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Colin Haley, le temps de l’introspection

Le solo n'est plus ma priorité #1

Au sommet du torre Egger en Patagonie après la première ascension en solo, janvier 2016. ©Korra Pesce.

Né à Seattle, amoureux de Chamonix et de la Patagonie, Colin Haley est l’un des meilleurs alpinistes américains. Après avoir signé une série de premières en solo remarquables, le voilà pourtant qui raccroche. L’été dernier, des conditions trop dures en Patagonie l’ont fait réfléchir : l’envie de faire des grands solos n’est plus là. D’ailleurs Colin Haley vient d’écumer à nouveau la Patagonie en février, mais encordé avec Alex Honnold. On ne fait pas du solo par hasard. Colin Haley le sait, son histoire en solo commence alors qu’il n’a que 17 ans. Première partie de la confession lucide d’un grimpeur d’exception.

Je commence actuellement le long voyage de retour d’El Chaltén, concluant mon voyage le plus court en Patagonie, et de loin le moins productif, ce mois d’août 2019. J’ai déjà effectué seize voyages au total à El Chaltén, et la fenêtre de beau temps la plus grande et la plus stable que j’ai jamais vue s’est étalée sur les deux dernières semaines. Le mois d’Août est le milieu de l’hiver en Patagonie (c’est l’équivalent de Février dans l’hémisphère nord), et comme cela semble souvent être le cas avec les systèmes de haute pression en milieu d’hiver, il faisait plutôt froid.

Pendant cette fenêtre, les basses températures en ville variaient de -8 à -12°C, et le sommet du Chaltén (le Fitz Roy, ndlr) est à 3000 mètres au-dessus de la ville . On pouvait alors présumer que les températures en haute montagne étaient facilement en dessous de -20°C. En plus des températures froides, les déplacements en hiver sont plus difficiles, et, bien sûr, les jours sont plus courts. C’est pourquoi aucune grosse ascension n’a été achevée pendant cette énorme fenêtre de beau temps, malgré la présence de quelques cordées qui tentaient le Chaltén et le Cerro Torre.

L’un des autres facteurs qui m’ont empêché de grimper pendant ce voyage, c’est que je suis tombé malade. Je n’ai heureusement jamais été vraiment mal pendant le voyage, mais je l’ai été tout le temps et je le suis toujours en partant. Il s’agit de mon quatrième grand voyage d’escalade consécutif qui a été grandement perturbé par la maladie, et ma priorité est maintenant de chercher des réponses. Je soupçonne que j’ai une sorte de sinusite chronique. Mon objectif principal lors de ce voyage était de faire une ascension hivernale en solo de Chaltén via le Supercouloir.

L’idée semblait excitante, et je me suis dit qu’au milieu de l’hiver, j’aurais sûrement la voie pour moi tout seul, ce qui, je pense, rend une ascension en solo plus légitime en plus d’être quelque chose de plus en plus difficile à réussir sur le Chaltén pendant l’été. À ma grande surprise, deux autres équipes de grimpeurs visaient le Supercouloir au cours de la même période, et elles ont embauché des porteurs pour l’approche*, le Glaciar Fitz Roy Norte s’est retrouvé couvert de traces au beau milieu de l’hiver !

 

Hola Patagonia, comme on la rêve!  ©Colin Haley

Préparation au renoncement

Mon activité était assez minime : tôt dans la fenêtre météo, j’ai transporté mon lourd sac à dos vers Piedra Negra, je l’ai mis dans une cache et je suis retourné en ville. Quand j’ai décidé que c’était le bon moment pour tenter ma chance, j’ai passé une journée à atteindre Paso del Cuadrado, où j’ai dormi. Le lendemain, j’ai transporté mon énorme sac au pied du Supercouloir. J’ai observé l’itinéraire pendant une heure jusqu’à finalement décider de ne pas grimper, puis j’ai ramené mon gros sac hors des montagnes. La principale raison pour laquelle j’ai choisi de ne pas grimper était à cause de la sécheresse extrême dans le Supercouloir. Dans de bonnes conditions, la véritable escalade commence au Bloque Empotrado, et jusque à ce point, il n’y a normalement que 1000 mètres de neige raide et de glace facile.

Cependant, en ce moment, il y a plusieurs sections de couloir sous le Bloque Empotrado qui sont complètement nues – juste une ligne de basalte sec. Ces sections de basalte sont certes toujours grimpables, mais cela aurait ajouté une grosse portion supplémentaire d’escalade technique à l’itinéraire, ce que je pensais peut-être trop pour les très courts jours d’hiver. Compte tenu des températures, et étant en solo, faire un bivouac sur le parcours était hors de question pour moi. Rétrospectivement, je n’aurais pas dû être surpris par les conditions, car l’été dernier était apparemment extrêmement chaud, puis l’automne extrêmement sec. Néanmoins je n’avais certainement pas prévu que le couloir inférieur serait sec au milieu de l’hiver.

la raison la plus importante, celle pour laquelle je quitte Chaltén beaucoup plus tôt que prévu, est dans ma tête : j’ai réalisé que je suis épuisé par le solo.

 

Être malade, avoir des conditions sèches dans le couloir et des températures froides : c’en était trop pour pouvoir grimper sereinement. Mais la raison la plus importante, celle pour laquelle je quitte Chaltén beaucoup plus tôt que prévu, est dans ma tête : j’ai réalisé que je suis épuisé par le solo. Voyager de l’hémisphère nord à la base du Supercouloir était un moyen extrêmement coûteux de réaliser que je suis usé par ce type d’escalade, mais parfois ce genre de choses ne peut pas être ressenti de loin.

J’ai fait beaucoup de solos alpins difficiles dans ma vie, et je me suis déjà juré plusieurs fois auparavant de laisser tomber. Ma relation avec le solo semble avoir quelques similitudes avec ma relation passée avec l’alcool. Je n’ai jamais été un buveur régulier, mais au lycée et à l’université, j’ai vraiment aimé me saouler sévèrement pendant le weekend. Alors que je pensais, et que je pense toujours, que s’enivrer est très amusant, j’en suis venu à décider que le plaisir de l’ivresse ne valait pas le prix par rapport au contrecoup physique que cela exige. Cependant, comme c’est généralement le cas avec une activité addictive, même une fois que j’avais décidé que l’alcool était une mauvaise idée, je me suis toujours saoulé de temps en temps. La tentation d’une nuit vraiment amusante m’attirait, et le lendemain matin, je regrettais de m’être empoisonné et je jurais de ne plus jamais le faire… jusqu’à recommencer quelques semaines plus tard.

En solo sur la première longueur dure d’Exocet, pendant la première ascension en solo de l’Aguja Standhardt, Patagonie, en Novembre 2010. ©Jon Griffith

Je n’ai pas l’intention d’arrêter le solo comme je l’ai fait avec l’alcool. Contrairement aux moments de ma vie où je me suis enivré, les ascensions en solo que j’ai faites sont de fières réalisations.

Une histoire d’addictions ?

J’ai finalement juré d’en finir définitivement avec l’alcool le 1er janvier 2008, à El Chaltén, lors d’une horrible gueule de bois (le Nouvel An peut être une grosse soirée en Argentine!). Pendant la décennie écoulée depuis, j’ai probablement bu au total à peine 10 boissons alcoolisées. J’ai juré d’arrêter le solos plusieurs fois auparavant… Peut-être que c’est maintenant seulement que je ressens enfin une prise de conscience durable, que je reste persuadé que ce n’est pas ma meilleure voie à suivre. La comparaison du solo avec l’alcool n’est pas très proche cependant – contrairement aux moments de ma vie où je me suis enivré, les ascensions en solo que j’ai faites sont de fières réalisations, et je suis très heureux d’avoir vécu ces expériences. De plus, je n’ai pas l’intention d’arrêter l’escalade en solo d’un seul coup comme je l’ai fait avec l’alcool, mais je souhaite ne plus la prioriser de façon drastique.

Mon initiation à l’escalade non encordé n’était pas en fait de l’escalade en solo, mais du simul-solo (solo en escalade simultanée) avec plusieurs de mes mentors. Nous sortions souvent en grands groupes (enfin, du moins, ce que j’appellerais un «grand» groupe – jusqu’à 4 grimpeurs) dans les Cascades Mountains à côté de Seattle, et nous défions des classiques faciles en glace sans corde. Pour moi, c’est une activité totalement différente de l’escalade en solo difficile, et je n’ai pas l’intention de quitter le solo simultané. En fait, je pense que c’est l’une des versions les plus amusantes de l’escalade qui existe.

J’ai été initié au solo difficile à l’âge de 17 ans. Je ne sais pas ce qui m’a inspiré à ce moment-là, mais au cours de quelques week-ends au printemps, j’ai fait quelques ascensions en solo « difficiles » (par rapport à mon expérience et mes capacités à l’époque): la face nord de Graybeard Peak **, et la crête nord du mont Stuart en conditions mixtes. Je me souviens encore très bien de l’intensité psychologique, en particulier sur Graybeard. J’étais effrayé et stressé, et je me demandais pourquoi je m’étais mis dans cette position. Le stress psychologique d’un solo alpin difficile, suivi de l’exaltation d’en sortir indemne, puis d’une promesse à moi-même de ne plus recommencer, jusqu’à me laisser tenter à nouveau : voilà un cycle que je ne connais que trop bien. Le refrain d’une de mes chansons préférées («Would», d’Alice in Chains), me le rappelle toujours. Je pense que ces paroles parlent d’une autre forme de dépendance, l’héroïne :

Dans le déluge à nouveau, le même vieux voyage que c’était à l’époque.
J’ai donc fait une grosse erreur, essayez de voir que c’était ma façon.

 

À l’approche de la face nord de Graybeard Peak, en Mai 2002, quand j’avais 17 ans : j’ai déjà quelques solos à mon actif, mais c’est ma première ascension en solo d’une voie un cran au-dessus niveau difficulté. ©Colin Haley

En jetant un oeil en arrière sur la face nord de Graybeard Peak après ma première expérience de solo assez difficile et plutôt très stressante. ©Colin Haley

Je peux dire avec certitude qu’à ce stade de ma vie, plus de la moitié de mes réalisations d’escalade les plus difficiles ont été des ascensions en solo.

Après mon initiation en 2002, à 17 ans, j’ai mis le solo en retrait pendant 7 ans. En fait, je faisais beaucoup de solo pendant cette période, mais jamais assez dur pour être très stressant, et tous mes principaux objectifs d’escalade pendant cette période étaient avec des partenaires. Le solo était principalement quelque chose que je faisais sur des itinéraires qui étaient techniquement très faciles pour moi (assez facile pour que je ne me sente pas simplement en sécurité de grimper sans corde, mais en fait à l’aise), et c’était surtout quelque chose que je faisais quand l’un de mes bons partenaires d’escalade n’était pas disponible. C’est la relation saine avec le solo que je pense devoir réveiller maintenant.

Mon premier voyage de retour vers des solos durs et stressants a eu lieu en janvier 2009. J’étais à El Chaltén, et mon excellent partenaire d’escalade, Rolando Garibotti, a dû partir quelques semaines avant moi. Pendant une fenêtre météo extrêmement médiocre juste avant que je ne rentre chez moi, j’ai enchaîné en solo le Chaltén par le Supercouloir. À l’époque, j’écrivais dans mes notes d’escalade: « Le jour le plus dur de ma vie. Je n’ai jamais été aussi fatigué qu’après cela, que ce soit mentalement ou physiquement. » Je n’ai finalement dépassé ce jour en termes d’intensité psychologique et physique qu’en 2016, lors de ma descente épique en solo du Sultana (5304m, Alaska) dans une tempête. Depuis ma réintroduction au solo difficile sur le Supercouloir, j’ai fit beaucoup de solo au cours de la dernière décennie. Je peux dire avec certitude qu’à ce stade de ma vie, plus de la moitié de mes réalisations d’escalade les plus difficiles ont été des ascensions en solo.

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