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Avalanche en Belledonne : les enseignements à en tirer (2e partie)

Après le récit de la sortie à ski de rando suivie de l’accident d’avalanche que nous avons vécu le 10 janvier 2021 dans la combe du ruisseau de la Jasse, en Belledonne, j’ai pris le temps de réécrire le déroulement de la sortie en essayant d’être le plus factuel possible. Après le récit de la sortie, voici mon analyse de l’accident et des conditions. À nouveau, l’objectif premier est de partager le récit des évènements pour en tirer des leçons utiles à chacun. Deuxième partie avec l’analyse et les enseignements à en tirer.

Une fois tout le monde en sécurité, j’ai tout de suite voulu comprendre l’origine de l’avalanche : est-ce un départ provoqué par des skieurs au-dessus de nous ou un départ spontané ? Steve et Florent m’indiquent avoir vu lors du survol de la zone les points de départs spontanés dans la face Sud des Delarets. Des photos mises en ligne sur data-avalanche par Grégory Coubat montrent avec précision les zones de départ.

L’avalanche dans le ruisseau de la Jasse, secteur Brèche de l’Homme. ©Grégory Coubat/Data.avalanche.org

Zones de départ de l’avalanche et son enveloppe estimée à partir des photos de Grégory Coubat. ©IGN

Itinéraire

Compte tenu des conditions du moment assez classiques pour un début d’hiver (manteau peu épais et longues périodes très froides), je redoute particulièrement la présence de couches fragiles enfouies liées aux successions de chutes de neige et de métamorphoses de fort gradient dans les orientations les plus froides.
Les faces NO à NE sont donc exclues d’office en raison du risque de déclenchements provoqués.
Lors de ma sortie du Samedi 9 Janvier, j’ai constaté un début de transformation de la neige en S et un fort travail du vent en orientation W.
Ces orientations sont donc exclues afin d’éviter les neiges moins agréables à skier.
Nous nous mettons d’accord pour le secteur du Rivier d’Allemont et plus précisément les vallons exposés Est entre celui de Roche Noire et celui de la brèche de Roche Fendue. Quelques retours de sortie élogieux les jours précédents et notre départ peu matinal nous font craindre une forte fréquentation des lieux mais pour ce dimanche nous n’avons pas la solitude absolue dans nos critères.

Photos de Grégory Coubat prises le jour même et positionnement estimé de notre point de regroupement sur la photo (en rouge).

Il s’agit donc de départs spontanés dans une face Sud près des rochers. Les photos montrent plusieurs départs ponctuels qui génèrent ensuite des écoulements de neige dense prenant de l’ampleur au fur et à mesure de leur dévalement.

Ce scénario, bien qu’estimé comme peu probable, était identifié dans le BERA :

©Météo France

Les dernières chutes de neige dans le secteur dataient du 1er Janvier. Sur l’historique des températures fourni par ROMMA, on constate les choses suivantes dans les zones de relevé proches du lieu de l’accident (en altitude et localisation) :

– Suite aux dernières chutes de neige, les températures sont restées très froides
– Une amorce de « réchauffement » a eu lieu à partir du 9 Janvier
– Bien que négatives, les températures max enregistrées depuis la dernière chute de neige ont eu lieu aux alentours du 10 janvier 13h30, moment du déclenchement de l’avalanche

Le 10 janvier était également une des rares journées depuis le 1er durant laquelle le ciel était complétement dégagé en altitude. Le réchauffement par rayonnement des zones rocheuses a donc certainement joué un rôle dans les départs spontanés.

Suivi t°C ROMMA Croix de Chamrousse 2250m du 1er au 11 Janvier

Suivi t°C ROMMA Croix de Huez 2064m du 1er au 11 Janvier

Les erreurs commises et les leçons à en tirer

Je retire personnellement beaucoup d’enseignements de cette journée au dénouement inattendu.

D’un point de vue matériel

  • Les sacs Airbag nous ont clairement sauvés la vie ! Ils ont permis de limiter les profondeurs d’ensevelissement, de nous préserver de traumatismes, et dans le cas de Johanna, de créer une poche d’air sous son visage ce qui lui a certainement permis de rester en vie aussi longtemps sous la neige.

  • Les casques ont également joué un rôle important, celui de Camille a subi un enfoncement de 0,5cm sur une grande longueur, celui de Jo présente également de multiples impacts.

  • En ce qui concerne le tryptique DVA/pelle/sonde, des exercices réguliers permettent d’être efficace le jour J et peuvent éviter de perdre des précieuses secondes. Je ne m’étais pas entrainé depuis longtemps, je n’ai pas eu le réflexe de déconnecter le DVA de Camille après son secours, et j’ai encore mis un peu de temps avant de penser à faire un marquage à l’aide de mon appareil.

  • Les leash sont à proscrire ! Ce jour-là, je ne les avais pas connectées à mes chaussures et j’étais le moins enseveli. Jo qui était la plus ensevelie avait les 2 leash connectées aux pieds, Camille un peu moins ensevelie avait un ski au pied gauche connecté par le leash, celui du pied droit avait cédé. L’effet « ancre » des skis au pied en avalanche a été parfaitement illustré ce jour-là, les sacs airbag ont permis à Jo et Camille de garder la tête proche de la surface de la neige, leur pieds étaient par contre bien plus profondément ensevelis.

D’un point de vue nivologie

Il ne faut avoir aucune certitude ! J’étais ce jour-là focalisé sur les risques de départ provoqués en raison des couches fragiles en versant froid. J’ai trop négligé les risques de départs spontanés étant donné le froid des jours précédents et l’absence de signaux d’alerte durant l’ensemble de la sortie. Ce risque à l’heure à laquelle nous sommes descendus et vue la qualité de neige rencontrée me paraissait absolument négligeable.

D’un point de vue comportement sur le terrain

La zone d’arrêt dans laquelle nous nous sommes fait faucher était faussement rassurante puisque sur un replat mais dans l’axe de la face sud des Delarets. Il n’est pas toujours possible de trouver une zone d’arrêt à l’abri des risques d’avalanche.
Ce jour-là, nous avions tendance à multiplier les arrêts de regroupement pour éviter au groupe de s’étirer. En l’absence de zones de regroupement sécuritaires, le leader plutôt que de multiplier les arrêts pour reconstituer le groupe a plutôt intérêt à adapter sa vitesse au skieur le plus lent jusqu’à la prochaine zone sécuritaire.

Remerciements

Pour terminer, je tiens à remercier chaleureusement l’ensemble des personnes qui sont intervenues sur ce secours et qui ont contribué à son succès !

– Patrice et Arnaud, les 2 skieurs qui sont venus m’assister.

– Les membres du PGHM : Steve, Florent, Dr Jean Blanchard, le Pilote, et les autres dont je n’ai pas eu le nom et qui étaient présents sur le secours. Nous avons passé plus d’une heure avec Steve et Florent sur les lieux de l’accident entre l’évacuation de Jo et la nôtre. Vous avez su être à l’écoute, rassurants, bienveillants pédagogues !

– L’ensemble de l’équipe nous ayant accueilli à la base de l’Alpes d’Huez. Je n’oublierai pas leur professionnalisme et leur bienveillance.

– L’ami Greg, l’homme qui tombe à pic qui a eu la primeur de nos mésaventures. Outre l’aspect pratique pour récupérer la voiture, ça fait du bien d’évacuer tout ça rapidement ! 

– Tous les soignants du CHUGA qui ont assuré la prise en charge de Jo : la salle de déchoquage (IDE Marie), le scan, la salle de réveil (IDE Flora et Carla, Dr Laure Jannin) et le service de réanimation polyvalente chirurgicale (Dr Gilles Francony, interne Rémy, IDE Lauriane,…) – merci pour votre prise en charge, votre écoute, le prêt des téléphones, le séchage des chaussures, l’absence de jugement par rapport à l’accident.

A lire : Première partie : le récit complet de l’accident d’avalanche

NB : l’auteur de l’article a souhaité conserver l’anonymat.