Du 18 au 21 juin, Yanis Cherqaoui, Hugo Peruzzo (de l’équipe GEAN FFCAM) et Baptiste Obino ont tracé un nouvel itinéraire d’ampleur dans la face ouest puis la face nord des Drus. Au programme, du grand libre et des fissures très larges, l’inconnu. Une escalade sans spit dans une ambiance mystique chaque après-midi, enveloppés dans les nuages : la voie s’appelle le Château dans le ciel, et Hugo Peruzzo nous raconte ce voyage vertical.
Avec les éboulements successifs du pilier Bonatti et du versant ouest, la face ouest des Drus a connu plusieurs remodelages ces vingt dernières années. Mais personne, ou presque, ne se souvient de l’éboulement de 1985 au-dessus de la niche, qui a fait disparaître la seule voie d’artif qui franchissait cette alcôve de dévers droit au-dessus de la niche.
« C’est l’idée de Yanis, qui l’a eue en faisant la Pierre Allain cet hiver, témoigne Hugo Peruzzo. Aucune voie à notre connaissance ne franchit ces dévers. La Pierre Allain, plus à droite, et la Voie des Guides, à gauche, les contournent. Une voie de Berhault et des frères Rémy gravit sur son flanc droit des dalles fissurées verticales. »
Yanis Cherqaoui et Hugo Peruzzo font partie de la nouvelle équipe FFCAM du Groupe Excellence Alpinisme National (GEAN) et ne manquent pas d’appétit cette année. Ils ont répété les Barbares 2 à la pointe Raphaël Borgis en février (avec Esteban Daligault), puis Blast, la voie du GMHM à Blaitière (M7+, avec Pierre Girot).
Après un premier stage au Verdon, ils ont passé une semaine de mai à Presles avec Léo Billon pour ouvrir une ligne très difficile, Vivre ou raconter ? (8b/A3+). Et toujours au mois de mai, ils ont formé cordée avec Baptiste Obino pour ouvrir dans le même style La voie d’Ariane (8a, P3+), d’abord en artif puis en libre, encore à Presles.
Aller aux Drus n’est pas anodin, car les chutes de pierre, en été, continuent de s’y produire. « J’ai un lien particulier avec les Drus, j’y ai avorté deux projets en deux ans à cause des chutes de pierres dans la face ouest. Donc cette montagne un petit côté innaccessible, c’est trop bien de concrétiser un projet sur cette face ouest. C’est pour moi la montagne la plus mythique de la vallée, par ce qu’elle reflète de l’histoire de l’alpinisme, par sa beauté et sa singularité » explique Hugo Peruzzo.
De son côté, Baptise Obino a grimpé l’hiver dernier sur cette même face ouest, en mode bigwall hivernal, avec Philippe Bruley, et Amaury Fouillade (GMHM), ouvrant une voie appelée Petit Pont (ED, M5, 6a, A3). Quant à Yanis Cherqaoui, à 23 ans c’est sa sixième nuit sur le rognon des drus. « On pourrait dire que c’est un habitué » rigole Hugo. Qui ajoute : « ouvrir aux Drus, c’est un de nos rêves d’alpiniste ».
Ouvrir aux Drus, c’est un rêve d’alpiniste. Hugo Peruzzo
Le plan ? Il est plutôt simple : partir avec cinq jours de nourriture, et bivouaquer. Pas de spits dans les sacs de 120 litres qu’il va falloir hisser dans les dalles du bas de la face.
Au final, un sacré voyage vertical, avec un bivouac au pied, et trois dans la face : « un bivouac sur portaledges gonflables – sauf pour Yanis, perché sur une épée de granite. Puis deux bivouacs confort dans la tente au sommet de la niche, après avoir taillé une plateforme ! » raconte Hugo.
L’ambiance est dingue, iréelle, quand chaque après-midi, un épais nuage vient se bloquer contre la face nord des Drus, enveloppant les trois hommes. « Une ambiance à la fois mystique et mentalement éprouvante, qui a mis nos nerfs à l’épreuve… Quand on lève les yeux vers cette forteresse au-dessus de la niche, on est pris d’un étrange mélange de peur viscérale et d’excitation » se souvient Hugo.
Cette ambiance très particulière a inspiré le nom de la voie, Le château dans le ciel, du nom de l’oeuvre éponyme du studio Ghibli.
Les trois grimpeurs résolvent le puzzle de la première moitié de la voie, avec, déjà, quelques longueurs en fissure large, jusqu’ici dédaignées par leurs prédécesseurs, et atteignent sans encombre la niche. Il ne reste plus qu’à résoudre l’énigme des dévers qui les surplombent, à gauche de la Pierre Allain. il y a bien une fissure, repérée sur photo. « Une fissure trop large, peut-être pour notre précieux Camalot nº6 » témoigne Hugo. C’est l’inconnu, et c’est pour cela qu’ils sont ici.
« On a eu un cadeau du ciel : un bloc coincé au milieu permet de protéger la longueur. » Baptiste se lance dans la belle longueur caractéristique de ce dévers, une fissure à mains qui s’élargit pour devenir un offwidth digne du Yosemite. « Il grimpe, enlève sa polaire, puis son casque… On lui demande, tu es sûr ? Il répond, ouais, je vais rentrer dedans pour me reposer ». Et ça passe. Au prix de moult longueurs dans le 7a/b.
Un jeté de bird beak
Quand l’escalade libre est trop difficile, il faut utiliser toutes les ficelles de l’artif pour passer – et même plus.
« On a eu droit à une démonstration de l’étendue du bagage d’artificier de Baptiste. Le bas de la longueur du dièdre en haut est corsé. Je lui propose une méthode moderne de coincement en double paume, mais Baptiste préfère user de son bagage d’artificier avec un jeté de bird beak [piton en forme de crochet, ndlr] au bout d’une sangle de 120 cm… Peu convaincu au début, on exulte quand il parvient à se hisser sur son bricolage et attraper le bac salvateur ! La longueur est splendide en libre en second, plus rien ne peut nous arrêter. » raconte Hugo Peruzzo.
Le Château dans le ciel leur ouvre ses portes, et après trois bivouacs, ils savourent la compagnie de la Madone au sommet des Drus.
