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L’Ice Climbing Écrins, le meilleur moyen d’aimer la glace

Bonne humeur à l'ICE 2025 ©Thomas Pueyo

Tu étais à l’ICE ? Oui, l’Ice Climbing Écrins, à l’Argentière-la-Bessée, dans les Hautes-Alpes. On y retrouve aussi bien le gratin des glaciairistes que les grands débutants qui veulent démystifier la cascade de la glace. Pour ces derniers (dont je fais partie), c’était le début d’un voyage initiatique… qui a un goût de reviens-y !

La cascade de glace ne m’avait jamais vraiment attiré jusque-là. Il faut dire qu’elle traine derrière elle la réputation d’une discipline ingrate, élitiste, engagée. Contrairement au ski de randonnée qui tutoie les cimes et permet de caresser des pentes tout en sentant la chaleur réconfortante des rayons du soleil sur le visage, la cascade promet un tout autre programme. Au pied de parois austères projetant une ombre frigorifique, sous la menace de blocs de glace, avec parfois l’option douche d’eau glacée, avouez que la cascade rebute au premier abord. Et pourtant.

Je ne compte plus les personnes qui me vantent ce sport abscons et déclarent leur amour pour la glace, notamment à travers un évènement en particulier : l’Ice Climbing Écrins, autrefois connu sous le nom plus francophone de « Rassemblement des Glaciairistes ». « Tu n’es jamais venu à l’ICE ? Tu verras c’est génial », me rassure un ami. C’est donc à moitié rassuré que je passe le col du Lautaret pour plonger vers la commune industrieuse de l’Argentière-la-Bessée (qui n’invite pas à s’y arrêter en temps normal).

Danse givrée à l’ICE ©Thomas Pueyo

Le salon de l’ICE ©Jan Novak / ICE

Trente-cinq ans que les glaciairistes se donnent rendez-vous dans ce qui fut l’un des poumons économiques des Hautes-Alpes, avec feu son usine Pechiney produisant de aluminium, finalement fermée en 1988. Une catastrophe économique dont s’est difficilement remis le village.

Jocelyn Chavy, rédacteur en chef d’Alpine Mag, m’a raconté l’ambiance particulière des premières éditions, dans les années 90, quand il logeait dans un hôtel une étoile où le bar était peuplé des ex-ouvriers Pechiney. Lui demandait de l’eau chaude pour son thermos le matin pendant qu’ils le dévisageaient, avec un blanc à la main. Une époque où les Christophe Moulin, François Damilano, Lionel Daudet et d’autres étaient à l’apogée de leur carrière (pour se souvenir, il faut relire cet article agrémenté de diapo d’époque, quand l’argentique n’était pas encore une mode ). L’ICE a donc des racines profondes.

Ne pas y aller comme un bourrin, placer ses pieds

On sent cette énergie lorsqu’on débarque à l’Argentière, même si je n’ai pas toutes ces valises de souvenirs et qu’on me met directement entre les mains des piolets traction, outils déjà aboutis alors que les plus âgés ont vu le tâtonnement des fabricants de matos pour en arriver à ces pioches ultra-performantes.

Dans la salle Quartz, grand gymnase transformé en salon d’exposants de matériel, on nous dispatche vers les différents ateliers du jour. Étant donné mon statut totalement néophyte, je suis affecté au groupe de débutants qui ira à la jeune tour de glace de Freissinières, inaugurée il y a seulement trois ans. Une fois sur place, notre guide instructeur Nil Bertrand nous apprend le b.a-ba : « Il ne faut pas y aller comme un bourrin. Pensez à bien placer vos pieds, à les écarter, et à conserver les deux bras dans l’axe, comme une tour Eiffel ».

Les premières longueurs sont grisantes. On prend vite confiance grâce à l’assurage en moulinette, tandis que l’interface des piolets et des crampons rend l’activité moins technique que la grimpe pure. La glace, jusque-là rencontrée ponctuellement sur certaines courses d’alpinisme, mais jamais dans ce degré de verticalité, devient un élément dont je ne soupçonnais pas la richesse. Essayer d’en saisir toutes les subtilités est ultra stimulant.

L’ICE, la glace made in Hautes-Alpes ©Jan Novak / ICE

Glace et escalade givrée

Autour de la tour, les débutants côtoient les cadors, Benjamin Ribeyre, Aurelia Lanoë, Aurélien Vayssière, etc. Au milieu du crissement de la glace malmenée par les piolets, on découvre une approche plus… douce. Un groupe se hisse sur la glace à mains nues. La redescente se fait la tête en bas, ou en rampant comme une araignée. « C’est de la danse sur glace, de l’escalade givrée », nous apprend Antoine Le Ménestrel, qui coordonne cet étrange atelier chaussé de pointes d’athlétisme en lieu et place des crampons.

« Il faut faut demander à la glace si elle veut bien qu’on grimpe dessus, ancrer ses pieds en ressentant le centre de la Terre. On doit se voir comme une goutte issue de la glace. La glace, c’est la beauté du monde qui fond sous nos doigts », disserte le grimpeur poète, devant les regards éberlués des autres glaciairistes. Sa voix est parfois couverte par la visseuse électrique qui prépare une voie pour la compétition du weekend, gagnée par Louna Ladevant, le choc des cultures.

Louna Ladevant lors de la compétition organisée à Freissinières ©Jan Novak / ICE

Si cet atelier de danse sur glace ne représente pas vraiment l’ICE, il suggère néanmoins « l’ouverture spirituelle » initiée par Cathy Jolibert sur des approches alternatives à la cascade pure. Dans la même logique, un autre atelier initie au « chaud-froid », à base de marche quasi nu dans la neige, alternée avec un passage dans une tente à sudation en peaux de bêtes, hérité de la tradition animiste des nord-amérindiens. Je n’aurais eu que des échos amusés de ces expériences car, de mon côté, je dois répondre à l’appel de la glace.

Au deuxième jour de l’initiation, on quitte le milieu artificiel de la tour de glace pour enfin se confronter à la glace naturelle. Dans la somptueuse vallée des Fonts de Cervières, un alignement de cascades permet de monter crescendo dans l’échelle de la verticalité, tout en restant sur une seule longueur. Les cordes ont déjà été placées par les guides mobilisés sur l’ICE.

Draperies, tubes, cigares et autres méduses viennent peupler les conversations pour décrire telle ou telle cascade. Car il faut aussi apprendre à lire la glace. « Tu vois sur ce cigare, on voit une ligne de fracture, ça veut dire qu’il y a eu une variation de température et que la glace s’est contractée à un moment », nous montre Kilian Moni, membre du GEAN et glaciairiste hyperactif. « Il faut surveiller comment ça évolue, ne pas frapper trop fort car potentiellement la structure s’est fragilisée et ne tient que par le haut ». Comme la neige en ski ou le vent en parapente, l’œil doit s’aiguiser pour décrypter ce nouvel élément, déceler l’invisible danger larvé sous la glace. Mon ignorance est infinie.

Il faut apprendre à lire la glace

Mordu de glace

La technique s’affine avec cette glace plus délicate. « Finis bien de taper ton piolet avec le poignet », conseille Fanny Schmutz, ambassadrice Black Diamond qui est venue présenter le nouveau fleuron de la marque américaine : les piolets Hydra. « Notre marge est très faible sur ce type de produit. Pourtant on se doit de continuer d’innover dans ce domaine pour notre image de marque, pour être crédible auprès des alpinistes », insiste un commercial. Je n’ai pas encore la finesse d’analyse pour faire la différence entre un bon et un excellent piolet, mais en tout cas j’apprends, mètre après mètre, à un peu mieux placer la lame, à écouter le bruit d’un bon ancrage dans la glace. 

Spot de Cervières. ©Thomas Pueyo

Fanny Schmutz à la démo.  ©Thomas Pueyo

Troisième jour : il est temps de faire une vraie voie avec plusieurs longueurs, à savoir le très facile Y de gauche à Ceillac avec le guide Julien Marie. C’est une bonne manière pour commencer à gérer les chutes de glaçons entre cordées, la pose de relais et la gestion d’une cordée dans cet environnement plus aléatoire. On court presque pour dépasser toutes les autres cordées de l’ICE qui encombrent le secteur. Dans l’affaire, on essuie une pluie de glace, dont un morceau rebondit bruyamment sur mon casque. Les broches sont posées proches les unes des autres mais Julien prévient : « Dans la vraie vie, on éloigne beaucoup plus les points. Disons qu’en cascade on met les broches pour ne pas mourir, mais on risque souvent de faire de beaux vols en cas de chute ». Nous voilà rassurés. La journée se termine de nouveau sur la tour de Freisinnière, où l’on finit enfin par grimper en tête.

La vraie cascade, c’est en tête

Je comprends immédiatement que la « vraie » cascade de glace commence maintenant. Les arrêts répétés pour visser les broches tétanisent davantage les mollets et les avant bras. On vérifie à deux fois que la pointe de nos crampons est bien ancrée. Ce stress décuple les sensations et je crois bien avoir mis le doigt dans un engrenage qui me fait rentrer par la petite porte dans la confrérie pas si fermée des glaciairistes. Voilà le mérite de l’ICE, initier et fêter l’esprit de la cascade dans un joyeux barnum qui devrait durer longtemps encore car, si Cathy Jolibert passe la main, et que certains élus locaux ne sont pas des fanatiques de la glace, la succession est organisée pour que l’Argentière reste la capitale de la glace