C’était une bombe à retardement. Elle vient d’exploser. Depuis le 13 janvier, l’escalade est interdite sur une partie des falaises de Presles. La société gestionnaire des Rochers de Choranche, qui gère entre autres l’accueil sur le site des grottes, et propriétaire de ces terrains, a décidé d’éjecter les grimpeurs. Comment en est-on arrivé là ? Refaisons un brin d’histoire. Comme l’explique Jean-Claude Grand, président du CT13 FFME, la FFME a signé près d’un millier de conventions d’usage afin de pérenniser l’escalade sur de nombreuses falaises, prenant ainsi la responsabilité juridique des sites et leurs entretiens, ceci à la place de propriétaires privés et de nombreuses collectivités.
Presles. ©Ulysse Lefebvre
Suite à l’accident de Vingrau en 2010, où une cordée grièvement blessée a intenté une action en justice pour être indemnisée, la FFME a été jugée responsable sans faute, en tant que « gardien de la chose » et condamnée à payer 1,6 millions d’euros. Première conséquence ? L’assureur de la fédération a réagi en ne souhaitant plus assurer le risque lié à ces conventions, à moins d’une augmentation de la cotisation. En l’occurence, la responsabilité civile de la FFME était de 3 euros. L’assureur demandait 10, soit 7 euros de plus.
La FFME a dit non. En plein confinement, en 2020, lors d’une assemblée générale en visioconférence, la FFME a choisi une décision radicale : supprimer toutes les conventions qui la liait avec les propriétaires ou gestionnaires. Avec comme date butoir, pour satisfaire les assureurs, le 1er janvier 2023.
supprimer toutes les conventions
pour satisfaire les assureurs
Entre-temps, la FFME n’est pas restée les bras ballants. Ce sont les comités territoriaux, les clubs, dont les présidents ont pris leur bâton de pèlerin pour convaincre élus, gestionnaires, propriétaires privés, l’idée étant la suivante : partager les responsabilités entre eux, assumant la responsabilité de propriétaire ou gestionnaire, et la FFME locale la responsabilité du suivi et des équipements du site moyennant finance.
Pendant ce temps, grâce à un long lobbying, la responsabilité du propriétaire a été atténuée par la loi (loi 3DS art 215), introduisant l’idée qu’en cas d’accident, le pratiquant accepte les conséquences d’un « risque normal et raisonnablement prévisible ». Dans certains cas, comme en Isère, c’est le conseil départemental qui a accepté de prendre le rôle de la FFME et d’assurer la responsabilité des sites sportifs, tout en finançant son entretien via le CT38. Bien sûr, les circonstances d’un accident seraient laissées à l’appréciation du juge en cas de litige, et la FFME s’est visiblement satisfaite de cette évolution, tout en attendant prudemment de voir ce qu’il se passerait en cas d’accident. Ne vous en faites pas, tout va bien se passer, a dit la FFME.
à l’automne 2022,
les interdictions de pratique de l’escalade
ont commencé à pleuvoir
Problème, de nombreux maires, collectivités, ou propriétaires privés, n’ont pas pu être convaincus par l’évolution de ce système. A mesure que les courriers de la FFME dénonçant les conventions partaient dans toute la France à l’automne 2022, les interdictions de pratique de l’escalade ont commencé à pleuvoir.
Falaise de Saffres, falaises de Brison, ou encore Aureille dans les Alpilles… et maintenant, Presles, en partie : l’escalade y est interdite par les propriétaires ou élus.
Comme le raconte Jean-Claude Grand, « il a fallu négocier commune par commune dans les Bouches-du-Rhône. Ce qui est certain, c’est que les maires sont plus réceptifs quand sur leur territoire il existe une association (généralement un club fédéral) qui permet aux jeunes de la commune de pratiquer l’escalade. Sachant que dans un département comme les Bouches-du-Rhône où économiquement l’escalade ne présente aucun intérêt dans la majorité des communes, seule la présence d’un tissu associatif (club ou association) ou professionnel permettront de conserver notre patrimoine naturel d’escalade, les clubs (FFME, FFCAM, FSGT..) restent les meilleurs garants de nos falaises. »
fallait-il jeter les conventions avec l’eau du bain
pour ne pas payer 7 euros
d’augmentation de cotisation ?
À Presles, le courant n’est pas du tout passé entre la société propriétaire des terrains et la FFME, dont l’attitude a été jugée « désastreuse » qui met fin à « 30 ans de concertation ». En cause, les sites sportifs qui existent, en haut et en bas des parois : ces derniers n’ont pu être classés sites sportifs, et « repris » par le Département de l’Isère comme d’autres, car présentant un risque (environnement de hautes falaises, risque de chute de pierres). Pour Claude Vigier, du CT38 FFME, « il faut se mettre à la place du propriétaire. Des sites comme Pierrot Beach présentent selon lui un risque en termes de responsabilité : devrai-je payer en cas d’accident ? se demande-t-il ». La fin de la convention qui l’exemptait de responsabilité le lui fait penser, et rien ne l’a convaincu. Pour Claude Vigier, le propriétaire « instrumentalise le problème en mettant la pression sur les élus et la FFME en interdisant tout » même les grandes voies qui n’ont jamais été conventionnées. Il reste qu’une partie d’un des plus grands centres d’escalade en France est désormais interdite !
Alors, fallait-il jeter les conventions avec l’eau du bain pour ne pas payer 7 euros d’augmentation de cotisation ? La critique semble facile, mais la pilule est aujourd’hui difficile à avaler pour tous les pratiquants. Imaginer qu’un site comme Presles puisse être interdit définitivement, et peut-être déséquipé comme le menace le propriétaire, est un cataclysme.
envisager un reconventionnement ?
Comment éviter un Brexit des falaises ? L’une des solutions possibles est-elle d’envisager un reconventionnement ? Certains l’envisagent, même à la FFME. Il ne s’agirait pas de signer à nouveau des centaines de conventions, mais d’agir au cas par cas, quand il s’agit de problème insoluble comme Presles. Avec le parapluie non négligeable de la nouvelle loi, il s’agirait de prendre à nouveau la « garde », c’est-à-dire la responsabilité, en posant des panneaux « attention chutes de pierre possible » (!) tout en assurant l’entretien – grâce à des financements des collectivités comme le département – la FFME au niveau local pourrait sauver ce que la FFME au niveau national n’a pas su faire : préserver la liberté de grimper.