Dans quelques jours, un système unique de réservation pour les refuges de la voie normale du mont Blanc sera ouvert. Ces nouvelles règles sont le fruit d’une concertation entre la Préfecture de Haute-Savoie, la FFCAM, qui gère les refuges, le maire de Saint-Gervais, et des experts comme l’ENSA et le PGHM. Si vous souhaitez gravir le toit de l’Europe cette année, vous devrez respecter obligatoirement ces règles à partir du 24 mai 2019. Explications détaillées avec Nicolas Raynaud, président de la FFCAM.
La FFCAM met en place un dispositif unique de réservation nominative obligatoire dans les refuges situés sur la voie normale du mont Blanc, à savoir du Nid d’Aigle (20 places), de Tête Rousse (74 places) et du Goûter (120 places). Les réservations seront nominatives. Un client faisant le mont Blanc avec guide pourra changer le nom du guide (jusqu’à 48h avant, via le compte client), mais la réciproque ne sera pas possible : ce qui est une grosse nouveauté pour les agences et compagnies de guides, qui devront réserver au nom du client et pas au nom du guide. Surtout, chaque personne ayant réservé devra emmener dans son sac à dos un récépissé individuel nominatif, ou montrer le fichier PDF sur son smartphone. Autrement dit, la preuve que la réservation a bien été faite en cas de contrôle. Dans les refuges, les gardiens demanderont les identités des personnes se présentant, de manière à vérifier que la réservation correspond à l’identité présentée. Le dispositif s’inspire de celui mis en place dans les gorges de l’Ardèche, qui oblige les candidats à la descente en canoë à réserver leur place sur les bivouacs autorisés, mais qui les laisse libre de descendre la rivière sans « permis » ou « autorisation », s’ils effectuent le parcours dans la journée.
Sortir du paradigme du Goûter
Nous avons interrogé le président de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM) début avril. Nicolas Raynaud explique le dispositif. « L’idée est d’avoir une gestion cohérente de la voie normale, comprenant tous les refuges et pas seulement le Goûter. » Il ajoute : « il faut sortir du paradigme du Goûter. Il n’y a pas que le Goûter, ce qui veut dire que d’autres stratégies d’ascensions peuvent être prises en compte par les candidats au mont Blanc. » Il y aura « quatre vagues d’ouverture de réservations », soit quatre journées durant lesquelles on pourra réserver sa place pour les mois d’été, le refuge du Goûter n’ouvrant que fin mai : ce sera les 18 et 25 avril pour les guides, et les 30 avril et le 3 mai pour le grand public. Il s’agit d’être prêt : les réservations effectuées par le canal professionnel en 2018 pour la saison 2019 sont maintenues, et il y aura 14000 places au total disponibles. Nicolas Raynaud tient à préciser : « l’expérience nous enseigne que toutes les places ne seront pas vendues lors de ces quatre vagues. D’habitude, il reste souvent de la place en dehors de la période 15 juillet-15 août ». Et bien sûr, le dispositif unique permet de réserver une nuit au Nid d’Aigle ou à Tête Rousse, à la montée ou à la descente, en cas de refuge du Goûter complet. Alors, ce nouveau système sera t-il la panacée ?
L’idée est d’avoir une gestion cohérente de la voie normale, comprenant tous les refuges et pas seulement le Goûter. Nicolas Raynaud
Embarquement (pas) immédiat pour le mont Blanc
Dans l’esprit de la FFCAM, ce dispositif de gestion unique de la voie normale pourrait devenir, à long terme, un « portail » web du mont Blanc. Avec par exemple, des infos et des réservations possibles dans d’autres refuges à des dates données comme complètes pour le Goûter. Bref, un système qui réagirait comme certains portails de réservation de billet d’avion, où l’internaute peut soit changer de date soit changer de destination en quelques clics, en fonction du niveau de réservation en temps réel. Par ailleurs, la FFCAM attend la décision de la municipalité de Saint-Gervais quant à l’attribution de la Délégation de Service Public (DSP) pour la gestion du refuge du Nid d’Aigle (20 places). « Une DSP qui sera attribuée ou non à la FFCAM, mais un refuge dont la FFCAM a accepté la gestion du système de réservation quoi qu’il arrive » souligne Nicolas Raynaud. Pour l’instant, l’ensemble du dispositif de réservation a un coût global de « cent mille euros » d’après la FFCAM, entre ses salariés qui travaillent le dossier et le logiciel de réservation lui-même. « Le refuge du Goûter, c’est comme un avion. Il faudra une réservation pour monter » dit le président de la FFCAM, reprenant les mots de J.-M. Peillex. Qui va contrôler les passagers ?
Le refuge du Goûter, c’est comme un avion. Il faudra une réservation pour monter.
Face aux « risques graves d’atteinte à l’ordre public » et suite aux arrêtés tentant de réguler l’accès au sommet l’été dernier, la préfecture avait mis le feu aux poudres à la fin de la saison 2018 en annonçant cartes sur table ce qui était bel et bien un permis. Le service de presse de la Préfecture de Haute-Savoie publiait ceci en septembre dernier : « il s’agit bien de mettre en place une déclaration de passage devant faire l’objet d’un contrôle sur les points d’entrée et de passage de l’itinéraire, comprenant l’indication du parcours de l’ascensionniste » et au choix, preuve des réservations en refuge, ou engagement sur l’honneur à faire le sommet sans nuitée. Ce communiqué de presse officiel a depuis disparu du site internet de la Préfecture : il n’en reste plus de trace et pour cause, dans la version 2019 les angles ont été arrondis. Pour le moment, seul un « justificatif », autrement dit la preuve de la réservation dans l’un des refuges, pourra être demandée. Ce n’est pas un permis, même si on joue, un peu quand même, sur la sémantique.
Aujourd’hui, les arrêtés préfectoraux sont encore à l’étude mais tout indique qu’ils sortiront avant l’ouverture du Goûter, le 25 mai. Ce qui est sûr, c’est que des contrôles seront effectués sur la voie normale, y compris sur les guides. Qui va contrôler ? Des gendarmes du PGHM sont annoncés. Ils vérifieront la possession du justificatif de réservation. Et de même, comme l’a annoncé Jean-Marc Peillex, une « brigade blanche » qui serait composée d’agents assermentés recrutés par la mairie de Saint-Gervais.
Mont Blanc : on distingue le refuge de Tête Rousse et celui du Goûter, sur l’Aiguille du même nom. ©Jocelyn Chavy
Un autre point demeure flou : le camping du refuge de Tête Rousse. Celui-ci, avalisé par la mairie et bizarrement géré par la gardienne du refuge, sera à nouveau ouvert en 2019 mais limité à 40 personnes en tout et pour tout. Ce camping devrait être comptabilisé dans le dispositif de réservation unique, et la FFCAM compte bien l’intégrer à la gestion du refuge lui-même. En l’occurrence, il s’agit d’augmenter de près de 40% le nombre de personnes à Tête Rousse (74 places dans le refuge) qui utiliseront les commodités du refuge, tout en campant à l’extérieur.
Nicolas Raynaud ajoute qu’après la dernière vague de réservation (le 3 mai), et sous les trois semaines, il sera possible de contacter le gardien du refuge du Goûter pour réserver une place (sur liste d’attende), « comme avant ». Il s’agit aussi, avec le dispositif unique, d’encourager les candidats au mont Blanc à tenter l’ascension dans les périodes creuses et pourtant favorables comme septembre.
Dernier point, la préfecture annonce la réalisation d’un balisage luminescent pour sécuriser l’itinéraire (pour éviter les variantes initiées par des alpinistes ne connaissant pas les lieux), différent pour la montée et pour la descente. Suivant une inspiration de François Marsigny, au titre de l’ENSA, il s’agit d’indiquer par des marques visibles la nuit le cheminement à travers les éboulis et rochers du couloir du Goûter, et de distinguer un sens de montée d’un sens de descente. Avec deux objectifs : éviter que ceux qui descendent ne s’égarent et ne mitraillent de pierres ceux qui montent. Et inciter les alpinistes à circuler à l’aube ou au crépuscule, dans ce secteur encore plus dangereux aux heures chaudes de la journée.
Enfin, Nicolas Raynaud se dit favorable à la mise en place d’un « kiosque d’entrée entre le Nid d’Aigle et le refuge de Tête Rousse ». Une porte d’entrée comme on en trouve ailleurs (à l’Everest, au Kinabalu, etc) et dont les agents n’auraient pas pour mission unique de contrôler les reçus de réservations mais aussi et surtout d’informer le public… C’est peut-être malgré tout une solution pour que la pédagogie accompagne ce qui sonne aussi comme un contrôle toujours plus étroit de l’espace de liberté qu’est la montagne.