Réunissez sur scène deux riders de haut niveau, Jérémie Heitz et Victor Daviet dont certaines expériences avec la neige ont frôlé la limite. À leurs côtés, placez deux guides de haute montagne, Alex Pittin et Guillaume Avrisani, rompus à la gestion du risque d’avalanche avec leurs clients. Au milieu, demandez à un spécialiste de la nivologie, Grégoire Bobillier, alias « le Doc » d’apporter une touche de théorie. Vous obtiendrez des échanges et retours d’expérience sur la neige et les avalanches aussi passionnants qu’instructifs. Plongez dans le vécu de riders hors-norme que les avalanches n’ont pas épargnés.
Il commence avec une histoire à vous réveiller la nuit, et la vidéo qui va avec. Victor Daviet chauffe la salle à sa façon : en lui glaçant le sang ! Mais sa méthode d’introduction fonctionne : effrayer pour mieux marquer les esprit.
Victor Daviet : de la fougue des 20 ans à la « raclette-débriefing »
Le snowboarder français se souvient de sa toute première ligne en Alaska, la Mecque pour tout jeune Freerider dans le vent. À l’époque, en 2014, il réalise le trip de ses rêves avec un voyage initiatique au royaume de la poudre glaciale. Il a repéré sa face, imaginé sa ligne. Et voilà un Victor Daviet seul en haut de sa montagne.
Drop. Virages sur l’arête. Avalanche.
Quelques secondes après s’être lancé, la montagne se met à glisser sous sa board. Et c’est toute la pente qui part au-dessus de lui. On parle ici d’une méga-avalanche, de celles qui hantent les cauchemars de tous les amateurs de ski ou snowboard de haute montagne.
Victor trace droit mais gère la panique pour tirer la poignée de son sac airbag, plus que jamais outil de secours et de dernier recours (et non pas de prévention). Le ballon se gonfle, le Gapençais surnage, parvient à garder la tête hors de l’impressionnante masse de neige. Puis tout s’arrête, la neige se stabilise et en un claquement de doigt, un silence assourdissant emplit la montagne à nouveau.
Il est vivant, son corps n’a pas été cassé par la coulée. Il agite les bras pour indiquer à l’hélicoptère de suivi qu’il va bien.
Cette expérience m’a vraiment fait comprendre
combien il est important de communiquer
Alors quoi ? Faut-il arrêter le snowboard parce que c’est trop dangereux ? Se flageller parce qu’on a été jeune et con ? Victor préfère analyser la situation, une analyse rendue certainement plus fine aujourd’hui, avec le recul.
Le contexte ? Deux semaines d’attente sur place en Alaska, pour que le mauvais temps passe. Le résultat ? Une impatience intenable chez le jeune Freerider qui lambine dans son camping car. Et quand une éclaircie pointe, les 24h d’attente recommandées (pour que les pentes se purgent) ne sont pas respectées.
L’objectif du trip ? « Rider pour soi bien sûr, mais aussi faire des images. Et il faut gérer la pression médiatique qui va avec, d’autant que je venais d’intégrer une grosse boite américaine de production d’images », gestion difficile pour un jeune wannabee freerider pro en quête de reconnaissance. Cerise sur le gâteau ? Une radio qui ne fonctionne pas et un lien à distance avec le guide de haute montagne qui est rompu. « Cette expérience m’a vraiment fait comprendre combien il est important de communiquer, que ce soit avant ou après, qu’il ne faut pas hésiter à poser des questions, surtout quand on a des gens expérimentés autour de soi comme des guides. Sans oublier la raclette, ce moment privilégié pour le débriefing ! ». Amateurs de fromage, débriefez-vous !
Pour aller au bout de la démarche, Victor a créé les Safety Shred Days. Avec cette tournée en stations, françaises et suisses, chacun est invité à venir se former à la prévention des risques d’avalanche.
Clip vidéo de la fameuse avalanche de 2014, en Alaska. ©Mammut
Lier la pratique à la théorie
C’est là que Grégoire « le Doc » Bobillier prend la main. Il rappelle les conditions particulières en Alaska, ces mètres de poudreuse et ses plaques qui partent. Grâce à des schémas clairs, il rappelle le processus de déclenchement d’une avalanche, les différents types de neige, le principe de la rupture de plaque. Tout ça prend d’autant plus de sens que l’histoire de Daviet l’incarne parfaitement. Une illustration bien malgré lui de ce qu’il ne faut pas faire.
Surtout, le Doc rappelle les conduites à tenir pour éviter l’avalanche. Et dans le kit essentiel de sécurité, il cite l’ensemble DVA/pelle/sonde, le sac Airbag et surtout, le cerveau ! Et Daviet de rappeler que « la pire phrase, c’est t’inquiète, j’ai l’airbag, j’peux y aller ! »
mater les photos sur Instagram la veille c’est bien,
lire le BERA, c’est mieux
Pour faire fonctionner le cerveau, le Doc rappelle quelques éléments-clé :
- mater les photos sur Instagram la veille c’est bien, lire le Bulletin d’évaluation du risque d’avalanche (BERA), c’est mieux (sur méteofrance.fr ou la météo suisse).
- Comprendre l’échelle du risque avec ce risque 5 « qui ne concerne pas les skieurs, mais le préfet ! » Autrement dit, par risque 5, reste chez toi.
- La lecture de la neige sur le terrain, pour réagir sur place, avec illustrations d’une neige soufflée, ancienne ou fraiche.
Jérémie Heitz : de « everything or nothing » à la sagesse du renoncement
L’expérience que rapporte ensuite Jérémie Heitz, Monsieur pente raide à Mach 12, illustre quant à elle le processus de la prise de conscience du risque, avec tout ce qu’elle engendre comme situation : choix de renoncer, d’y aller quand même, assumer la prise de risque ou la refuser…
Alors qu’il sortait pour la première fois en randonnée avec des gros skis, le jeune Jérémie suit sa mère et son beau père, ainsi que son frère. Survient l’avalanche, alors que la randonnée se fait sur un itinéraire très parcouru et peu difficile. Si son frère s’en sort bien, la mère de Jérémie et son beau-père ont un peu plus de mal à s’extraire de la coulée. C’est le premier joker grillé par Jérémie.
sa vision des choses a radicalement changé
Il nous emmène ensuite directement au second Joker, le plus marquant dans ses dernières années de pente raide. Il s’agit bien sûr du tournage de la Liste 2 Everything or nothing, lorsqu’il se retrouve à sauver la vie de son ami photographe. Ce dernier chute dans la pente de l’Artesonraju, au Pérou. Heitz coupe la pente pour l’intercepter et lui éviter la chute fatale. La suite, le film la raconte. Jérémie prend conscience ce jour là de l’importance de l’égo dans les trips à ski.
S’il décide malgré tout de continuer les descentes prévues pour le film, sa vision des choses a radicalement changé. C’est pour ça d’ailleurs qu’on le voit renoncer à pas mal de pentes dans le film. « J’ai appris à renoncer, même quand Sam (Anthamatten NDLR) continuait. Aujourd’hui, j’ai cette petite balance mentale qui met les points positifs d’un côté et les négatifs de l’autre. Et je sais maintenant que renoncer m’a sauvé plusieurs fois. » confie t-il.
Il donne ensuite son top 3 des réflexes à avoir en tête :
- Être conscient de son niveau,
- Faire gaffe à l’effet de groupe : » des fois, on n’est pas arrivés en haut que certains serrent les chaussures, il y a de la testostérone plein la cabine, et c’est au premier qui fera la trace ! « ,
- Réussir à prendre plaisir en étant conscient du risque.
Alex Pittin et Guillaume Avrisani : la voix des guides
C’est intéressant d’entendre en parallèle le point de vue plus professionnel de deux guides de haute montagne. Si tous deux comptent énormément sur leurs expériences personnelles, Alex Pittin et Guillaume Avrisani sont aussi garants d’une forme de gestion du risque d’avalanche plus formelle, dans laquelle la sécurité du client prime par dessus tout. Leurs témoignages complètent bien ceux des freeriders et du Doc grâce à leurs conseils très pratiques.
Calculer la pente ? « C’est simple, pas besoin d’outil de mesure. Quand tu ne peux plus faire de beaux virages de montée et que tu passes aux conversions, c’est que tu es dans du 30° » propose Alex Pittin. Débriefer entre potes comme le propose Daviet ? Alex renchérit : « C’est essentiel de débriefer, encore et encore. Moi j’en arrive parfois à débriefer tout seul avec moi-même ! » Que faire quand on n’a pas le choix et qu’il faut descendre ? « Tenter les grands virages, qui seront moins nombreux, plus doux et moins impactants sur le manteau neigeux ».
Pour sa part, Guillaume Avrisani rappelle les bases des comportements à tenir en groupe sur les skis :
- garder les distances entre les skieurs, à la montée comme à la descente, selon la pente,
- Choisir des lieux de sécurité pour attendre les copains (rognon rocheux, arbre…) et les repérer au fur et à mesure, même si on ne s’y arrête pas nécessairement, pour les avoir en tête en cas de pépin.
Tout ce joyeux melting pot de skieurs, snowboarders et guides apporte de l’eau au moulin des amateurs de glisse présents lors de ce Mammut Freeriders meeting. Les questions dans le public sont nombreuses et chacun se met en situation, voire se remémore des situations difficiles déjà vécues.
Ce rendez-vous est un format interactif, réunissant diverses perspectives et divers regards sur la gestion du risque d’avalanche. Evitant le piège de la conférence théorique et soporifique, cet échange laissait la place à la discussion et même, parfois, aux doutes des protagonistes. Rappelant au passage que devant le risque d’avalanche, il faut rester humble, humble et humble encore.