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En montagne plus qu’ailleurs ?

Ce samedi 5 décembre 2020, l’écrivain Cédric Gras a reçu le prix Albert Londres pour son livre Alpinistes de Staline. Ce sont d’abord toutes nos chaleureuses félicitations que nous adressons à celui qui est également chroniqueur à Alpine Mag. Big Up Cédric !

Mais au-delà des ors de la récompense (le prix Albert Londres est la distinction ultime pour les journalistes), la reconnaissance des Alpinistes de Staline de Cédric met en lumière un concentré de ce que représente la montagne dans les sociétés : un révélateur. Comme dans le bain du photographe, l’image de la montagne laisse apparaître progressivement un reflet de la société qui l’entoure. Il faut parfois du temps, comme lorsque l’on se rend compte trente ans trop tard que le modèle des stations, calqué sur le modèle urbain, ne fonctionne pas. Mais ce reflet arrive parfois plus vite qu’ailleurs et nous alerte sur les dangers à venir dans la société toute entière, comme lorsque le réchauffement climatique produit des effets visibles sur les glaciers et les parois rocheuses.

 ©UL

Il y a un peu de Guerre et paix dans tout ça

Dans son histoire des frères Abalakov, Cédric Gras déroule une fresque historique qui dépasse largement le destin de ces deux alpinistes du XXe siècle, sortis du fin fond de la Sibérie pour briller à Moscou, via les sommets du Caucase ou des Tien-Shan. Avec cette biographie qui lui a demandé des mois de travail dans les archives labyrinthiques de l’ex-URSS et du KGB (il parle couramment le Russe), ce sont les moteurs qui poussent les hommes à grimper là-haut qui sont mis à nu, mais aussi leurs contradictions et leurs controverses : désir de découverte classique, besoin d’émancipation loin du pouvoir, conviction profonde pour une idéologie jusqu’aux plus hauts sommets, goût progressif pour la gloire, utilisation de la renommée comme passe-droit, abandon, trahison, résistance… Tout cela dans une société qui engloutit les bons petits soldats, empêtrés dans l’Histoire, tiraillés entre communisme et alpinisme. Il y a un peu de Guerre et paix dans tout ça.

L’alpinisme ne fabrique pas des héros

De nos jours, on aurait tort aussi de réduire la montagne à ses simples activité de « loisirs ». Ski, alpinisme, escalade, randonnée sont autant de pratiques récréatives qui en disent long sur l’humeur d’une société. Observez l’engouement pour le ski de pente raide et vous y verrez le rejet du tout-sécuritaire. La randonnée ? Une envie de simplicité et de calme loin de la frénésie quotidienne. L’alpinisme ? L’un des derniers avatars de l’exploration et des incertitudes pimentées qui la jalonnent.

L’alpinisme ne fabrique pas des héros. Les frères Abalakov n’en sont pas. Ils sont comme beaucoup d’autres montagnards : des individus révélés dans la sobriété des montagnes, à la « sévère école » de Walter Bonatti, sans fioritures ni mauvaises-excuses. Pour le meilleur et pour le pire parfois.
La mobilisation qui agite nos montagnes ces derniers temps n’a évidemment rien à voir avec la lutte contre le totalitarisme soviétique. Lisez Alpinistes de Staline pour en être sûrs. Mais c’est peut-être, justement, pour ne rien céder au principe de liberté qui les anime, que les montagnards restent en éveil et ne lâchent rien, quitte à passer pour des empêcheurs de tourner en rond. C’est tellement mieux quand c’est pointu.