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Le solo selon Colin Haley

Le solo n'est plus ma priorité #2

Colin Haley. ©Ulysse Lefebvre

Suite des confessions de Colin Haley, fort alpiniste américain et, jusqu’à peu, inconditionnel du solo engagé. Le solo est presque comme un art en soi, une forme d’alpinisme épuré de la corde – et des amis. De son propre aveu, Colin Haley n’en est pas à reprendre un chemin totalement encordé si l’occasion d’un joli solo se présente. En revanche, il fait voeu de (plus de) partage. Le solo à deux comme nouvel horizon ou tout simplement la cordée ? Colin Haley a la franchise de reconnaître qu’il a tout simplement envie de partager ses prochaines aventures.

Il y a un certain nombre de choses qui m’attirent dans le solo, mais je pense que les raisons les plus importantes proviennent de ma personnalité perfectionniste. Certains grimpeurs réussissent à accomplir des ascensions difficiles en jetant simplement un peu de matériel dans un sac à dos, en partant et en découvrant les difficultés au fur et à mesure, dans une sorte de mentalité « quoi que ce soit qui arrive, c’est du tout bon ». Ou, à tout le moins, ils le présentent de cette façon. En revanche, mon escalade implique beaucoup de réflexion, analysant chaque petit détail pour maximiser l’efficacité et la sécurité. Mes partenaires d’escalade préférés, et ceux avec qui j’ai fait les meilleures ascensions, sont tous ceux qui réfléchissent de manière similaire à la mienne, en ne négligeant rien. Quand il s’agit de prendre une décision, ils semblent toujours prendre la même voie que j’aurais prise, ou s’ils font quelque chose différemment, c’est généralement une façon de faire qui me fait dire: « Intéressant. C’est une bonne idée. » Mais ce sont là mes meilleurs partenaires. (lire la première partie de l’article, le temps de l’introspection)

Avec d’autres partenaires, je me retrouve parfois à penser: « Que diable fait-il / elle ? Ça n’a aucun sens! » Cela peut être avec des choses vraiment infimes, comme voir mon partenaire d’escalade déposer sa bouteille d’eau chaude directement sur la neige (où elle perd très rapidement de la chaleur) plutôt que sur son sac à dos ou sa veste. Mais c’est parfois pour des raisons plus sérieuses.

Je connais des personnes qui sont de très bons grimpeurs mais avec qui j’hésite à grimper parce que je ne leur fais pas confiance pour mettre suffisamment de bonnes protections lorsqu’on grimpe en simultané, ou pour construire un relais fiable. Bien sûr, avec mes meilleurs partenaires, nous ne faisons pas toujours tout de la manière la plus sûre possible, mais ce qu’on rogne sur la sécurité a pour but un gain d’efficacité. Ce n’est pas par la paresse, manque de réflexion ou inattention. La beauté de l’escalade en solo est que le perfectionniste maniaque du contrôle (moi-même !) a la maîtrise totale des choix d’équipement, de la recherche d’itinéraire, des ancrages et de la stratégie.

 

Bivouac à 6500 m lors d’une tentative en solo de la voie Schell sur le Nanga Parbat. J’ai eu 21 ans quelques jours plus tôt, nous sommes en Septembre 2005. Inclinaison involontaire d’appareil photo ! ©Colin Haley

Lors de la seconde ascension en solo du Super Couloir au Chalten (Fitz Roy), septembre 2005. ©Colin Haley

En pleine escalade de la bande rocheuse mixte surnommée « Black Band » lors de l’ascension solo de Infinite Spur au Sultana (5304 m, Alaska). ©Colin Haley

Le solo, exutoire pour perfectionniste

Cependant, bien que le solo soit à certains égards un bon choix de parcours pour un perfectionniste comme moi, il a aussi toutes sortes d’inconvénients. Un des principaux est que pour les objectifs les plus longs et difficiles, vous finissez presque toujours par porter un sac à dos beaucoup plus lourd  que vous ne le feriez avec un partenaire. Un autre inconvénient est que si on choisit de s’assurer soi-même, le solo devient très lent et encombrant par rapport à l’escalade avec un partenaire. Non seulement l’escalade elle-même est considérablement plus stressante psychologiquement, mais pour les objectifs solo plus éloignés se rapprochant du type « expédition », il y a beaucoup de temps en dehors des phases de grimpe pure à traîner tout seul, ce qui est tout simplement un peu ennuyeux !

Mais, bien évidemment, l’inconvénient le plus important du solo est l’augmentation du risque. Comme tout type d’escalade, son degré de risque dépend vraiment de la manière dont le solo est réalisé. Personne ne peut évaluer très précisément le risque qu’un grimpeur solo prend, sauf le grimpeur lui-même. Je suis fier de pouvoir dire que les ascensions en solo que j’ai faites, je les ai entreprises avec une marge de sécurité beaucoup plus élevée que beaucoup de gens qui ont fait un solo alpin similaire. Néanmoins, même si je grimpe en solo plus en sécurité que d’autres, il ne fait aucun doute que l’escalade non encordée comporte un risque accru.

Même si l’on est extrêmement prudent et que l’escalade est en dessous de mes capacités, il y a toujours une chance d’être touché par des chutes de pierre ou de glace. De plus, des blessures qui ne mettraient pas la vie en danger avec un partenaire, comme un tibia et un péroné cassé, pourraient être désastreuses si elles arrivaient dans une région montagneuse sauvage et peu fréquentée. J’ai eu tellement d’amis qui sont morts en grimpant que je suis plus conscient que jamais des moyens à ma dispositions pour éviter de subir le même sort quand je grimpe en solo.

Peut-être plus important encore, si j’avais passé plus de temps à grimper avec des partenaires, je me serais davantage amusé – c’est tout simplement plus amusant avec un compagnon sympathique!

En regardant en arrière le long de la crête supérieure de l’Emperor’s Ridge au mont Robson, Août 2004. © Colin Haley

Pause lors de la deuxième ascension en solo de la voie Kearney-Harrington sur la Aguja St Exupery, Décembre 2011. © Colin Haley

Résolutions définitives (cette fois-ci)

Je ne promet pas de ne plus jamais essayer de grandes ascensions en solo. Je suis sûr qu’il y aura de temps en temps des objectifs qui seront particulièrement inspirants pour être essayés en solo, et je suis sûr que je ferai encore beaucoup de solos faciles et peu stressants, ou de solos à deux vraiment cools. Je fais en revanche le vœu de ne plus viser en priorité le solo difficile et entièrement en solitaire. Au cours de la dernière décennie, je me suis de plus en plus concentré sur ces derniers objectifs. Je me suis retrouvé à rêver davantage à des ascensions en solo qu’à des ascensions avec des partenaires, et à refuser des opportunités de grimper avec de bons partenaires pour poursuivre ces objectifs en solo. C’est ma grosse erreur, et c’est ce que je veux arrêter.

Je suis très fier des solos que j’ai fait, mais je suis sûr que cela m’a également freiné dans une large mesure. Il y a eu beaucoup de bonnes fenêtres météorologiques en Patagonie pendant lesquelles je n’ai rien accompli parce que j’étais dans une optique de solo, alors que j’aurais sûrement fait quelque chose de cool si j’étais avec un bon partenaire (parce que le solo est tellement plus risqué et plus intimidant que de grimper avec un partenaire, j’ai tendance à renoncer à des courses en montagne chaque fois que les conditions ne sont pas totalement parfaites). Si j’avais passé plus de temps à grimper avec des partenaires, j’aurais donc sûrement fait beaucoup plus d’escalade aussi.

si j’avais passé plus de temps à grimper avec des partenaires, je me serais davantage amusé – c’est tout simplement plus cool avec un compagnon sympathique !

C’est drôle à quel point l’escalade en solo est hardcore et psychologiquement intense, alors que le même itinéraire pour le même grimpeur mais cette fois-ci avec un partenaire serait assez commun et facile. Plus important encore, si j’avais passé plus de temps à grimper avec des partenaires, je me serais davantage amusé – c’est tout simplement plus amusant avec un compagnon sympathique!

L’aspect perfectionniste et maniaque de ma personnalité est frustré par des partenaires qui ne font pas tout de manière réfléchie et compétente. Mais l’aspect plus sage et plus zen de ma personnalité (enfoui quelque part profondément) reconnaît que grimper, même avec un partenaire qui fait des erreurs, est généralement beaucoup plus sûr, plus amusant et plus inspirant que de grimper sans compagnon de cordée. De plus, prendre le temps de favoriser de bons compagnons de cordée permettrait sûrement de créer des dynamiques d’équipe encore meilleures pour la suite.

Ma mère me supplie depuis des années d’arrêter le solo. Ce n’est pas exactement ce que je prévois, mais ce sera peut-être un vrai premier pas dans cette direction. Un peu plus vieux, un peu plus sage…

Pour finir, je tiens à lancer un clin d’oeil amical aux meilleurs partenaires d’escalade que j’ai eu : Mark Bunker, Jed Brown, Rolando Garibotti et Alex Honnold. En fait, j’ai eu beaucoup de très bons partenaires d’escalade avec qui j’apprécie vraiment de grimper, mais les quatre mentionnés ci-dessus sont probablement ceux avec lesquels j’étais le plus en symbiose.

Lors d’une tentative en solo sur Emperor Ridge au Mont Robson, Canada, en septembre 2014.  ©Colin Haley

©Ulysse Lefebvre

Mes plus belles ascensions en solitaires

Voici un résumé de mes meilleures ascensions en solo. Les énumérer ici peut donner l’impression d’être un fanfaron, mais j’admet cependant être fier de cette liste. Le fait de l’écrire et de la regarder est aussi un rappel pour moi-même que j’ai assez pratiqué ce type d’escalade pour être rassasié, et que je serai, je l’espère, heureux d’orienter mon regard vers d’autres directions:

1) Sultana (chaîne centrale de l’Alaska), The Infinite Spur, première ascension en solo de l’itinéraire et record de vitesse, (12:29 rimaye-to-Summit), 2016-06

2) Torre Egger et Punta Herron (massif du Chaltén), Spigolo dei Bimbi et Espejo del Viento, premières ascensions en solo des deux sommets, 2016-01

3) Begguya (chaîne centrale de l’Alaska) The North Buttress, première ascension en solo du côté nord de Begguya et record de vitesse (7 h 46 de Bergschrund jusqu’au sommet), 2017-05

4) Aguja Standhardt (Massif de Chaltén), Exocet, première ascension en solo du pic, 2010-11

5) Mont Waddington AKA Mystery Mountain (BC Coast Range, Flavelle-Lane Route, première ascension en solo du pic, 2012-08

6) Denali (chaîne centrale de l’Alaska), Cassin Ridge, vitesse de montée en solo (8h07 de la rimaye au sommet), 2018-06

7) Chaltén (Massif de Chaltén), Supercanaleta, deuxième ascension en solo de l’itinéraire, 2009-01

8) Chaltén (Chaltén Massif), California Route, quatrième ou cinquième ascension en solo de l’itinéraire, 2015-12

AUTRES BELLES COURSES :

Patagonie
Aguja Poincenot, Whillans Route, ascension en solo, 2009-12
Aguja Guillaumet, Amy Route, ascensions en solo, 2009-12 et 2018-02
Aguja Mermoz, Route Argentine, ascension en solo, 2010-03
Cerro Pollone, South Face, tentative solo à 2 mètres sous le sommet, 2011-11
Aguja Rafael, Route anglo-américaine, deuxième ascension en solo de la route, 2011-12
Aguja St. Exupery, route Kearney-Harrington, deuxième ascension en solo de la route, 2011-12
Aguja de l’S, North Ridge, ascension en solo, 2011-12
Adela Sur, Central et Norte, El Ñato, El Doblado et Cerro Grande, traversée solo de 6 sommets, 2013-03
Cerro Domo Blanco, North Ridge, première ascension en solo du pic et première ascension hivernale du pic, 2013-09
Cerro Electrico NE, South Face, solo, première ascension du pic, 2013-09
Aguja Guillaumet, Begger-Jennings Route, première ascension en solo de la route, 2 h 06 de Bergschrund au sommet, 2013-11
Cerro Solo, El Dragòn, solo, première ascension du parcours, 2016-01
Filo del Hombre Sendtado, ascensions en solo des deux sommets, je soupçonne peut-être la première ascension d’un ou des deux sommets, 2018-02

Canada
Blackhorn Mtn, Northwest Couloir, solo, première ascension du parcours, 2003-09
Mt Robson, North Face, ascension en solo, ma première ascension alpine dans les Rocheuses canadiennes, 2004-08
Mt. Combattant, Mt. Tiedemann, Mt. Asperity, première ascension en solo de chaque pic, 2012-08

Massif des Cascades Mountains
Chair Peak, North Face, ascension rapide en solo après l’école (2:33 voiture à voiture), 2002-03
Graybeard Peak, North Face, première ascension en solo de l’itinéraire, deuxième ascension de l’itinéraire, 2002-05
Mont Shuksan, face nord, ascension en vitesse solo (5:48 voiture à voiture), mais sans pyramide au sommet, 2002-05
Eldorado Peak, Northwest Couloir, première ascension en solo de la route (j’en suis presque sûr), 9 h 15 de voiture à voiture, 2002-11
Dragontail Peak, Gerber-Sink 1971 et Triple Couloirs, enchaînement solo, les deux voies en 5:45 de lac à lac, 2003-04
The Chopping Block, Southeast Route, solo, première ascension hivernale du pic, 2004-02
Mount Terror, North Buttress Stoddard Route, ascension en solo, 2004-06

Ailleurs
Drifika (Karakoram), face sud et arête est, tentative en solo, arrêt à 10 mètres sous le sommet, 2005-2009
Les Droites (Massif du Mont Blanc), La Ginat, ascension en solo au Col des Droites, 2009-04
Mont Blanc du Tacul (Massif du Mont Blanc), Supercouloir avec départ du pilier Gervasutti, ascension en solo jusqu’au sommet, 2010-04

* J’ai appris lors de ce voyage que plusieurs cordées prévoyants des ascensions hivernales à Chaltén embauchent des porteurs pour l’approche, y compris lors de la plus récente tentative de solo du Super Couloir en hiver. Il est facile de comprendre pourquoi, car les températures du milieu de l’hiver et le manteau neigeux nécessitent de laisser le début du sentier avec beaucoup plus de poids sur le dos qu’en été. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de mal à embaucher des porteurs pour l’approche car je pense qu’il y a une distinction claire entre l’approche et l’escalade, mais je n’y ai jamais vraiment pensé comme quelque chose qui se faisait à Chaltén, même si elle est si courante dans l’Himalaya et le Karakoram.

** Mon ascension de la face nord de Graybeard a été la première ascension en solo, et en fait seulement la deuxième ascension de la face. Près du milieu de la face, j’ai posé quelques pitons avant de grimper le crux. Au-dessus du crux, lorsque j’ai essayé de récupérer ma corde, elle s’est horriblement coincée en dessous. Je n’avais aucun moyen de faire un ancrage au-dessus du crux, donc ma seule option était de couper ma corde et de continuer dans la partie supérieure de la face avec environ 20 mètres de cordon de 6 mm, ce qui semblait assez engagé. Plusieurs années plus tard, la voie a été répétée par mes amis Andreas Schmidt, Chad Kellogg et Roger Strong, et mes pitons et la corde étaient toujours là. L’année dernière, la voie a finalement été répétée en solo pour la deuxième fois, par Seth Keena-Levin, et ma vieille corde était malheureusement toujours là, suspendue à mes pitons !