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Pourquoi nous aimons gravir les montagnes # 3

Abécédaire de l'alpinisme

Avec Pourquoi nous aimons gravir les montagnes, Marco Troussier revient sur les motivations des alpinistes, au-delà de la fameuse réplique de Mallory, parce qu’elles sont là. Paru aux éditions du Mont Blanc, ce livre a pris la forme d’un abécédaire forcément non exhaustif, qui dessine la carte générale et parfois intime d’une passion pour l’alpinisme. Troisième et dernier extrait.

Pourquoi nous aimons gravir les montagnes, Marco Troussier, éditions du Mont-Blanc, 224 p, 14,90 €

Rêve

 

« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde visible. » (Gérard de Nerval)

Il est étrange de constater à quel point on peut être habité par des montagnes ou des parois. Nous sommes tous nourris d’images et de récits, puis des sensations que procure l’expérience.

J’ai eu des rêves, j’ai souhaité fouler certains sommets, j’ai espéré arpenter des lieux mythiques. J’ai attendu d’avoir quarante ans pour me rendre dans la vallée du Yosemite, ce site emblématique et fantasmé, que je connaissais depuis l’adolescence par des images qui m’avaient fasciné. Le livre Master of Rock m’avait souvent transporté sur le granit américain. La lecture épisodique de la revue Mountain, religieusement achetée à la librairie des Alpes à Paris, était un moment intense car j’en traduisais les articles avec un dictionnaire à portée de la main, ce qui m’a fait réviser mes cours d’anglais mieux que n’importe quelle leçon.

Je découvrais des jeunes californiens souriants et imposants. Ils avaient les cheveux longs, le front ceint de bandeaux, ils s’arrachaient les bras, qu’ils avaient musculeux, dans des fissures coupées au cordeau ou sur des parois dotées de lignes fuyantes. Ils vivaient dans un univers d’équilibristes et de funambules. Ils grimpaient en solitaire sur des reliefs qui n’existaient pas chez nous.

Ces images entraient en résonance avec les récits de certains de mes compagnons de cordée de retour de grands voyages sur les murs intimidants de la Valley.

Puis le Verdon est entré dans ma vie, sa raideur m’a délivré de la peur du vide, en même temps j’ai assidûment fréquenté le granit qui m’a semblé moins raide.

J’avais la certitude, car j’étais habité par les images des big walls, qu’il me faudrait un jour accomplir mon pèlerinage à une des sources de l’escalade libre, un de ces points alpha qui nous attirent toujours, que l’on ne peut abandonner avant d’y être allés et d’en être revenus plus ou moins changés.

Le Verdon est entré dans ma vie, sa raideur m’a délivré de la peur du vide.

Comme d’autres avant moi je suis parti vers El Capitan, non pas comme un premier communiant qui redoute de rentrer dans l’église avec son aube blanche, pas plus comme l’aspirant bachelier qui compte sur un oral de rattrapage pour posséder le sésame qui lui ouvrira un peu la porte de l’indépendance, pas non plus comme un jeune homme timide qui découvre pour la première fois le corps nu d’une femme. Non, j’y suis allé avec la tranquille assurance de celui qui en a déjà vu d’autres et ne redoute pas spécialement cette entrevue mais compte bien profiter au maximum d’une visite en Terre sainte car on n’est jamais sûr d’y revenir.

J’avais cette assurance tranquille en passant la guitoune des rangers à l’entrée du parc. Même en voyant surgir du fond de la vallée cette muraille de granit, je me suis senti un peu chez moi, mon désir de passer quelques jours sur les flancs d’El Capitan a été multiplié.

Toutes les images que j’avais emmagasinées, tous les récits que je m’étais traduit, tous les articles que j’avais pieusement consultés, ont fait que je me suis senti tout de suite à l’aise dans ce qui m’est apparu comme un second Verdon. (…)

Pourquoi nous aimons gravir les montagnes de Marco Troussier, éditions du Mont-Blanc, 224 p, 14,90 €

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