« Les lieux existent encore quand ils sont aimés », écrit Simon Parcot, romancier établi dans le Vénéon. Un an après la crue qui a dévasté la Bérarde, les habitants du Haut-Vénéon se sont réunis pour marquer l’anniversaire en formant un coeur de frontales, illustré par un poème de Simon que nous publions ici. Début juin, les scientifiques de l’Institut des Risques Majeurs ont également publié un rapport sur les éléments qui permettent de mieux comprendre la crue exceptionnelle de 2024, et les questions qui persistent à propos du glacier de Bonne Pierre.
Inimaginable, même dans le pire des cauchemars. Et pourtant. Le 21 juin 2024, une crue exceptionnelle a rayé le village de la Bérarde de la carte. Depuis, les scientifiques cherchent – et trouvent des explications. Récemment un lac s’est reformé sur le glacier de Bonne Pierre, soulevant de nouvelles inquiétudes, avant de sembler se drainer naturellement.
Les chercheurs Antoine Blanc, Clément Misset, Olivier Gagliardini, Diego Cusicanqui et Emmanuel Thibert de l’Institut des Risques Majeurs (IRMa) apportent dans cet article une meilleure compréhension des multiples facteurs qui ont provoqué la catastrophe. Avec l’idée que nous ne sommes pas, ou plus, à l’abri.
« Aucune crue de l’historique connu du torrent ne semble de magnitude comparable à la crue du 21 juin 2024. Les évolutions géomorphologiques suggèrent qu’une telle crue n’a pas été observée à minima depuis plusieurs siècles (…). La crue du 21 juin 2024 peut donc bien être caractérisée d’exceptionnelle. »
« L’origine principale des matériaux déposés à la Bérarde se trouve au niveau du torrent de Bonne Pierre, affluent rive gauche du torrent des Étançons 700 mètres en amont de la Bérarde ».
Pour l’IRMa, les causes de la crue sont multiples : un « évènement de pluie-sur-neige en haute montagne pendant deux jours. Le cumul de précipitations est estimé à environ 130 mm sur 48 h, avec une limite pluie-neige oscillant entre 3500 m et 4000 m. La masse d’air très douce associée au flux de sud antécédent a provoqué une fonte marquée de la neige qui était alors présente en abondance à haute altitude en 2024. La contribution de la fonte nivale est estimée à environ 75 mm en 48 h sur le bassin versant des Étançons.»
À cet événement c’est ajouté la « vidange d’un lac supraglaciaire sur le glacier de Bonne Pierre en plusieurs heures. Le volume estimé de ce lac était de l’ordre de 100 000 m3. »
Le changement climatique a favorisé l’apparition puis l’agrandissement de ce lac temporaire
Ce lac supra-glaciaire est temporaire, écrivent les auteurs de l’étude. « Le lac est visible uniquement quelques semaines par an à la saison de fonte, principalement aux mois de mai et de juin. De 2016 à 2023, le lac se vidange ensuite naturellement sans créer d’inondation à l’aval ou d’érosions marquées. En 2024, la dernière image satellite du lac date du 17 juin, soit trois jours avant la crue du torrent des Étançons. Au lendemain de l’évènement, le lac est vide. » Tout porte à croire qu’il s’est vidangé dans la nuit du 20 au 21 juin 2024.
« Le changement climatique en cours a favorisé l’apparition puis l’agrandissement de ce lac temporaire, à la faveur de la fonte rapide des dernières décennies » ajoutent-ils. « L’occurrence de l’épisode de pluie sur neige très haut en altitude, qui a probablement joué le rôle de déclencheur de la vidange de 2024 par une mise en charge du réseau sous-glaciaire, est aussi favorisée par le réchauffement en cours. » Un scénario complexe, inédit, et « pas prévisible ».
« La contribution du glacier de Bonne Pierre à la crue pose aussi la question de la présence d’autres rétentions d’eau à l’intérieur du glacier » : les dépressions de surface favorisent la rétention d’eau sous le glacier. Quant à prévoir où, et si ces poches d’eau peuvent se créer et risquer de se vidanger brusquement, seul un monitoring du glacier permettra de le savoir.
Les auteurs de l’étude concluent en posant la question de « l’évolution de ce type de glaciers dans le contexte du changement climatique [ qui ] interroge sur la réponse hydrologique des bassins versants glaciaires à des épisodes de pluie et de fonte de plus en plus marqués à haute altitude. »

Coeur de lumière aux Étages. ©Chloé Tairraz
La Bérarde, l’hommage de Simon Parcot
Voici un an que le ciel s’ouvrit à l’heure du solstice
Versant ses eaux en nos vies
Disloquant les maisons, rabotant les berges Fendant le chœur d’une église
Et nos cœurs en même temps
Voici un an que la montagne descendit de son trône
aux prémisses de l’été
Pour nous rappeler sa force, et notre fragilité
Pourtant, regardez ! Des lumières brillent en fond
de vallée
Ce sont les âmes des maisons, droites ou blessées
Les souvenirs de celles effacées
Qui forment un cœur au milieu des coulées
Elles éclairent cette nuit comme elles éclairaient
celles d’hiver et d’été
Elles luisent dans les yeux de celles et ceux qui les
habitent encore
Par le corps, le cœur ou la pensée
Petit peuple des montagnes qui sait depuis
longtemps composer
Avec la force des eaux et la puissance des rochers
Ce soir, ils font pulser la Bérarde
Ils allument cent feux, ils construisent un phare
Ils rappellent que le village n’est pas un pierrier
Que les vallées sont belles lorsqu’elles sont habitées
Que les lieux existent encore
Lorsqu’ils sont aimés
© Association des amis de la Bérarde – collectif Oisans Haut Vénéon