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Brève de refuge

Appelons-le Régis. Il est venu avec trois compagnons de cordée. Deux femmes, la petite trentaine, et un pote du club, cinquantenaire comme lui. Il est balèze, même s’il a bien transpiré pour monter au refuge. Il est en terrain connu, les sommets du coin n’ont pas de secret pour lui, et il tient à le faire savoir ! La soupe est posée au milieu de la table, la conversation est lancée. Ou plutôt, le soliloque de Régis. Échauffé par le verre de rouge, il est venu avec ses soucis d’en bas, et en fait étalage. « Avec ma femme, après le divorce c’était le bazar. On s’est engueulés, elle voulait rien entendre. J’ai voulu expliquer aux gendarmes, mais ils ne m’écoutent pas ! » s’emporte Régis, qui tonne, éructe contre la « justice ». Les trois mouches du refuge ne bougent pas d’une aile. 

« C’est quand même dingue d’en arriver là, maintenant ils m’ont fiché, c’est sûr » explique-t-il devant les deux nanas, coites. Peut-être s’imaginent-elles encordées avec lui demain matin ? Il y a de quoi avaler sa soupe de travers. Quelques tirades plus tard, ou quelques mots de trop, le copain de Régis dit stop : « Tu te calmes, là ! » Injonction à laquelle il répond de sa voix qui porte à travers la salle à manger : « Mais je suis caaaalme ! » Les deux nanas filent se coucher. 

Toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant existé ne saurait être que fortuite, naturellement. 

Je doute qu’elles aient bien dormi, d’autant que quelqu’un ronfle sévère durant la nuit. À cinq heures du matin, tout le monde a le nez dans sa tasse. Sauf Régis, polaire grande ouverte sur le ventre nu, qui débarque en hurlant « Y’en a un qui m’a piqué mon T-Shirt ! ». C’est sûr, quelqu’un s’est dit, je vais piquer le T-shirt de Jack Torrance dans Shining. Il attaque son petit déj’ frontale sur le front, le bide à l’air, l’oeil mauvais. Avant que les deux nanas aient le mal des rimayes, le bon copain file au dortoir, et revient deux minutes plus tard avec le T-shirt technique et puant du balèze. Celui-ci bafouille un mot d’excuse et se renfrogne. Serait-ce un complot ? 

« Y’en a un qui m’a piqué mon T-shirt ! »

Un quart d’heure plus tard, j’aperçois quatre frontales qui filent vers les sommets. Les deux nanas ont du mérite, ou un brin d’inconscience, car tout le monde sait qu’à la fin de Shining, Jack Torrance, joué par Jack Nicholson, est complètement fou. Heureusement, je n’ai pas vu de hache dans le refuge.

Et vous, c’était sympa votre dernier bivouac ?