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Alex Honnold | Freerider en solo intégral

©UlysseLefebvre

Alex Honnold est l’un des meilleurs grimpeurs toutes générations confondues. Plus que la difficulté, c’est l’audace et l’ampleur des voies qu’il parcourt sans corde ni baudrier qui laissent rêveur. Freerider, escaladé le 3 juin dernier dans le Yosemite, en est probablement l’ultime épisode. Rencontre lors du festival de Ladek, en Pologne.

On fait quoi après Freerider en solo intégral ?

Et bien, c’est difficile d’imaginer un solo aussi… plus… d’une manière ou d’une autre mieux que Freerider. Tu sais, j’ai toujours voulu être un meilleur grimpeur, partir en expé… Mais je continue simplement à grimper comme j’aime le faire. Freerider doit être ce genre de truc dingue qui n’arrive qu’une fois. Je continue de trouver ça normal, de chercher de nouvelles trajectoires, d’autres projets intéressants. Ça ne date que de quelques mois maintenant et j’ai encore besoin de temps pour retrouver l’inspiration et me motiver sur autre chose.
j’ai encore besoin de temps pour retrouver l’inspiration

Tu connais bien la voie mais est-ce que tu marques les prises avant un tel solo ?

Oui bien sûr. La plupart du temps ce n’est pas utile mais il y a certains endroits où tu n’as pas le choix pour les pieds et il faut trouver la prise tout de suite. J’écris tout ça dans un journal. Je dessine la voie et les prises comme une véritable carte. Ca m’aide à retenir les mouvements.
nous avons grimpé les 35 longueurs en seulement trois « blocs » de longueurs

D’après toi, la principale difficulté est plus d’ordre technique ou mental ?

Là-haut, c’est plus le mental. C’est tellement risqué, tellement énorme. Il y a tellement de points d’interrogation. Quand j’ai commencé à penser à ce projet, c’était tout le temps des trucs du genre : cette longueur là je ne suis pas sûr. Celle-là non plus, celle-là non plus… Ça m’a pris du temps de cocher toutes les réponses à mes questions, jusqu’à ce que je me dise : bon, je pense que je peux le faire maintenant ! Mais c’est vraiment une voie énorme…
Là-haut, c’est plus le mental. C’est tellement risqué, tellement énorme.

Comment t’entraînes-tu pour trouver la sérénité nécessaire ?

Je fais beaucoup de solos dans des voies plus faciles. À une époque, je les comptais, je notais leur difficulté, celles dont j’étais le plus fier, les plus dures. Je dois en avoir grimpées une trentaine. Chaque année j’en ajoute une ou deux nouvelles.

Pour te trouver dans les mois qui viennent, il vaut mieux aller du côté du Yosemite, repérer ton van sur les routes du nord-ouest des Etats-Unis ou alors jeter un œil du côté de la Patagonie pour de nouveaux projets alpins ?

Et bien j’ai une maison avec ma petite amie depuis six mois environ… mais j’ai dû y passer trois jours tout au plus pour l’instant, donc plutôt le van oui. Et ma prochaine expé se passera du côté de l’Antarctique, en fin d’année…

Pourtant, ton solo dans Freerider tu le prépares depuis longtemps non ?

Oui mais pas comme Tommy sur le Dawn Wall. Je suis souvent allé dans Freerider  avec des amis. Je n’y ai vraiment travaillé que l’année précédant le solo, ce qui doit représenter 20 à 30 jours de travail. C’est probablement l’équivalent du travail de Tommy en une seule saison au Dawn Wall et c’est bien assez pour moi ! Je ne ferais pas ça pendant 7 ans comme Tommy.

Tu as affirmé que le Dawn Wall ne pourrait jamais être grimpé en solo intégral. Mais le faire encordé en un temps express, ça pourrait devenir un projet ?

Si je pouvais grimper du 9a+, oui peut-être. Mais pour moi ça reste trop dur pour l’instant. Adam Ondra est tellement fort, il a grimpé la voie en 8 jours avec une météo parfaite, il a été très chanceux de ce côté-là. Je ne peux pas faire ça. Et je ne veux pas vivre ce que Tommy Caldwell a vécu là-bas, à savoir attendre un an puis venir travailler la voie. C’est trop de travail et je préfère aller ailleurs.

A propos de Tommy Caldwell, vous avez grimpé Freerider ensemble quelques jours avant ton solo. C’était une sorte de dernière répétition ?

Oui, d’autant que Tommy est le grimpeur le plus rapide du monde. Et grimper en simultané ensemble (NDLR : le second démarre lorsque le premier est en bout de corde, sans faire relais), c’est ce qui se rapproche vraiment le plus du solo intégral. J’ai mis un peu moins de 4h pour le solo. Avec un autre ami, ça nous a pris 8 ou 9h. Avec Tommy, on a mis 5h30 (NDLR : quand le commun des grimpeurs met 4 jours en moyenne). Lui se refuse au solo, pour des raisons familiales notamment. Mais je crois qu’il aime bien qu’on grimpe en simultané ensemble car il a une petite impression de solo. Pour te donner une idée, nous avons grimpé les 35 longueurs en seulement trois « blocs » de longueurs (NDLR : soit trois relais sur 1000m).

Tu avais des repos ?

Oui, beaucoup. Il y a de nombreuses vires où tu peux t’asseoir. En solo c’est très facile de s’asseoir pour enlever les chaussons, remuer les orteils puis repartir. Aucune de mes pauses ne faisait plus de deux ou trois minutes.
Je ne veux pas entendre un cameraman me dire « Vas-y ! Tu vas y arriver ! »

Cela fait longtemps qu’on parle de grimper Freerider en solo dans le milieu du haut niveau. Comment un jour tu te dis que c’est bon, que c’est pour aujourd’hui ?

J’en ai rêvé pendant presque 8 ans. Le projet de film est arrivé et ça a été une sorte d’étincelle qui m’a mise au travail. Avant j’étais toujours du genre à me dire que je serai plus fort plus tard, que je le sentirai mieux, que ce serait plus facile. Mais la réalité c’est que je ne me sentais jamais à l’aise et qu’il fallait que je me mette au travail. Alors j’ai noté des programmes d’entraînement dans mon journal, et puis un jour je les ai tous terminés. J’ai alors atteint un point où continuer à m’entraîner aurait juste été de la procrastination. J’étais prêt, il fallait y aller.

Ladek Mountain Festival

Ce festival a lieu tous les ans en Pologne, depuis 22 ans. Peu connu en France, cet évènement est pourtant l’un des plus anciens en Europe. Surtout, il se nourrit d’une culture montagne très forte en Pologne. Les Kurtyka, Kukuczka, Wielicki et Bielecki ont contribué à forger la réputation des alpinistes polonais depuis les années 70, jusqu’à nos jours, avec l’expédition en partance pour le K2 hivernal cette saison. Lors de cette XXIIe édition, toutes les figures nationales étaient présentes à Ladek, mais aussi d’autres stars internationales telles qu’Alex Honnold, Adam Ondra ou encore les belges Nicolas & Oliver Favresse, Sean Villanueva et l’espagnol Alex Txikon. Avec plus de 80 intervenants de tous les domaines de la montage et la projection d’un vingtaine de films pendant quatre jours, c’est l’un des festivals européens les plus pointus en la matière.