La haute route Grenoble-Briançon à skis : sur le papier, c’est 95 km et 7800 mètres de dénivelé. Quatre copains ont trouvé là un beau moyen de remplacer les grandes courses de ski-alpinisme absentes du calendrier. Mais cette haute route a plus la saveur d’un ultra trail que d’une course : deux jours (avec une vraie nuit de sommeil) où il ne s’agit pas de gagner des places mais de terminer, y compris en tenant compte du couvre-feu. Récit de ce beau voyage à skis proche de la maison par Rémi Loubet.
Chamrousse, samedi 27 Février, 5h.
Il y a certains réveils matinaux plus agréables que d’autres : la cafetière ronronne déjà, le tintement des tasses me sort agréablement de ma torpeur. Avec mon coéquipier Julien, nous tournons au café. Ou plutôt aux cafés. C’est un excitant idéal pour prendre le départ des courses. Ce matin c’est différent, nous sommes entre coéquipiers et ex-coéquipiers mais c’est pour partir pour une aventure avec le soleil comme seul chronomètre.
C’est un vieux projet que nous sortons des cartons. Amateurs de grandes traversées printanières, nous avions flashé sur un article d’un Montagne Mag de 2008 dans lequel des skieurs avaient rallié Grenoble à Briançon en une semaine de raid. En changeant l’itinéraire et la philosophie, on imaginait le faire en non-stop. C’était notre projet du groupe excellence FFCAM de 2018. Mais l’itinéraire n’étant pas un tracé de haute montagne, la faisabilité est plus qu’incertaine. Il faut des conditions de printemps en plein hiver : des conditions safe jusqu’en début d’après-midi, de la neige qui porte pour glisser sur les longues traversées, et un bon enneigement à basse altitude.
Rocher de l’Homme, Grenoble est dans les nuages. ©David Zijp
Pas de la Coche, Belledonne Sud est derrière nous. ©David Zijp
Les grandes traversées printanières nécessitent aussi la présence de la lune la plus pleine possible. Dans le contexte de l’hiver 2021 et du couvre-feu associé, ça n’est pas spécialement utile puisque la nuit ne dure qu’une heure, de 6 à 7h. C’était une bonne excuse pour couper la traversée en deux étapes.
Il restait à régler la question de la sécurité, choisir entre la radio secours, le messenger satellite, ou de bons copains. A deux, en mode léger, on est vulnérables. A quatre, on mutualise les vêtements chauds en cas de problème, et on peut se diviser en deux équipes pour aller chercher de l’aide.
Pour des compétiteurs, une année sans Pierra Menta c’est comme un jour sans pain… ou sans café. Beaucoup ont alors imaginé profiter de l’entrainement pour monter de beaux projets en montagne. Nous n’avons donc eu aucun mal à motiver David et Ronan. Quel plaisir de chausser les skis tous ensemble, sans dossard, pour tchatcher… du moins les premières heures.
Il faut des conditions de printemps en plein hiver : des conditions safe jusqu’en début d’après-midi, de la neige qui porte pour glisser sur les longues traversées, et un bon enneigement à basse altitude.
L’effort sur ce type de traversée est bien différent de celui que l’on produit sur une course de ski-alpinisme. Il se rapproche plus de celui d’un ultra-trail, on essaye de fonctionner par micro-objectif, et micro-récompense : au prochain col on mange une barre, celui d’après on fera une pause cacahuètes, et ainsi de suite toute la journée. Bien sûr, il ne faut pas se projeter à l’arrivée, compter le dénivelé ou les kilomètres restants, sinon la tentation est trop grande pour mettre le clignotant et descendre vers les vallées qui nous tendent les bras.
La traversée de Belledonne sud est avalée comme un expresso : On connait, on discute, on franchit les cols sans se poser de question. Le dépaysement commence en basculant sur le barrage de Grand Maison derrière le Col de l’Amiante. D’ailleurs sur cette difficulté, les discussions se sont interrompues, la fatigue, le vent ont commencé à faire leur œuvre. Malgré tout, cette sensation de presque froid nous rassure, les prévisions météo étaient justes, on change de flux : les pentes exposées ne vont pas se pourrir, s’humidifier en profondeur, c’est la clé de la réussite de cette traversée. Et c’est la seule chose sur laquelle on ne peut pas agir. Pour le reste, la fatigue, la gestion de l’itinéraire, la casse matérielle, les chutes ne dépendent que de nous.
La traversée de l’Arvan est dépaysante mais difficile. La neige est plus travaillée par le vent, les ascensions sont longues, les cols sont joueurs, on croit les atteindre et non, toujours pas… Mais l’Arvan est aussi synonyme de pause, c’est bientôt l’heure de couvre-feu, notre assistance de choc nous attend avec tentes, sacs de couchage et surtout le ravitaillement ! On va pouvoir repartir presque frais demain matin.
Sur une traversée, il y a forcément un col qui vous demande plus de ressources que les autres, et même en étudiant l’itinéraire assidument, vous n’arriverez jamais à déterminer lequel ! Ça dépendra des conditions de neige, du vent, de votre fatigue, ou des trois en même temps. Pour nous, ce fut le col de l’Epaisseur, l’un des seuls points faibles dans la muraille des Aiguilles d’Arves qui nous a donné du fil à retordre au matin de la deuxième étape. Vous avez déjà sûrement déjà connu ce type de situation : après 1500 de montée balayée par le vent du Nord, vous vous rendez compte qu’il faudra redescendre légèrement pour aller chercher l’entrée du couloir. Donc dépeauter, s’habiller, descendre, repeauter, et faire passer l’onglée. Et finalement, 5m sous le col tant convoité, vous rendre compte que ce n’est vraiment, mais alors, vraiment plus raisonnable d’essayer de passer la corniche sans crampon.
Sur une traversée, il y a forcément un col qui vous demande plus de ressources que les autres, et même en étudiant l’itinéraire assidûment, vous n’arriverez jamais à déterminer lequel
Les 4 copains au col de l’Épaisseur, le crux, David, Ronan, Julien, Rémi. ©Rémi Loubet
Les mélèzes valident l’arrivée dans le Briançonnais. ©DZ
La bascule sur les Hautes Alpes par le Col de La Ponsonnière est fantastique, les Écrins nous déploient leurs plus beaux profils, on aperçoit les mélèzes, et on ressent presque les embruns. Encore deux petits cols et il ne reste plus qu’à se laisser glisser jusqu’aux bains de Monêtier, enfin jusqu’à Monêtier les Bains cette année. La poursuite jusqu’à Briançon ville serait possible avec un meilleur enneigement des versants Sud, et sans la contrainte du retour véhiculé à Grenoble avant 18h.
Que les choses soient dites : vous ne ferez pas une telle traversée sans vos plus beaux collants et votre pipette.
Merci à Julien Brottet pour toutes ces années de partage sur deux planches, ou deux roues.
Merci à David Zijp qui a enfin retrouvé le chemin de Skitour pour rentrer la sortie.
Merci à Ronan Moalic d’avoir mis le rythme sur la deuxième étape, on a définitivement retrouvé le Ronan des grands jours.