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Jean-Louis Laroche : un mentor nous a quittés

©Florence Lelong

Il y a des hommes aussi bons que discrets. Jean-Louis Laroche faisait partie de ceux-là. Alpiniste, grimpeur, skieur, Jean-Louis était surtout passionné par l’idée de partager la montagne, en tant que guide mais aussi en tant qu’auteur de topos et journaliste. C’est dans ce cadre là que nous avions beaucoup travaillé ensemble il y a quelques années. Il y a quelques jours, Jean-Louis est parti sans prévenir, dans ces Calanques qu’il aimait tant. Et il y a quelques décennies, c’est à François Damilano qu’il mettait le pied à l’étrier, avec la suite que l’on connait. Il lui rend ici hommage.

 

Dans la mythologie grecque, Mentor est le précepteur de Télémaque et l’ami d’Ulysse. Par assimilation, un mentor est un conseiller expérimenté, attentif et sage auquel on fait entièrement confiance.

 

Louis – nous t’appelions tous Louis ou Luigi.
En paroi, au bivouac ou en bagnole, tu aimais bien distiller une petite tirade cultureuse. Alors je ne me prive pas de ce clin d’œil, toi qui fut un mentor de mes jeunes années grenobloises. Débarquant de ma plaine natale à la toute fin des années soixante-dix, tu as été de ceux qui m’ont ouvert les portes d’un univers dans lequel je tentais de me glisser.
Tu étais guide, prof de sport, barbu, carré, enthousiaste. Tout cela sans hiérarchie dans mon regard. Tu avais cette carrure de gros nounours et ces mains costaudes qui impressionnaient le grimpeur freluquet que j’étais.
Nous sous sommes rencontrés en plusieurs fois. Des fois déterminantes.

Début d’été pourri. Avec mon compagnon de cordée d’alors nous hésitons parmi les pages des « 100 plus belles des Alpes du sud ». Où aller pratiquer l’alpinisme sous un ciel clément ?
– Mais les gars, c’est au Verdon qu’il faut descendre. C’est là-bas que ça se passe !
– T’es sûr ?
Dans ta petite maison de Venon, tu installes vite fait le projo entre ton piano et les piles de bouquins, tu chopes deux paniers à diapos déjà remplis et tu nous balances les falaises mythiques en pleine poire. L’éperon sublime, Le pilier des écureuils, La demande, Roumagaou. Du vide partout, des dalles de calcaire gris et jaune, les gros nuts à la ceinture, le bandeau seventies dans la crinière. Tu nous montres, tu nous expliques, tu nous incites.
Cette fois-là, tu as apaisé nos craintes et La Palud est devenu notre camp de base de quelques années insouciantes.

Voie des Autranais
Le maitre m’a adoubé en m’envoyant devant
pour quelques longueurs de fissures compactes.
Cordée formée.
À la vie.

Printemps étudiant. Je suis davantage obsédé à trouver des occasions de découvrir les falaises alentour qu’à me plonger dans les bouquins abscons de psycho-péda. Patrick, « un grand » de troisième année, m’invite à me joindre à sa virée du lendemain sur une improbable paroi sombre du Vercors Nord.
– J’y vais avec un gars que t’as déjà croisé, Jean-Louis Laroche. Ça te dit ?
– Pour sûr !
Je me joins au duo comme à une épreuve d’exam. Faut pas décevoir. Les compagnons de cordée ne font pas florès et les réseaux sociaux ne sont pas même encore imaginés. Je ne suis pas issu du sérail et grimper avec un guide est un privilège.
J’ai pas été déçu. Répétition de la Voie des Autranais. Le maître m’a adoubé en m’envoyant devant pour quelques longueurs de fissures compactes. Cordée formée. À la vie.
Ça n’a plus arrêté Louis. Tu nous as refilé le virus de Buoux et la Sainte (Victoire), puis tu m’as fait sillonner les grandes voies mixtes de l’Oisans. Et puis la montagne. Tranquille au bivouac, bonne bouffe, p’tite clope ; au pas de course le lendemain – solo à deux de rigueur, la corde salvatrice à portée de main mais rarement sortie. Putain, quelle confiance ! Et les Calanques… qui t’aimantaient autant que les pizzas gloutonnées au sortir de Morgiou et servies par la grosse patronne de Chez Zé à deux pas des Baumettes…

C’est bonnard, c’est bonnard !

Hiver 81. Grand beau froid. Départ de nuit – comme pour une grande course – approche à ski de rando. Cascade de glace. Je n’ai ni les codes, ni les infos. Supercramp, Alpe d’Huez. Jean-Louis devant. Mur compact. Coques plastiques et crampons à lanières aux pieds. Signe de modernité : tu t’es saisi d’un Chacal dans chaque main. Sangle plate judicieusement enroulée autour du poignet en guise de dragonne.
De ce moment fondateur, je ne me souviens que du contraste bleu et blanc. Bleu du ciel, limpide et tranchant. Blanc de la glace, éblouissante et épaisse. Bleu des bleus de travail qui nous servaient alors de tenue de grimpe, uniforme anarcho-prolo qui sied bien à nos âmes post-soixante-huitardes.
Au retour de la journée, visite de courtoisie au maitre des lieux : Godefroy Perroux. Godefroy t’avait initié à la cascade le week-end précédent. God deviendra mon grand compagnon de cordée quelques année plus tard. Quand elle sait être légère, la vie est une grande farceuse.

©Florence Lelong

Ton enthousiasme Louis.
– C’est bonnard, c’est bonnard !
Cet enthousiasme qui mêlait écriture et photos à chacune de tes virées en montagne. Parce qu’il fallait prolonger et partager cette passion dévorante. Tes notes minutieusement compilées et tes images patiemment archivées sont devenues des livres et des articles. Nombreux, appréciés, incontournables. Formant cordée indissociable avec Flo, les « Laroche-Lelong » sont des ouvrages références, jusqu’à détrôner les « 100 plus belles » de nos débuts. La minutie du détail, le renseignement vérifié, la juste description, le texte ciselé, le pastel évocateur.

Ton enthousiasme Louis.
Celui que tu distillais à loisir.
Mais celui aussi qui cachait tes doutes. Profonds, envahissants, aveuglants.
Cette fois, ils ont été trop lourds. Si lourds qu’ils ont noyé ta grande carcasse.
Et tu nous as laissé sur le rivage.
Adieu Luigi.