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Au revoir Anto

La dernière fois que je l’ai croisé, c’était en septembre dernier à la Coupe Icare. Antony venait d’atterrir et avait tout juste pris le temps de retirer sa combinaison d’écureuil volant, façon Arturo Brachetti. Il venait de survoler le public du Plateau des Petites Roches, le nez en l’air, ébahi devant les hommes volants.

Longue tige de plus d’1m85, il était comme très souvent (comme toujours ?) accompagné de son double, Pablo Signoret, petite boule de muscle tout aussi tendue que lui vers la passion du BASE jump et de la wingsuit. Je ne me souviens pas d’avoir déjà ressenti un tel lien de fraternité entre deux gars. C’est donc aussi à Pablo que je pense en ces jours sombres.

Je n’ai jamais pu m’empêcher d’esquisser un sourire quand arrivait Antony Newton. D’abord parce que lui-même avait toujours la banane, à se demander si passer son temps à survoler le monde n’offrait finalement pas le recul nécessaire à l’optimisme. Mais un sourire aussi parce que je ne pouvais m’empêcher de penser à ce type dont le nom était inexorablement lié à la gravité et la théorie de l’illustre Isaac. Hasard ou conséquences, Antony passait son temps à repousser la théorie en défiant la gravité. Star des réseaux sociaux, son pseudo était Antygravity. 

Antony Newton en Chine, 2016. ©Ulysse Lefebvre

On l’a d’abord connu sur une sangle, slackline puis rapidement highline tendue entre deux parois, en montagne dans les Alpes, aux Natural Games de Millau, ou entre les parois abruptes de quelque vallée.

C’est dans l’une d’entre elles que je l’ai rencontré la première fois, dans un coin perdu du Sichuan, en Chine. En 2016, après être parvenu à convaincre mon éditeur d’alors qu’il serait intéressant de suivre une équipe de highliners, je m’étais retrouvé à Hailuogou. Le bout du monde. Le bout de la Chine. Je me demandais bien ce que je faisais là, où une « compétition » de highline avait été organisée par une société d’événementiel locale. Avec ses copains Nathan Paulin, Lucas Milliard, Théo Sanson et Guillaume Rolland, Antony était invité et commençait tout juste à vivre de sa passion pour le vertige.

Kiné de formation, il pressentait déjà que son activité principale, à terme, se passerait davantage au grand dehors que dans l’espace exigu d’un cabinet médical. Cette fois-là, Antony marcha plusieurs centaines de mètres au-dessus du glacier du Minya Gonkka (dont le sommet culmine à 7556 m). On l’apercevait à peine, même au téléobjectif, petit marcheur dans l’immensité d’un glacier tibétain pour toile de fond. Mais l’ambiance était incroyable. Tout comme celle du karaoké partagé dans un bouiboui du village, qui n’avait plus fermé si tard dans la nuit depuis très longtemps.

Antony traverse l’immense glacier du Minya Gonkka en Chine sur une highline, 2016. ©Ulysse Lefebvre

Au retour du périple, dans l’une innombrables mégalopoles que compte la Chine, toute la petite bande décida de s’essayer à la simulation de chute libre en soufflerie. Je crois que ce fut la première expérience d’Antony à l’horizontale, après la verticale de la slack. Marcher sur le fil ne lui suffisait plus. Il se concentra progressivement sur la chute libre depuis un avion, puis le BASE jump. Son apprentissage fut progressif et consciencieux. Avide aussi puisqu’en 2023, Antony avait réalisé plus de 2000 sauts en moins de quatre ans de pratique, soit plus d’un par jour. Il était même devenu instructeur à l’école de BASE jump unique en son genre, Rock Drop, fondée par Roch Malnuit. 

Son apprentissage fut progressif et consciencieux

Antony aux Natural Games de Millau, en 2016. ©Jocelyn Chavy

Le temps des records de distance sur slackline était révolu. Antony se consacrait désormais au BASE et à une vision à la fois athlétique et artistique de la discipline. Il ne cachait pas son inspiration issue des Flying Frenchies, autres acrobates de haut-vol. Lauterbrunnen, capitale de la discipline en Suisse, était devenu son camp de base et il y sautait régulièrement. Parvenant à vivre de sa passion grâce à ses sponsors, il faisait rêver des millions de personnes sur les réseaux, comme avec cette première « zip line humaine » en 2022.

Mardi dernier, Antony a sauté comme si souvent depuis un exit classique de la vallée. Pour une raison inconnue, il n’a pas pu ouvrir son parachute.