Il y a de ces paradis sur terre qui valent tout l’or du monde. Parfois, la chance veut que nous vivions à leurs pieds (ou pas loin du moins…) et puissions en savourer les différentes parures au fil de l’année. Un manteau blanc hivernal abondant, une météo printanière étonnement précoce, un soleil quasi estival… Toutes les conditions étaient réunies pour une splendide randonnée au Refuge de Presset.
Bien avant de chausser, on se met d’accord sur le projet entre participants : le mot d’ordre sera “contemplation”. L’ironie de la vie, qui en est rarement avare, aura fait que c’est sur un parking goudronné au milieu des pare-chocs que les esthètes se sont rencontrés… Qu’importe le préambule bitumé, qu’on ait l’ivresse des montagnes. Cela annonce de jolies perspectives et, par la même, lève quelques potentielles dissonances sur le tempo. Les Pars comme point de départ, nos pieds partent à plat jusqu’au Bon Pas. La mise en jambes est un bonbon sucré qui se suçote progressivement à la douceur du réveil matinal. Ensuite, sortis de la forêt, c’est le bon œil qui se réjouit de la vue en profondeur. Le Vallon du Forand est bordé par Le Grand Châtelet, Le Roignais et le Mont Rosset. Le »r » roulent, les skis glissent. “Et, au fond, tu as la Pointe de Gargan ” nous complète notre régional érudit de l’étape. Le peintre paysagiste n’a utilisé ici que trois couleurs pour l’ensemble : le blanc, le brun et le bleu. “Less is more ”. Le minimalisme (re)met en exergue les beautés escarpées, là où certains alpinistes n’y verraient que des défis verticaux à relever.
Bleu, blanc, bière
Avec les chaleurs diurnes, les pentes ont fait valoir leur droit à la purge. En combe, les avalanches de fonte dignes d’un mois d’avril jalonnent notre itinéraire. À chacune son heure selon l’exposition, sa couleur selon son parcours descendant. Un slalom à la montée : chaque sortie réserve décidément sa surprenante singularité. Coulées printanières, corniches, reptations et gueules de baleines… On a le powerpoint de prévention de l’ANENA en plein sous les yeux. La vigilance ne se fait pas duper par la splendeur et impose de prendre ses distances. Au carrefour de la Combe de la Nova, la Pierra Menta, totem beaufortain, surgit comme un premier trophée. Une courte montée et les pupilles s’autorisent une pause dilatatrice au Refuge de la Balme. De toute évidence, nous ne sommes pas les premiers et encore moins les seuls à avoir eu l’envie de venir dans le secteur. Cela fait 15 jours que le ciel n’a pas pondu un flocon et la neige n’a plus rien d’immaculée. Lacets et godilles plus ou moins serrées ont été dessinées sur la moindre inclinaison. Les skieurs, eux, ne sont pas contrariés par le syndrome de la page blanche. Un dernier faux-plat annonce notre abri du soir. Le mercure commence à chauffer et, en même temps que nous nous approchons du refuge, la sensation de la bière fraîche coulant dans la bouche atteint alors le sommet de nos motivations. A chacun sa carotte.
Certes, il y a eu un peu de vent mais les yeux ne trompent pas : nous sommes heureux.
“Bienvenue à Presset ! ” Sortant des coulisses, Sandra, la gardienne, nous accueille avec un sourire qui nous irradie. Le refuge a rouvert depuis une poignée de jours mais la fatigue du ravitaillement en héliportage n’entache en rien sa positivité. Elle gère depuis 1999 avec la même passion et savoure son nouvel outil de travail construit en 2013. C’est vrai qu’il en jette ! Les architectes ont pensé aux montagnards en quête de réconfort en leur offrant une terrasse belvédère qui justifie la moindre goutte transpirée pour arriver jusqu’ici. Ne reste plus qu’à jouir de la vue panoramique sur le vallon de Presset, la Vanoise en arrière-plan et, pour les yeux les plus perçants, les Écrins.
le Mont Rosset et la Pierra Menta © L’Oeil d’Édouard
Au fil de l’après-midi, on ne se lasse pas de cet enivrant paysage. La détente musculaire et les breuvages houblonnés doivent vraisemblablement aussi participer un peu de cette béatitude… Le coucher de soleil derrière la Pierra Menta est un spectacle qui illumine autant qu’il stupéfait. Deux temporalités se combinent. Celle, immuable, de la montagne rocheuse escarpée et l’autre, lente et douce, des nuances changeantes des couleurs pastels, se réchauffant avant de s’éteindre. Les premières étoiles apparaissent, en même temps que les phares de dameuses de La Plagne… Amusant ballet et curieuse symétrie révélant l’agitation humaine face au macrocosme céleste. Puis, le corps nous ramène à des considérations plus terre-à-terre avec de délicieuses pâtes à la carbonara et champignons, spécialité gastronomique de notre hôte. Il y a un temps pour tout, l’existentialisme passe aussi par l’estomac !
Esthètes à domicile
Le lendemain, l’objectif du jour est d’aller chercher la “bonne neige” en face Nord. On part en direction du petit Col de Grand Fond, moins raide que son grand frère occidental et donc moins glissant avec le regel nocturne. De plus, situé au pied de l’Aiguille de la Nova, la neige y est moins exposée au soleil durant la journée. Arrivés aux 2622 mètres d’altitude, la Combe de la Neuva se déploie et conduit le regard jusqu’au Massif du Mont Blanc. Le tableau est sublime, pastel et silencieux. La descente tient ses promesses. Le tapis est une fine couche légère qui met notre glisse en apesanteur. Le bonheur d’exister tient notamment dans ces expériences. 400 mètres plus bas, on se retrouve tous avec une larme à l’œil (et la goutte au nez). Certes, il y a eu un peu de vent mais les yeux ne trompent pas : nous sommes heureux. De la joie individuelle de la glisse, nous avons le plaisir de la partager ensemble.
L’Aiguille de la Nova © L’Oeil d’Édouard
Dans ma tête résonne les propos du jeune padawan frétillant croisé quelques jours plus tôt. Celui qui vantait la valeur suprême du “vrai ski”, pour qui véridique n’avait d’autre synonyme que technique. A cela, j’y préfère assurément l’esthétique. Celle qui est capable de faire autorité sur mon cerveau reptilien en me faisant lever plus tôt qu’il ne le voudrait, me faire gravir des montagnes pour après devoir les redescendre… D’ailleurs, ces 400 mètres de dénivelé négatif, il faut justement les remonter maintenant. Moins grandiloquente, la vue Sud n’a rien à envier à son envers. Plus subtile et graphique avec des enchevêtrements de lignes et contre-courbes, de reliefs soulignés de valeurs de blancs. Il y a quelque chose d’édénique à cet endroit et nous sommes absolument seuls dans ce décor hors du temps. La Brèche de Parozan a même des allures de porte sacrée digne de certains récits mythologiques.
Comme dans sa version estivale pédestre, le Col du Grand Fond offre une vue imprenable sur Presset. Il est également synonyme de 1250 mètres de descente. Un arrêt casse-croûte au refuge et un “au-revoir et encore merci pour l’accueil” à Sandra, et on reprend la pente tangente. La neige commence déjà à se transformer, ramollissant tant bien que mal l’autoroute traffolée. Le faux-plat façon tire-fesses de la fin de l’itinéraire a pour (unique) intérêt de pouvoir jouer aux sept erreurs en découvrant les nouvelles coulées depuis la veille. Une raison de plus pour ne pas traîner…
Topo
– Départ : Les Pars – Carte IGN : Massif du Beaufortain Moûtiers La Plagne – IGN 3532OT
– BRA : Massif du Beaufortain
– Durée : 2 jours
– Dénivelé : 1700 mètres cumulés sur 23 km (J1 : 1100 m d+ sur 8 km – J2 : 600 m d+ / 1700 m d- sur 15 km)
– Nuit et repas : Refuge de Presset