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Colin Haley s’offre le Fitz Roy en solo et en hiver

Dans le Supercouloir en hiver ©Colin Haley

Colin Haley est un amoureux de la Patagonie. Il a gravi la Torre Egger en solo en 2016, et déjà, en 2009, signé une ascension en solitaire du fameux Supercouloir du Fitz Roy. En plein hiver austral, le Supercanaleta l’a attiré de nouveau. Le 19 septembre dernier, Colin Haley s’est offert la première hivernale en solitaire, lui qui avait pourtant annoncé arrêter les grandes ascensions en solo. Une expérience très intense, dont il a rêvé pendant neuf ans, explique-t-il.

Colin Haley a passé énormément de temps et d’energie à réaliser quelques unes des plus belles ascensions en solitaire de ces dernières années : la Torre Egger et la Punta Herron en solo (janvier 2016) en sont de bons exemples, comme également son ascension express du Infinite Spur au Sultana (Alaska) ou encore le record de vitesse sur l’éperon Cassin au Denali (8h07, en 2018). Colin Haley partage son temps entre Chamonix où il passe une partie de l’année, Seattle où il est né et le Canada. En 2020, il confiait que le solo n’était plus sa priorité, évoquant la fin d’une « addiction« , un bilan tiré après une tentative en solitaire sur le même Supercouloir du Fitz Roy en août 2019. Colin Haley a une longue histoire avec cette voie mythique, et sans doute ne pouvait-il imaginer plus belle conclusion à son étroite relation avec le Fitz Roy.

Le Supercanaleta du Fitz Roy ©Colin Haley

Il faut croire que l’attrait du Fitz Roy à la saison froide (l’hémisphère sud est en hiver) a été plus fort que jamais. Colin Haley s’est laissé attirer par l’alpinisme en solo à nouveau, cet « exutoire pour perfectionniste« . Fin août il débarque à El Chalten et effectue des portages de matériel au pied du Supercouloir. C’est une voie qu’il connaît bien : il en fait l’ascension en 2007 avec Maxime Turgeon, puis la seconde ascension en solitaire en 2009, sept ans après la première solitaire réalisée par Dean Potter.

Comme il le raconte sur son blog, « l‘une des plus grandes difficultés de l’alpinisme en solo est que vous n’avez personne pour vous aider à porter le poids qui est normalement partagé entre deux personnes, et par conséquent vous vous retrouvez généralement avec des sacs à dos très lourds. Cette difficulté a été exacerbée en hiver, puisque je devais porter les vêtements et l’équipement de bivouac nécessaires pour survivre confortablement dans un environnement hivernal avec des températures nocturnes de -20C. » Début septembre il part pour un premier essai, mais la météo n’est pas bonne. Le 12 septembre paraît être le bon jour : Colin Haley remonte les mille mètres de neige et de glace dure de la partie du Supercouloir jusqu’au bloc coincé : au-dessus, l’escalade est technique, difficile, exposée. 

Une première tentative rude

A 14h30, Colin Haley s’arrête. Il trouve son allure pas assez rapide. Le doute est là. « J’ai passé 30 minutes à réfléchir sur la vie, l’escalade, les gens que j’aime, le solo, l’ambition, le risque et le désir de rester en vie. J’ai senti, comme je l’ai souvent fait auparavant, que ce que je faisais était ridicule, et trop stressant et effrayant pour être agréable. Déjà avant de préparer le premier rappel, je pensais qu’il était très improbable que je fasse une autre tentative. » Il enchaîne des dizaines de rappels, finit dans sa tente au pied de la face juste avant que la tempête ne fasse rage. Le lendemain il redescend avec son énorme sac. « C’était particulièrement odieux parce que je suis parti avec tout mon équipement et donc un sac très lourd, confiant non seulement que je ne ferais pas une autre tentative sur le Supercanaleta, mais que je ne ferais plus du tout d’escalade en solo pendant le trip.« 

Colin pensait abandonner toute idée de nouvelle tentative. mais le Supercouloir est un aimant

Le Supercouloir l’attire comme un aimant. Deux jours après être rentré, Colin Haley imagine une nouvelle tentative, et de nouvelles stratégies. Il est toujours étonnant de voir que les solutions apparaissent après quelques nuits au chaud, où l’on s’imagine surmonter des difficultés qui paraissaient pourtant, peu avant, insurmontables. Le 17 septembre, Colin Haley repart, et utilise des raquettes à neige car il a beaucoup neigé. Avec la rage de devoir remonter avec un très lourd sac, sa tente et son matériel de bivouac qu’il avait redescendu quelques jours auparavant. Le 18, les jambes fatiguées, il veut s’offrir un jour de repos mais son ami Rolo Garibotti le prévient par texto sur son InReach : le créneau météo, c’est demain, le 19. Pas le 20. Le lendemain Colin franchit la rimaye à 7h du matin. Il atteindra le sommet dans la nuit noire.

Selfie en haut du couloir proprement dit, avant le mixte et le rocher difficile. Le sommet est encore très loin. ©Colin Haley

« cette photo est la plus spectaculaire que j’aie jamais prise en escalade solitaire, quelques minutes avant que le soleil ne se couche sur le glacier continental » ©Colin Haley

L’ascension

Le Supercouloir n’est pas une voie 100% directe. Une fois les mille premiers mètres de couloir goulotte remontés qui butent sur un bloc coincé, la ligne s’échappe à droite, traverse en zig zag pour finir par atteindre l’arête sud-ouest, qu’il faut gravir pour atteindre le sommet. Quand Colin atteint l’arête, il sait qu’il reste peu de dénivelé, moins de 200 mètres, mais beaucoup d’inconnues. « Il y a plusieurs sections délicates sur la crête supérieure sud-ouest, et elles nécessitent toutes une grande attention. J’étais dans une sorte de frénésie concentrée pour toute cette section de l’ascension, me déplaçant aussi vite que je le sentais possible (…). Sur certaines sections, il y avait un tas de givre plâtré sur la roche, ce qui ralentissait la progression, mais à d’autres endroits, la roche était presque nue, ce qui était très avantageux. Comme le soleil descendait vers l’ouest, il était filtré par les nuages bas au-dessus de la calotte glaciaire de Patagonie du Sud, ce qui rendait le paysage absolument magnifique. J’ai terminé la dernière longueur difficile à 20h05, juste au moment où la nuit tombait. » L’isolement est maximal, et Colin Haley se dit, à ce moment-là, « très stressé et anxieux. »

Ce fut une expérience très intense qui a mis à profit l’ensemble des compétences que j’ai acquises au cours des 22 dernières années d’escalade et d’alpinisme. Colin Haley.

« Être tout seul sur les pentes du sommet du Fitz Roy, en hiver, dans l’obscurité, me semblait assez absurde. Depuis le sommet de la Supercanaleta, les pentes supérieures sont largement orientées vers le sud (elles ne reçoivent donc pas de soleil en hiver), et certaines parties sont assez abritées du vent, de sorte qu’il y a des sections de neige poudreuse jusqu’aux cuisses. Cela m’a paru bizarre, car c’est tellement atypique pour les pentes du sommet du Fitz Roy, et j’étais aussi sincèrement préoccupé par le risque d’avalanches de plaque à certains endroits. En dehors des sections de neige profonde, il y avait plusieurs sections de glace grise et dure, recouverte d’une fine couche de neige poudreuse. C’était assez facile à gravir, mais cela ajoutait du stress de savoir que je devrais les descendre. J’ai atteint le sommet du Fitz Roy à 21:23, et je pouvais voir les lumières d’El Chaltén 3000 mètres plus bas. Je me suis demandé si quelqu’un en ville était dehors en train de prendre l’air, et s’il pouvait voir ma lampe frontale 3000 mètres plus haut. J’avais été extrêmement chanceux toute la journée d’avoir un vent quasi nul, mais finalement, au sommet, il y avait une brise assez forte venant du nord. Je me sentais extrêmement anxieux à propos de la descente, et j’ai commencé à descendre quelques minutes après être arrivé au sommet. »

Contre toute attente, la descente se passe sans encombre : Haley désescalade et fait des rappels avec sa corde de 60 mètres à simple, jusqu’à retrouver son deuxième brin de 60 pour descendre les mille mètres du couloir proprement dit. À cinq heures du matin, le 20 septembre, « je suis finalement rentré dans ma tente, extrêmement épuisé physiquement, mentalement et psychologiquement. » Il résume ainsi son aventure exceptionnelle : « ce fut une expérience très intense qui a mis à profit l’ensemble des compétences que j’ai acquises au cours des 22 dernières années d’escalade et d’alpinisme. »

Avec cette ascension en solo hivernal, Colin Haley signe sans doute la fin de sa longue histoire avec le Supercanaleta, tout en ajoutant un chapitre majeur à l’Histoire du Fitz Roy, gravi pour la première fois par Lionel Terray et Guido Magnone en 1952.