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La panthère de trop

Dans le fond, on peut penser que ce n’est pas grave, qu’il ne s’agit que d’une image, qui plus est sur un thème qui ne fait de mal à personne : la beauté du monde qui nous entoure. Alors pourquoi ne pas se laisser porter ? Nous pensons tout le contraire. Certes le trucage d’images existe depuis que la photographie elle-même est apparue. Rien de bien nouveau. Et pourtant.

Ces images de fausse panthère des neiges et de fausses montagnes auront fait le tour du monde en aller-retour : une première fois parées de mensonge, une seconde fois à la lumière criarde de leur trucage. Effet boomerang garanti.

Photo de montagne vierge, à l’extrême ouest du Népal, réalisée sans trucages. ©Ulysse Lefebvre

Car la portée de cette seconde déflagration est à la hauteur de l’enthousiasme généré par leur apparition. Si beaucoup se demandent comment l’immense majorité des diffuseurs et du public a pu valider ces images, c’est probablement que le désir, voire le besoin, de beau anime un monde sali ces derniers mois par la pandémie, la guerre, la pauvreté et le saccage de la planète. 

N’en jetez plus. C’est assez pour que l’apparition d’une féline créature idéalement placée au centre de cadres enchanteurs emballe les foules et les rédactions. Mais comme nous l’avons démontré : la panthère était trop belle. 

Photoshop est presque dépassé

Des images trop belles, les experts de la manipulation en produisent des milliers par jour sur Photoshop, logiciel vedette du traitement d’images. La plupart des spécialistes connaissent les ficelles et savent où regarder : d’abord une recherche inversée d’images similaires en ligne, puis une analyse fine des lignes de contacts entre deux plans superposés, des zones d’aplats unis où des objets parasites ont été effacés, des structures répétitives car copiées puis collées plusieurs fois ou encore des éclairages surnaturels…
Mais cette fois, le collage était presque parfait et il aura fallu une bonne connaissance des montagnes concernées pour déjouer l’entourloupe. 

Photoshop est presque dépassé. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet de créer des images de toutes pièces. Il suffit pour cela de rentrer des mot-clés pour que cette pseudo intelligence mouline le tout et régurgite des images plus ou moins réalistes. A charge pour l’artiste de finir le travail sur son logiciel de traitement.

il faut distinguer
information et décoration

Pourquoi pas ! Internet regorge de sites dédiés et identifiés comme tels. Mais les « fake news » associées au « fakes photos » en sont la dérive. Et l’intelligence artificielle s’accompagne d’une bêtise bien réelle. Autrement dit : prétendre que c’est vrai quand c’est clairement faux. Préserver l’authenticité d’une photo, c’est affirmer l’importance du photo-journalisme à une époque où tout est possible en termes d’images. Car il faut distinguer information et décoration. Les panthères de neiges de Vincent Munier ou de Michel D’Oultremont racontent la nature, documentent la vie de la faune. De leur côté, les photo-montages sont parfaits pour une affiche de film de fiction, ascendant hollywoodien.

Pour une fois, c’est la montagne
qui nous ramène sur Terre

Pour une fois, c’est la montagne qui nous ramène sur Terre. Ce qui est intéressant dans le fond, c’est que la montagne nous plonge cette fois au coeur de la réalité, loin de l’évasion habituelle du monde d’en bas. Et elle nous démontre que non, une face himalayenne n’est pas un motif abstrait qui peut être copié/collé ni vu ni connu. C’est un espace identifié (et identifiable !) dont les reliefs, les versants, les cols et les glaciers ont des noms et des altitudes.

Et si ça ne suffit pas, et bien il faut aller chercher ailleurs. À charge pour le photographe de montagne de se bouger pour les atteindre, celles-là et toutes les autres qu’il reste à découvrir, avec une bonne paire de chaussures et son appareil photo. A bon entendeur.