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Elizabeth Hawley s’en est allée | Himalayisme cherche historien

Choniqueuse insatiable des ascensions en Himalaya népalais depuis plus de 50 ans, Elizabeth Hawley en est presque devenue elle même un monument. Ce jeudi 25 janvier, elle s’est éteinte à Katmandou à l’âge de 94 ans, laissant derrière elle un lourd héritage. Retour sur une longue histoire himalayenne.

Au détour de Dili Bazar, dans le centre de Katmandou, une grille avec gardien permet d’entrer dans une cour d’immeuble étonnamment calme. Comme si le lieu était empreint d’un climat solennel. Et elle aussi est là, à l’abri du soleil et de la poussière, témoin toujours rutilant de la grande époque des années 1960 : la coccinelle bleue d’Elizabeth Hawley n’est pas une légende. Elle existe bel et bien et offre une plongée aux origines d’une longue aventure, mêlant journalisme et himalayisme.

 

Appelez moi de Katmandou

Pour les expéditions en route pour des montagnes majeures de l’Himalaya népalais, ou de retour des sommets, c’est un peu le rituel de passage. Celui qui confronte à l’œil intraitable d’une spécialiste de l’himalayisme au Népal, un regard affuté pendant plus de 50 ans à cotoyer les alpinistes de renoms comme de plus illustres inconnus. Armée de ses bonnes vieilles fiches d’information qu’elle donne à remplir aux alpinistes, « Miss » Hawley décortique, questionne, recoupe, contredit puis finalement valide ou invalide les ascensions majeures dès le début des années 1960. Depuis longtemps, l’américaine est considérée comme la chroniqueuse incontournable des ascensions dans l’Himalaya népalais. « Mais je ne suis pas un juge » tient elle à préciser. Jusqu’à notre rencontre en 2014, à 92 ans, elle conservait un charisme surrané, entretenu par un sens de l’humour aussi raffiné que minimaliste. Dans son appartement, les livres sur l’himalayisme, dont certains trésors, se bousculent aux côtés des disctinction en tous genres. Reconnue mondialement, Miss Hawley a rencontré les plus grands de ce monde. Loin des paillettes, les alpinistes qui la cotoient savent qu’à leur arrivée ou à leur retour dans la capitale, il sont priés d’appeler Miss Hawley pour rendre compte de leur réalisation.

Plus qu’une anecdote, cette Coccinelle bleue avec chauffeur a traversé les décennies, maintenant un soupçon d’occident dans le quotidien de l’américaine. ©Ulysse Lefebvre

Un pan d’histoire de l’himalayisme

Elisabeth Hawley fut de tous les grands moments de l’himalayisme. Si elle arrive au Népal six ans après l’Everest d’Edmund Hillary, en tant que correspondante politique pour Reuters, c’est bien l’himalayiste anobli qu’elle rencontrera, alors que ce dernier est de retour au Népal pour d’autres projets. Chez Hawley, le virus de l’himalayisme a frappée. Dès 1970, elle devient d’ailleurs représentante à Katmandou de l’Himalayan Trust, la fondation de Sir Edmund Hillary pour l’aide sociale au Népal. Dans les années 1970, Hawley rend compte des premières ascensions hivernales en Himalaya puis une nouvelle ère s’ouvre à l’Everest : l’ascension sans oxygène de Reinhold Messner et Peter Habeler (que nous avons rencontré récemment) ouvre le bal en mai 1978. Puis vient la première hivernale en février 1980 par les polonais Leszek Cichy et Krzysztof Wielicki, qui écrivent une page essentielle de l’histoire de l’himalayisme hivernal en Pologne (que l’on vous raconte ici). Avant qu’un jeune chevelu n’entre dans la légende en réalisant l’impossible en août 1980 : l’Everest en solitaire et sans oxygène. Reinhold Messner : « Lorsque je suis arrivé avec des idées folles à Katmandou, elle écoutait. Jamais elle n’a dit que c’était impossible. » Même s’ils s’étaient déjà rencontrés c’est bien à la suite de cette ascension retentissante que l’italien gagne une place de choix chez Hawley. Elle aimait rappeler cette anecdote à son sujet: « Dans les premières versions des formulaires d’informations que je demandais aux alpinistes, il y avait diverses cases concernant leur situation civile, notamment maritale. A l’époque, ils pouvaient cocher « marié », « divorcé », « concubinage » ou « célibataire ». Messner cocha les quatre cases et s’expliqua : « Je suis marié en Italie et divorcé en Allemagne. Or l’Italie ne reconnaît pas le divorce. Et je vis avec une petite amie. Pour le reste, je me sens célibataire » ». L’histoire majuscule retient également l’amitié de Miss Hawley avec le plus célèbre des apiculteur néozélandais, Sir Edmund Hillary. La petite histoire parle aussi de sa chambre d’amis… Toujours est-il que Miss Hawley restera Miss et que ce statut n’a fait qu’entretenir son mystère.

Lorsque je suis arrivé avec des idées folles à Katmandou, elle écoutait. Jamais elle n’a dit que c’était impossible.
Reinhold Messner

Sir Edmund Hillary & Elisabeth Hawley en 1995. ©Coll. Hawley

Reinhold Messner & Miss Hawley . ©DR

Un encombrant héritage

Des années 1960, à ses débuts au Népal et juqu’aux années 1990, Hawley travaille seule. Sa rigueur et son rejet de toute forme de partenariat ou de sponsoring lui offrent une indépendance encore possible à cette époque, même pour une corresppondante de grande agence telle que Reuters. A partir des années 1990, avec notamment l’essor de l’informatique et le développement des expéditions, commerciales ou privées, la dame qui entre alors dans sa septième décennie, fait appel à Richard Salisbury, professeur du Michigan pour l’aider structurer le travail. « J’ai rencontré Miss Hawley en 1991, en tant que chef d’expédition à l’Annapurna IV. Pendant l’entrevue, j’ai été très impressionné par la somme d’archives qu’elle détenait. Je lui ai alors suggéré de l’organiser et la structurer dans une base de donnée informatique. Depuis 1992, je travaille sur ce projet et réalise deux mises à jour par an. » La machine est lancée. L’Himalayan Database voit le jour en 2004. Elle propose aujourd’hui des informations sur les expéditions de 1905 à nos jours, sur plus de 350 sommets népalais Une page est tournée, même si jusqu’il y a peu, la collecte d’information se faisait directement auprès des alpinistes, par Miss Hawley elle-même (moins de trente par an) ou surtout par une toute petite équipe de bénévoles. Au début des années 2000, Jeevan Shrestha aide Miss Hawley à réaliser des entrevues avec les alpinistes, suivi en 2004 par l’himalayiste allemande Billi Bierling. Le français Rodolphe Popier complète enfin l’équipe depuis 2010.

Photos ©Ulysse Lefebvre

L’épreuve de la modernité

Malheureusement, le nombre d’ascensions explose et le mode d’investigation de Miss Hawley s’essoufle, en termes pratiques et financiers. La rencontre physique avec des alpinistes nombreux et disséminés dans la capitale dans un temps très court devient difficile. « Je vérifie techniquement moins de 5% du total des ascensions recensées par Billi » admettait Rodolphe Popier en 2014. L’ampleur de la tâche dépasse les possibilités du bénévolat. « C’est même Richard qui finance sur ses propres deniers l’assistante de Miss Hawley à l’année » ajoutait Popier. La charge de travail pour continuer à prétendre à une exhaustivité est donc énorme, d’autant que, non rémunérés, les bénévoles travaillent uniquement lors de leurs propres passages dans la capitale népalaise : « Le fait que je ne sois pas sur place pendant la saison des ascensions, étant moi-même en expédition, a pu énerver Miss Hawley par le passé. Il m’est arrivé de faire mes interviews au camp de base du Makalu ! » explique Billi Bierling. La valeur de référence de la base de donnée pourrait bien avoir vécue si rien n’est fait pour rationnaliser la lourde tache.

Plusieurs pistes ont été envisagées par Richard Salisbury, pilier de la base de donnée et tête pensante d’un système futur. Outre la base de donnée informatisée disponible aujourd’hui en ligne, sur CD et papier, c’est le mode de collecte des informations qui doit être renforcé, tout en assurant sa mise à jour. L’argent est évidemment la clé du processus. « Tout le monde aime l’idée de la base de donnée mais personne ne veut la payer » déplore Billi Bierling. De son côté, Miss Hawley aura continué à distribuer ses formulaires, créés il y plus de quarante cinq ans. Et lorsqu’on lui demandait si elle était optimiste quant à l’avenir de son travail, la vieille dame hochait la tête de gauche à droite. Restait à savoir s’il s’agissait d’un oui typiquement népalais ou d’un signe de doute à l’occidentale. Avec sa disparition, il faudra des épaules solides pour perpétuer un héritage mêlé de rigueur journalistique et de connaissance pointue de l’Himalaya népalais.

L’Himalayan Database : un outil nécessaire mais pas suffisant

Des expéditions de 1905 à 2018, plus de 80 000 ascensions, sur 455 sommets népalais. Et pourtant, cette base de données doit être considéré comme partielle.
Il faut notamment garder à l’esprit concerne essentiellement les sommets soumis à un permis d’expédition par le ministère népalais du tourisme (« expedition peak »). Or, les autres sommets que sont les « trekking peaks » sont parfois de vrais sommets d’alpinisme à part entière, contrairement à ce que laisse penser leur dénomination.
Enfin, tout n’est pas rose dans le milieu et un certain nombre d’alpinistes rejette cette base de donnée. Elle s’avère donc incomplète lorsque ces derniers ne jouent pas le jeu du partage d’informations. Enfin, elle ne traite pas des ascensions dans d’autres pays de l’arc himalayen tels que le Pakistan, l’Inde ou la Chine.

En savoir plus : Keeper of the mountains, the Elizabeth Hawley story (en anglais), Bernadette McDonald, 256p., 22,95$.