Le 11 septembre au sommet du mont Blanc, Liv Sansoz a bouclé une quête démesurée, une aventure commencée un an et demi plus tôt. En finissant par l’intégrale de Peuterey, Liv devient la première française à gravir les 82 sommets de plus de 4000 m dans les Alpes.
Ce 10 septembre, à 4h30 du matin, Liv Sansoz ferme la porte du bivouac Borelli, au pied de l’Aiguille Noire de Peuterey, s’encorde avec Roger Schaeli. Mille deux cent mètres d’escalade les attendent, et ce n’est que la première partie de l’intégrale de Peuterey. Deux longues journées plus tard, le 11 septembre à 16h30, Liv s’envole du sommet du mont Blanc, avec en poche les deux sommets qui se sont enfin laissé apprivoiser : l’Aiguille Blanche de Peuterey et le Grand Pilier d’Angle. Les deux derniers qui lui manquaient, ceux de la liste des 82 sommets de plus de 4000 mètres, une liste que Liv Sansoz a démarré un an et demi plus tôt, le 2 mars 2017, avec le Grand Paradis.
Deux fois championne du monde d’escalade, Liv Sansoz s’est peu à peu tournée vers la montagne et l’alpinisme, et pratique le ski et le parapente à Chamonix où elle vit. « Ce qu’on vit en montagne nous rend vraiment vivant. La montagne m’apprend beaucoup sur moi-même. » Liv Sansoz peut compter sur ses talents de grimpeuse en haute montagne. Mais c’est par la dure école des blessures que s’est forgée sa vocation pour la montagne. En 2001, alors qu’elle tutoie le plus haut niveau jamais atteint par une femme en escalade, une chute met un frein à sa carrière de compétitrice. En 2009, une mauvaise réception en BASE jump l’envoie plusieurs mois en repos forcé. Mais à chaque fois, Liv se relève. Elle a probablement eu plus de fractures qu’une dizaine de sportifs assidus, et pourtant. Elle est venue à bout de ce rêve des 4000, un rêve démesuré et pourtant achevé en beauté. Voici comment.
Dans la liaison Jungfrau (4 158m)-Monch (4 107m). © Ben Tibbetts/Salomon
CE SONT DES MONTAGNES DONT LA BEAUTÉ M’A ÉMUE.
JE ME SUIS DIT, POURQUOI NE PAS GRAVIR TOUS LES 4000 ?
82 X 4000
« J’ai eu l’occasion de gravir plusieurs sommets de 4000 mètres en Suisse, et ce sont des montagnes dont la beauté m’a émue. Cela m’a donné l’idée de ce projet. Je me suis dit, pourquoi ne pas gravir tous les 4000 des Alpes pour les découvrir ? » Un projet de longue haleine qui n’a rien d’évident. Si le suisse Ueli Steck avait réussi l’enchaînement en deux mois, le français Patrick Berhault y a laissé sa vie. Endurance, patience, expérience, et une condition physique exceptionnelle sont de rigueur. Au début du projet, en 2016, Liv Sansoz s’est astreinte à une préparation physique rigoureuse. Certains de ces 4000 sont des montagnes très sauvages. Sans compter les aléas de la haute montagne, imprévisibles. Une crevasse cachée lors de l’ascension de son 38ème sommet, l’Aletschhorn, lui vaut une nouvelle blessure, d’autant qu’elle a un début de gelures aux pieds. Ce n’était que partie remise, et elle est revenue cocher ce sommet, comme les autres.
« J’ai commencé ma quête des sommets à ski de randonnée. D’abord parce que le ski c’est fun et c’est plus sympa que de redescendre à pied. Avant de passer en version pur alpinisme, mais avec l’idée de redescendre en parapente. Mais cela a ajouté pas mal de difficulté au projet : car si certains sommets sont propices au décollage, la météo et le vent n’ont pas été souvent de notre côté l’été dernier. » Si Liv a choisi de ne pas utiliser de remontée mécanique pour aucune de ces ascensions, elle partage chacune d’elle avec, en fonction de leurs disponibilités, une vingtaine de compagnons et de compagnes de cordée différents. Liv a conçu les 82 « 4000 » comme une aventure au long cours, partagée avec des copains alpinistes, skieurs, voire parapentistes. Elle ne pouvait rêver mieux que la plus belle, mais aussi la plus longue et la plus difficile arête du mont Blanc pour achever son rêve, l’intégrale de Peuterey.
But et rebut à l’Aiguille Noire.
Liv va t-elle réussir à finir la liste ?
Été 2018
Début juillet Liv a quitté la vallée italienne du Val Veni trois fois en quelques semaines. Il ne lui manque plus que l’Aiguille Blanche et le Grand Pilier d’Angle pour boucler les 82X4000. Elle pourrait gravir la Blanche par Eccles ou par les vires Schneider, mais autant finir en beauté par la plus belle arête du mont Blanc, par laquelle elle peut gravir ces deux sommets, à savoir l’intégrale de Peuterey. La première fois la montagne n’a pas voulu, la seconde fois sa compagne de cordée, Catherine Destivelle, se blesse et doit être secourue. La troisième fois avec Alex Pittin, un mauvais timing avec l’équipe vidéo les conduit à renoncer alors qu’ils ont atteint le sommet de l’Aiguille Noire. Inutile de préciser que Liv, à ce moment-là, pense sérieusement à attendre l’année prochaine, pour retrouver à la fois les conditions et la motivation, en berne après deux montées à la Noire les épaules sciées par un gros sac.
Peuterey tant convoitée
« Dans ma tête j’étais passé à autre chose. Mais en fait en y repensant ces derniers temps ça m’a turlupinée. On était à Interlaken où je suis allé essayer la nouvelle voie de Roger Schaeli à l’Eiger. Je lui ai proposé de tenter l’intégrale en voyant les conditions stables en altitude. Pourtant je ne suis pas allée à 4000 m depuis deux mois, j’ai grimpé dans le bassin d’Argentière. Mais dimanche on a filé à Chamonix, soupesé chaque gramme et fait les sacs avant de monter à Borelli en fin de journée. » La montée à la Noire se passe bien, si bien que la cordée parvient à rejoindre d’une traite le bivouac Craveri en franchissant les Dames Anglaises. « Les rappels de la Noire ont été rééquipés. Et puis en ayant été déjà deux fois dont une au sommet de la Noire, les choses vont plus vite ! » Départ à 4h30 le matin du 11 septembre, un peu trop tôt car la cordée perd du temps vers la pointe Gugliermina. Surtout au sommet de l’Aiguille Blanche tant convoitée, la vision de la suite donne des sueurs froides : c’est très sec partout, des torrents de pierres dévalent les couloirs de part et d’autre du pilier du Frêney tout proche. Mais le flanc sud du Grand Pilier d’Angle, malgré son aspect peu engageant, semble vierge de bombardement. Après un round d’observation Liv et Roger repartent sur le Grand Pilier d’Angle, qui s’avère être un champ d’éboulis. « On avait du sable partout, sur les lunettes, le matériel… plus haut la neige était super ramollie, même sous le mont Blanc de Courmayeur il y avait des gros blocs qui partaient » témoigne Liv.
La joie au sommet
Liv Sansoz et Roger Schaeli parviennent au sommet du mont Blanc à 16h30, ayant gravi au passage les deux derniers sommets de la liste des 82 « 4000 » qui manquaient à Liv : l’aiguille Blanche de Peuterey, 4112 m, et le Grand Pilier d’Angle, 4243 m. « Je ne réalise pas exactement », nous confie Liv. « J’ai encore un peu la tête là-haut. On était tellement heureux au sommet. J’ai failli ne pas prendre de parapente, mais on a tous les deux réussi à décoller du sommet. » La fin d’une longue aventure qui a mené Liv sur 82 sommets, parmi lesquels elle accepte de choisir ses 5 préférés : « Le Schreckhorn en Oberland, qui m’a donné envie de faire ce projet ; l’Aiguille Verte car c’est une montagne magnifique ; et le tryptique Dent Blanche-Weisshorn-Cervin pour sa beauté également ».
Une superbe quête, ou le rêve d’une vie d’alpiniste, ce beau mot dont le féminin sonne exactement comme son pendant masculin.