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Rochette, sa peinture et ses montagnes

Manifeste pour peindre le bleu du ciel

©JM. Rochette

On ne présente plus l’auteur de Ailefroide altitude 3954 : Jean-Marc Rochette est l’artiste qui a popularisé la montagne en bande dessinée avec le récit autobiographique de sa jeunesse alpinistique. Rochette est aussi le dessinateur du Transperceneige, devenu film coréen culte puis série sur Netflix. Mais il n’a jamais cessé de peindre, son regard aimanté par l’Oisans sauvage. Dans ce recueil d’entretiens réalisés par Fabrice Gabriel, Jean-Marc Rochette en dit plus sur sa vision artistique et sa passion essentielle pour la montagne, ses pierres et ses cieux, « la chair du monde » qu’il peint au travers de la « puissance des éléments » pour rendre sa beauté.

Manifeste pour peindre le bleu du ciel, Jean-Marc Rochette, conversations avec Fabrice Gabriel. Fondation Facim, éditions Paulsen, 111 pages, 14 euros.

Rochette a quitté Berlin après dix ans de peinture mais ne s’est jamais arrêté de peindre. Il s’est installé dans le Vénéon, après s’être pris le succès planétaire du Transperceneige sur la figure. 1984, Jean-Marc Rochette sort le premier album du Transperceneige avec Jacques Lob. Quelques années plus tard le réalisateur coréen Bong-Joon Ho tombe sur une édition pirate de la BD, l’adapte pour le cinéma : ce sera le Snowpiercer, puis, sorti cette année, une nouvelle adaptation en série par Netflix de cette histoire post-apocalyptique d’un train qui roule sans fin au milieu des montagnes, rassemblant les restes de l’humanité. Mais la montagne est toujours présente dans l’oeuvre de Rochette : sur le deuxième tome de la BD Transperceneige « Extinctions » sorti en juin, vos yeux avertis auront peut-être remarqué sur la couverture le Dôme des Ecrins avec le couloir Mayer-Dibona. Ces montagnes qui sont la matière brute dont Rochette aime à peindre l’âpre beauté.

 

Recréer la beauté du monde

Dans les conversations rapportées dans ce « manifeste », la montagne est prépondérante. Peut-être parce que celle-ci a failli le tuer, et qu’elle a finalement conduit l’artiste à dessiner Ailefroide altitude 3954. Mais surtout parce que « la montagne n’est pas seulement ce que je regarde, elle est à l’intérieur de mon oeil ».

Adolescent grenoblois passionné d’escalade, Rochette voue un culte aux peintres expressionnistes allemands, leur vision pessimiste du monde se retrouvant quelque part dans l’idée du Transperceneige. Influencé par Soutine, admirateur de Corot, Rochette voit dans la peinture des paysages des possibilités d’exploration, de traduction de la beauté du monde – loin des affres d’un monde post-apocalyptique.

la montagne n’est pas seulement ce que je regarde, elle est à l’intérieur de mon oeil. JM. Rochette

Jean-Marc Rochette ©J. Chavy

Huile ou aquarelle, la montagne est une source d’inspiration perpétuelle, même pour d’autres sujets. « Peindre un paysage, peindre un corps, c’est exactement pareil. La seule différence c’est que, dans un corps, il y a une animalité directe, une excitation, un rapport érotique immédiat. Dans la montagne, c’est une excitation mentale, mais elle est pour moi du même ordre : il y a un rapport de masses, de courbes, à la fois une violence et une harmonie, en tous cas une très forte érotisation du réel ». Dans les peintures de Rochette, dont certaines sont reproduites dans ce recueil, les flancs sombres des montagnes de l’Oisans, taillés à coup de pinceau, tranchent avec les brumes évanescentes qui coulent sur les versants ou noient les cieux de douceur. Des cieux d’un bleu sans cesse retravaillé, sans doute l’une des couleurs favorites de Rochette – avec le noir et le blanc qui n’en sont pas, et bien sûr, avec ces dernières, les trois teintes dominantes de la haute montagne.

Rochette : « j’ai une grille de lecture du réel qui passe par le prisme de la montagne, et j’ai tendance à tout voir à travers ce prisme ». Il dit aussi que l’alpinisme n’est pas gratuit, que les grimpeurs cherchent à retrouver rapport au monde très ancien : « c’est le désir de prendre des risques, et de tels risques donnent de la valeur à l’existence ». Ce défi à la mort le ramène pourtant à la vie, à la joie d’être bien vivant, là-haut, à une « fusion avec la nature » en montagne.

Reproduisant certains tableaux de Rochette, ce recueil éclaire la démarche totale de l’artiste : « plus j’irais loin dans la recréation du paysage, plus je rendrai grâce à la beauté du monde » dit-il. Lui dont les toiles montrent la montagne sans la dénaturer, sans l’idéaliser, mais avec l’idée d’une éternité de cet univers, avec ou sans glaciers, avec ou sans hommes.