Il règne une agitation inhabituelle au Rif d’Oriol ce samedi 13 janvier 2018. Sur le petit site de cascade de glace, des moulinettes installées assurent les grimpeurs, à moins qu’ils ne soient sprinters ? Jusqu’en haut des cascades, ils courent littéralement. Et en haut de l’affiche, il y a deux frères : Louna et Tristan Ladevant, 17 et 20 ans, qui font trembler les russes, comme lors de cette finale de coupe d’Europe, organisée pendant l’ICE, à l’Argentière-la-Bessée. Rencontre avec deux jeunes prodiges de la glace très très déterminés.
n aurait tort de croire que la vie de jeunes athlètes n’est faite que de rares moments de loisirs et de détente. En réalité, elle en est quasi absente. En tout cas pour ce qui concerne Louna et Tristan Ladevant. Les deux frères ne font pas les choses à moitié, ni même à 99%. Ils donnent tout pour la compétition d’escalade sur glace. Leurs autres passions, ils les ont mises en veille, comme la musique – ils étaient tous deux au conservatoire de musiques actuelles de Grenoble, en batterie et guitare – ou le ski – depuis leurs 5 et 7 ans, en tant que compétiteurs puis bientôt moniteurs. Depuis, les Ladevant ne cessent de progresser. Après plusieurs podiums en championnats du monde (adulte, jeune et élite), c’est la première place et elle seule que les jeunes glaciairistes ont en ligne de mire. Mieux, ils veulent voir trembler leurs adversaires les plus coriaces : les Russes. Un régime spécial pour ça ? « Je mange du russe matin, midi et soir ! » confie Tristan, diététicien à ses heures perdues. Et ça marche ! Avec son allonge et son rapport poids-puissance (1,81m pour 62kg en moyenne), Louna remporte l’épreuve de difficulté de la coupe d’Europe à Champagny en Vanoise, le 11 janvier dernier. Plus puissant (1,82m pour 71kg), Tristan est un sprinter. Il remporte la finale de vitesse au Rif d’Oriol, devant sept autres nations, dont les Russes. Au classement combiné (difficulté + vitesse), ils se placent respectivement 4e et 2e. « On n’est pas là pour enfiler des perles ». Les machines sont en marche.
Tristan Ladevant, grimpeur-diététicien
Ladevanovisme
Mais que peut bien motiver deux grimpeurs installés successivement en Ubaye, à Gap, dans la Vallouise et finalement à Grenoble, à consacrer leur temps à l’entraînement en salle et sur structures artificielles, quand les plus belles cascades naturelles les entourent ? « C’est un peu frustrant, mais on sait que pour nous, la compétition c’est maintenant, tant qu’on est jeunes et en forme » explique Tristan.
Pour atteindre le plus haut niveau, leur quotidien est plus que jamais rythmé par les entraînements au sein du club Drac Vercors Escalade de Fontaine, près de Grenoble. C’est là qu’ils découvrent l’entraînement physique, en plus de la grimpe elle-même, et s’y consacrent pleinement. C’est là aussi qu’ils cochent leurs premières voies du 8e degré en rocher, jusqu’à 8c pour Louna et 8b+ pour Tristan. « La saison d’entraînement devient extrêmement intense de mi-août à mi-mars. La saison dernière, on a seulement eu le temps de faire une sortie ski et une cascade en montagne. L’été, on s’est pris quelques jours en falaise et cinq jours à l’océan puis on s’est remis au boulot » raconte Louna. On finirait par croire qu’ils en mangent vraiment du Russe, du Stakhanov en particulier. Sur une bonne journée de début de saison, ils peuvent empiler 35 montées de la Tour de Champagny, soit 840 m de dénivelée glacée. Louna : « Dans ces périodes-là, on prend au minimum un jour de repos par semaine et… au maximum un jour de repos par semaine ! ».
©Jocelyn Chavy / Alpine Mag
On est tout le temps ensemble, on grimpe toujours à deux, Louna est la personne en qui j’ai le plus confiance.
Plus vite que la glace
L’entraîneur Adrien Pirolo est très présent dans le quotidien des deux frères, depuis 2016. Avec lui, c’est un trio sans cesse connecté qui évolue au gré de la forme de chacun et des séances d’entraînement prévues. Louna : « On l’appelle tous les jours, pour lui dire comment on se sent, pour avoir des conseils et bien sûr, notre programme d’entraînement. À chaque fois, il l’adapte et nous donne des exercices spécifiques ». Mais si les Ladevant s’entraînent ensemble, ils sont conscients aussi de leurs différences physique ou morales. Tristan approuve l’idée d’émulation. Quant à la compétition ? « On est tout le temps ensemble, on grimpe toujours à deux, Louna est la personne en qui j’ai le plus confiance. Mais il n’y a pas de rivalité entre nous » assure Tristan. « On pourrait parfois mal le prendre d’avoir une plus grosse dose d’entrainement que l’autre. Ou à l’inverse, culpabiliser d’avoir moins d’exercices programmés par le coach. Mais on sait que nous avons chacun des prédispositions physiques différentes et que nos entraînements varient en fonction de ça » ajoute Louna. Tout ensemble, tout le temps, et finalement un projet quand même pour sortir de la compétition et retrouver une dose d’aventure en montagne : les deux frangins envisagent leur première expé pour l’été prochain, au Kirghizistan. « Ce qui nous changerait ce serait tout autant de partir en expé que d’arrêter de s’entraîner pendant près d’un mois » explique Tristan. Loin des piolets de vitesse et des crampons à trois pointes avant pour gratter la glace plus que de la frapper, les frères Ladevant partiront donc pour des aventures montagnardes loin des chronos et des speakers, avec des équipements plus lourds. D’ailleurs Louna, pourquoi ne pas mettre de lunettes de protection en épreuve de vitesse ? « Parce qu’on va plus vite que la glace ». CQFD.