. La montagne ne se résume pas aux pistes de ski ? Ce serait une découverte, du côté des décideurs politiques. Appelons-ça un biais cognitif, renforcé par la gestion à la chinoise de cette crise. L’heure est grave : même Kilian Jornet a fini par tourner en rond sur une piste d’athlétisme au lieu d’aller en montagne !

La montagne ne se résume pas aux pistes de ski ? Une découverte pour les décideurs politiques.

Le Chazelet, au-dessus de la Grave. Petite station (4 remontées), grand potentiel. ©JC

« La vision du gouvernement est tronquée, estime Jean-Christophe Lebel, de l’Office du tourisme intercommunal du Vercors, joint par téléphone. Toutes les stations ne sont pas logées à la même enseigne. Ici nous avons les arguments pour faire venir les clients sans ski alpin ». Que la montagne soit partagée économiquement entre ceux qui dépendent du ski pour un revenu important mais aléatoire, et ceux qui n’en dépendent pas grâce à une pluriactivité et un revenu plus faible et tout aussi aléatoire, ce n’est pas une découverte. Le virage de l’après-ski*, certains l’ont déjà pris, comme par exemple à Villar d’Arène, « village nordique au pays de la Meije ». Ou à la Clusaz, station qui s’est souvenue être, d’abord, un village.

Cependant, ne pas oublier qu’il n’y a pas que les remontées mécaniques d’impactées – 2500 personnes au chômage partiel pour la seule Compagnie des Alpes** – mais toute une filière, fournisseurs, sous-traitants de l’industrie, ou encore fabricants de skis. Dans quinze jours (enfin, espérons), quand les montagnes seront blanches, tout le monde réalisera à quel point le ski lui va lui manquer.

la conversion n’est pas évidente. L’or blanc ne se transformera pas sans effort, sans ambition nationale, sans concertation

Technique bien connue en ski de rando, la conversion n’est pas évidente, surtout dans ces conditions. La neige est béton, la pente déjà forte, les appuis précaires. L’or blanc ne se transformera pas sans effort, sans ambition nationale, sans concertation. Sous la contrainte actuelle, certains jouent leur survie*** : on pense aux saisonniers, aux guides, aux moniteurs. Dans le stress ambiant, certains mettent en garde les pouvoirs publics, sur l’air de « attention aux pratiquants qui vont faire n’importe quoi sur les pistes fermées en ski de rando ou en luge ». Un jeu dangereux : on rappelle que depuis samedi le ministère des Sports consent à autoriser le ski de fond… sympa pour les habitants de Bessans en ce moment, mais inquiétant quant à ce qui sera autorisé ou non le 15 décembre.

Or la conversion passe justement par ce temps qui manque, le temps qu’il faut vivre à sa juste valeur en montagne : sans remontée mécanique, l’ascension d’une pente donne toute sa saveur à la descente. De décor, le paysage devient une source d’imagination. De consommable, la montagne devient une expérience.

Que le ski mécanisé rende plus aisée cette conversion, chaque skieur de rando le sait bien. Les stations ont déjà, pour beaucoup d’entre elles, commencé à laisser de la place aux skieurs de rando. Que la montagne puisse être appréciée par le plus grand nombre, avec ou sans neige, sera sans doute l’avenir. Et pas l’inverse.

* cf l’article de François Carrel dans Libération du 28/11

** au total ce sont 3900 personnes en chômage partiel a indiqué la CDA, en incluant les personnels de ses parcs de loisirs.

*** ce mercredi sont prévues des manifestations de protestation contre la fermeture des remontées, à Bourg St Maurice entre autres.