Il était l’autre virtuose du solo intégral, version dirt-bag, un vrai. Celui que l’on a souvent sollicité pour une interview mais qui demeurait insaisissable, toujours sur les routes pour grimper, sa raison de vivre. L’américain Brad Gobright (31 ans) est mort ce mercredi 27 novembre 2019 alors qu’il descendait en rappel dans El Sendero Luminoso, une voie emblématique d’El Potrero Chico au Mexique.
Ce sont nos confrères de Rock & ice qui rapportent les faits, via le témoignage d’un grimpeur costaricain qui grimpait à proximité quand eut lieu l’accident. Gobright était en train de descendre en rappel simultané avec son compagnon de cordée Aiden Jacobson. D’après le témoin, les deux grimpeurs n’avaient pas fait de nÅ“ud en bout de corde. Cette technique de rappel, où les deux grimpeurs descendent en même temps sur un brin de corde chacun, implique qu’aucun n’allège la corde de son poids, au risque de laisser filer la corde du côté de l’autre grimpeur, et provoquer la chute. Pas question donc de poser le pied sur une vire ou un becquet. Il s’agit de poser le pied au relais en même temps.
Dans le cas présent, il semble très probable que l’un des deux grimpeurs ait retiré son poids de la corde, ce qui l’aurait fait filer, sans nÅ“ud pour l’arrêter. Cette technique de rappel simultané est très prisée des grimpeurs nord-américains. Elle permet de descendre vite mais implique une grande coordination des deux grimpeurs. Quand Honnold et Colin Haley grimpaient ensemble en Patagonie, il utilisaient cette technique avec deux cordes raboutées et un nÅ“ud au relais, tandis qu’honnold descendait au grigri côté nÅ“ud. Cette fois, au Mexique, et Jacobson et Gobright ont tous deux chuté. Le premier est tombé sur une vire, ce qui l’a sauvé. Le second aurait rebondi avant de continuer sa chute fatale plus bas. On espère en savoir plus prochainement sur les raisons de l’accident de Gobright.
Anti-Honnold et anti-Free solo
C’est une drôle d’histoire que celle du monde des gimpeurs solo et/ou speed-climbers. Gobright a toujours prétendu « admirer ses héros » que sont Alex Honnold et Tommy Caldwell. Mais il était capable aussi de dépasser cette admiration pour aller taquiner le maitre, voire le dépasser… ou grimper avec lui. Car Gobright a longtemps été dans l’ombre du géant Honnold. Pourtant, les deux étaient amis même si leurs caractères étaient opposés. On connait maintenant bien, depuis le film Free solo, la préparation et l’entraînement méthodique qu’opère Honnold avant chacun de ses projets, surtout en solo intégral. Gobright réalisait des ascensions tout aussi impressionnantes en vitesse ou en solo mais à sa façon : de manière plus impulsive, avec une préparation moins pointilleuse « il carburait aux vieux donuts. C’était un anti-Honnold » rapporte Cedar Wright. Une désinvolture plutôt rafraichissante dans le milieu formaté de « l’outdoor », très proche de l’esprit « dirt-bag » des origines. Il ne vivait pas dans un van aménagé à 30 000€ non, mais dans sa vieille bagnole. On ne peut que conseiller l’excellent film qu’avait réalisé Whright sur Gobright et sa « way of climb » dans Safety third, jeu de mot anglais que l’on pourrait traduire par « la sécurité APRÈS tout ».
Safety Third from Cedar Wright on Vimeo.
Un grimpeur inspiré
Quinze minutes après son arrivée sur le site mexicain, Brad Gobright grimpait en solo la voie Yankee Clipper (15 longeurs en 5.12a soit environ 7b). C’est dire l’appétit de l’américain pour le solo. Parmi ses plus remarquables escapades solitaires, on peut citer Hairstyles and Attitudes (5.12b/c) dans le Colorado, Mais là où Gobright était remarquable, c’est qu’il grimpait un nombre phénoménal de voies en solo sans jamais en parler, du moins sans en faire des caisses. Le Yosemite était son théâtre et il avait gravi des dizaines de fois le Rostrum en solo (5.11c soit environ 7a). Il était aussi féru de longues envolées et d’enchaînements (« linked-up ») comme lorsqu’il s’encordait en 2016 avec Scott Bennett pour gravir trois voies majeures d’El Capitan en 23h10 : Zodiac, le Nose et Lurking Fear. Fin technicien, il avait également réalisé la troisième ascension en libre d’El Corazon, au Mexique « nettement plus dure que Salathé » affirmait-il en octobre 2018. Attiré aussi par la vitesse, il avait grimpé Salathé peu de temps avant en moins de 13 heures. En mai dernier, il gravissait le Muir wall (5.13c, environ 8a+) en 17h30.
il grimpait un nombre phénoménal de voies en solo
sans jamais en parler,
du moins sans en faire des caisses
Il s’était aussi tiré la bourre avec Honnold au Nose, pour décrocher le record de vitesse d’ascension de cette voie mythique. Gobright l’avait même détenu pendant un peu plus de six mois, en 2017 (avec 2h19mn44s), avec Jim Reynolds, un autre soloïste révélé depuis avec son ascension bluffante du Fitz Roy. Nous vous en avions montré le magnifique documentaire en time lapse issu de cette ascension. Ce record au Nose, c’était juste avant que Honnold et Caldwell n’en fassent leur cheval de bataille en 2018 et passent sous la barre fatidique des 2h. Honnold et Godbright avaient aussi grimpé ensemble. En juin dernier, les deux soloistes encordés avaient notamment réalisé la seconde ascension en libre d’El Nino, sur El Capitan, par la variante Pineapple Express (5.13c, environ 8a+), ouverte par Honnold et Sonny Trotter.
Inspiré et inspirant, aussi discret que déluré, Brad Gobright faisait partie de ces grimpeurs qu’on aurait voulu croire indestructibles, tant il avait déjà grillé de cartouches en retombant toujours sur ses pattes (au prix tout de même de multiples fractures).
À l’image d’un Terray sur les pelouses sommitales du Gerbier, dans le Vercors ou d’un Lachenal en Vallée Blanche dans le Mont-Blanc, la mort accidentelle d’un grimpeur de haut niveau, a fortiori en solo, dans des conditions apparemment faciles est une sombre ironie qui rappelle combien une course n’est jamais terminée tant que le baudrier n’est pas rangé et le burger chaud dans l’assiette. Ce que n’aurait sûrement pas refusé Brad Gobright, digne descendant des dirt-bags et autres bad-boys de la Yosemite Valley.