Il y a souvent deux façons de traiter un problème qu’on ne peut ignorer. La première façon, la plus souhaitable, mais pas tout le temps évidente, est de résoudre le problème. Einstein. La seconde, plus pragmatique, est de vivre avec. Que ce soit une corde un peu trop courte ou une tendinite, il est plus simple de faire avec (même si les rappels trop courts ont tendance à réduire la possibilité de vivre avec). Sur la voie normale du mont Blanc, les pierres pleuvent dans le couloir du Goûter, devenu « le couloir de la mort » dont la traversée et les erreurs d’itinéraire sont la cause d’accidents chaque été. Alors, que faire ? Certains ont imaginé jusqu’à équiper une via ferrata, avec passerelle pour franchir le couloir maudit. Un autre a même imaginé creuser un tunnel, sur le modèle de ce que font les Suisses de leurs montagnes (de l’emmental, pas du gruyère, hein). A ce compte-là, pourquoi pas équiper le tunnel d’un petit train, avec arrêt photo au milieu de la face nord-ouest, et carte postale à l’Aiguille du Goûter ? Après tout, il y a bien les peluches les plus hautes d’Europe à l’Aiguille du Midi !
La première cause du nombre d’accidents élevés dans la traversée du couloir du Goûter est la fréquentation.
En matière de résolution de problème, Einstein a pointé du doigt notre courte vue en disant qu’ « un problème sans solution est un problème mal posé ». Attention à l’énoncé, donc. La première cause du nombre d’accidents élevés dans la traversée du couloir du Goûter est la fréquentation. 21000 summiters chaque année. Cent morts sur le Goûter, entre 1990 et 2017, soit quatre par an en moyenne.
On l’a déjà écrit : le mont Blanc n’est plus une affaire d’alpinistes, c’est une problème de gestion de flux. Le mont Blanc en trois jours, c’est une belle idée, mais qui conduit mécaniquement à diminuer le nombre de places disponibles dans les deux refuges (Tête Rousse souvent plébiscité à la montée pour gravir le couloir de nuit et Goûter à la descente). A moins que ce soit un moyen de faire baisser la fréquentation ?
Mont Blanc voie normale. ©Ulysse Lefebvre
Depuis dix ans, aucune solution ne s’avère satisfaisante du point de vue de la sécurité. Les pierres pleuvent, et ça va continuer. Déjà des copains guides se lamentent en cette fin juin, ayant vu un frigo passer de près : « c’est la dernière fois que j’y monte des clients, au Goûter », sur l’air de « je n’y toucherai plus », un air déjà entendu… La fondation Petzl a financé pendant deux ans des études scientifiques poussées (capteurs, etc) pour savoir comment réduire les risques. Le chercheur Jacques Mourey en a déduit que « les chutes de pierres sont moins fréquentes entre 9 et 10h du matin, et le plus fréquentes entre 18 et 20h ». En même temps, le système de réservation obligatoire a été mis en place, de même qu’un marquage luminescent pour éviter que les cordées ne s’égarent en zone instable. La fondation Petzl a poursuivi la réflexion en interrogeant des alpinistes : grosso modo, si les attentes en matière de plus de sécurité sont fortes, ceux qui ont répondu au questionnaire ne sont pas prêts non plus à avoir une modification dans un sens ou dans un autre de l’équipement du Goûter. Les pouvoirs publics, eux, misent sur l’information. Mais cela ne suffira pas.
Il faudra bien un jour se poser la question sur ces grands sommets d’enlever ces moyens de progression que sont les cordes et câbles en place
S’il y a autant de monde, c’est peut-être aussi parce que l’équipement par câbles de la voie du Goûter permet à des gens qui n’ont jamais mis de crampons de parvenir à monter. Comme à la Dent du Géant, au Cervin, et dans une moindre mesure, à la traversée de la Meije, les câbles ou cordes en place permettent de diminuer le niveau (et non pas l’engagement). Il faudra bien un jour se poser la question sur ces grands sommets non pas d’ôter les points, pitons ou spits, qui permettent de sécuriser les cordées, mais d’enlever ces moyens de progression que sont les cordes et câbles en place. Plus on facilitera la montée au Goûter par ces moyens, plus les accidents resteront constants. L’alpinisme by fair means, c’est pour quand ? Le mont Blanc déborde parce que ses prétendants manquent d’imagination, un peu, sans doute, mais aussi parce que les cadres – guides en premier lieu, fédérations – n’ont pas encore assez fait la promotion de l’alpinisme ailleurs, sur d’autres sommets que le mont Blanc par sa voie normale. Même pas loin. Saint-Gervais pourrait s’appeler Saint-Gervais-Tricot, non ?