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Quatuor à cordes au Lobuche

Première dans le Khumbu

C’est l’histoire de quatre jeunes alpinistes Français qui ont soif d’aventures. Dans le massif du Khumbu, près de l’Everest, « le quatuor à cordes » a joué sa partition sur le Lobuche, 6145 mètres. À la clé, un bel itinéraire vierge pour Antonin Cecchini, Laurent Thévenot, Aurélien Vaissière et Symon Welfringer. 

En ce 7 octobre 2018, nous embarquons dans un petit coucou en direction de Lukla, village seulement accessible à pied ou par voie aérienne. Cette étape marque le départ de 5 journées de trek en direction du camp de base, nous marchons à raison de 3 à 5h par jours accompagnés de nos porteurs bien chargés. Nous avons fait le choix de porter le strict minimum pendant cette première phase de l’expédition pour optimiser au mieux notre acclimatation. L’altitude est clairement le paramètre le plus excitant dans ce voyage mais est également ce qui nous fait le plus peur. Deux membres de l’équipe n’ont jamais exploré la haute altitude, et pour les deux autres, les précédentes expériences sont mitigées. Nous avons avec nous 6 porteurs qui nous accompagnent jusqu’au camp de base que nous établissons à Dzongla, situé au pied de notre objectif premier, la face nord du Cholatse.

 

Le quatuor rassemblé pour le Lobuche. ©Symon Welfringer

Échauffement népalais

Pour parfaire notre acclimatation, nous nous engageons sur les pentes de la voie normale du Lobuche. Nous respectons les conseils que nous avons eu, et nous montons maximum de 300 à 400m de dénivelé par jours. La montée est peu technique, la principale difficulté étant le poids de nos sacs. Nous avons essayé d’être le plus léger possible, mais sans lésiner sur le confort. Nos journées sont essentiellement remplies de lectures et siestes ponctuées de repas alléchants. Nous avons la chance de trouver de fabuleux spots de bivouac. Le premier proche d’un lac, le deuxième au pied d’un glacier et le dernier sur une petite plateforme qu’il faudra terrasser. Quatre jours après être parti nous arrivons au sommet et redescendons au camp de base dans la journée.

Prêts physiquement et mentalement, nous pouvions nous pencher vers des projets plus ambitieux. Dans un premier temps, nous voulions gravir la face nord du Cholatse mais les conditions dans le Khumbu cette année sont très mauvaises pour les itinéraires en face nord à cette altitude, la mousson a été quasi inexistante et les faces sont restées très sèches. Nous partons donc à la recherche d’un nouvel objectif. Au camp de base, nous sommes entourés de montagnes, les possibilités sont multiples, après plusieurs journées de discussions et d’observations aux jumelles, nous avons trouvé notre nouvelle destination. Nous évoluons lentement, chargés comme des mules, pour aller bivouaquer au pied de la face sud-ouest du Lobuche East. Les observations effectuées à la jumelle et au drone nous donnent une idée très précise de la voie que nous voulons suivre le long de ce pilier.

La suite est un savant mélange de souffrance, congélation et peur, mais le bonheur est à l’arrivée.

Petite maison de toile perdue sur la montagne.
©Symon Welfringer

Grimpe à mains nues ou à piolets ? Les deux ! ©Symon Welfringer

Slalom vertical

Le réveil sonne dans le silence, il est 4h. Nos premiers pas sur cette montagne se feront de nuit. Nous naviguons tant bien que mal le long de pierriers ponctués de ressauts rocheux pour atteindre la base du pilier et commencer réellement l’escalade. Les longueurs s’enchaînent plus majeures les unes que les autres, le rocher est compact et d’excellente qualité. Quand le soleil pointe alors le bout de son nez, le plaisir est décuplé et la suite de l’itinéraire est sur le même ton. Nous sommes assez en avance sur l’horaire prévu pour rejoindre notre emplacement projeté de bivouac et en profitons pour escalader des fissures raides et magnifiques plutôt que de monter au plus facile. Rien d’extrême en termes de niveau, des longueurs dans le 4/5 avec un 6a sur la fin pour cette première journée, mais le tout en chaussures d’alpinisme avec nos sacs encore bien chargés rend l’effort orgasmique.

Nous atteignons l’emplacement de bivouac prévu un peu avant la nuit, le temps d’admirer un coucher de soleil sur les plus hautes montagnes du monde. Mais le gros morceau est pour le lendemain, la suite du pilier semble très raide.

Notre entente sans faille, cette voie en conditions parfaites, tout ça a l’air trop beau pour être vrai. On se rend vite compte, tout là-haut, que tout peut basculer l’espace en un instant.

Sensations mixtes.  ©Symon Welfringer

Perchoir avec vue. ©Symon Welfringer

Nous avons bien dormi, le froid est là, nous sortons de nos duvets et commençons à nous préparer. Fin des contemplations, il faut s’activer. Dès la seconde longueur après le bivouac, nous sommes au pied d’une longueur très complexe. Une dalle presque verticale sans fissures apparentes. Pour les longueurs de ce type, j’ai pris avec moi une paire de chaussures d’approche pour pouvoir grimper avec plus de précision. Je pose mon sac et me lance alors, les pieds à moitié gelés par le froid matinal dans le début de cette dalle à friction. Ce petit 6b à 5700m sans chaussons laisse quelques traces. Tout le monde remonte alors à la poignée jumar pour me rejoindre le plus rapidement possible et limiter les risques.

Nous nous pensons sortis d’affaire en espérant retrouver des fissures moins techniques pour la suite de l’ascension. Mais c’est sous un énorme toit que nous atterrissons maintenant. Je pense d’abord à le contourner pour grimper en libre mais l’engagement est trop important. Je me lance donc pour une superbe longueur d’artif zigzaguant entre ces gros toits. Un peu effrayant mais les encouragements des trois lascars d’en bas sont enivrants. J’en finis tant bien que mal avec cette longueur crux que nous coterons A2. Les compagnons me rejoignent. La suite déroule mieux, on retrouve des longueurs similaires à la veille dans le 5. Nous arrivons alors au pied d’une longueur de mixte qu’Aurélien négocie avec brio, ce qui nous permet d’accéder aux pentes de neige sommitales.

Juste assez de glace pour brocher. ©Symon Welfringer

Si proche du sommet, les mille premiers mètres de la face sud-ouest du Lobuche se dérobent sous mes pieds. Tous les mètres je tente de poser une broche à glace, en vain. J’ai l’impression de visser ma protection à même le rocher. Ce n’est en aucun cas la qualité de la glace qui fait défaut, c’est mon état physique, après ces deux journées interminables d’escalade, il refuse d’en donner plus. 40 mètres au-dessus de ma dernière protection, je peine à remonter la pente de neige sommitale … L’espace d’un instant je sens une certaine peur, une inquiétude qui m’envahit. Tout a déroulé jusque-là, peut être presque trop bien. Notre entente sans faille, cette voie en conditions parfaites, tout ça a l’air trop beau pour être vrai. On se rend alors vite compte, tout là-haut, que tout peut basculer l’espace d’un instant. Je plante mon piolet dans la neige, le triangule avec une mauvaise broche et fait venir Antonin pour qu’il me relaie. Il reprend les rênes de la cordée, comme chacun de nous quatre a su le faire au cours de ce voyage, il relance la motivation lorsque le morale des autres est plus bas.

La suite est un savant mélange de souffrance, congélation et peur. Mais clairement, une fois là-haut, c’est le bonheur qui prévaut, le bonheur d’avoir partagé une telle aventure à quatre. De la grimpe, du mixte, de la glace et de la neige pour venir à bout des 1100m du pilier Sud-ouest du Lobuche East (6120m). Et ainsi former, « Le quatuor à cordes »

En haut, le sommet mais aussi en quelque sorte, l’Eden que nous étions venus chercher.

Au lendemain de cette belle réalisation, manger et dormir ont rempli l’essentiel de nos journées. La météo restait au beau fixe et le potentiel d’ouvertures sur les sommets proches de notre camp de base était encore conséquent. Pendant notre ouverture sur le Lobuche, j’avais aperçu sur une montagne en face une belle ligne blanche qui semblait être une goulotte. Après avoir jumelé depuis le bas cette potentielle ligne, nous étions peu convaincus par son esthétisme. Mais la motivation d’être dans un tel endroit nous poussa, Laurent et moi à tenter le coup et aller voir de plus prêt à quoi ressemblait cette ligne.

Le quatuor a la banane : sommet ! ©Symon Welfringer

Grimper, c’est aussi rester concentré sur la descente. ©Symon Welfringer

Après une approche des plus chaotiques dans des gros blocs enneigés, notre surprise fût des plus grandes en découvrant une goulotte cachée au fond de ce couloir et des longueurs de glaces qui se succédaient. Au fur et à mesure que nous avancions, nos sourires s’agrandissaient passant du couloir de neige en super condition à des longueurs d’escalade entre glace et rocher. Cependant, la glace restait bien discrète par endroits rendant plusieurs longueurs assez engagées. Nous avons estimé à 4+ et M5 les cotations glace et mixte de cet itinéraire. Arrivés en haut, vers 5850m, nous avons découvert un dôme neigeux constituant le sommet mais aussi en quelque sorte, l’Eden que nous étions venus chercher.

Ce mois de voyage a été une expérience unique, partager tous ces moments à quatre a décuplé les plaisirs. Cette belle entente nous motive à repartir pour aller voir ce qu’il se passe un peu plus haut.

L’itinéraire du quatuor sur le Lobuche. ©Symon Welfringer