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Blast, hivernale à Blaitière pour le GMHM 1/2

Une hivernale, ça commence par un gros sac, disait René Desmaison. Au Groupe Militaire de Haute Montagne, c’est Léo Billon qui a motivé l’équipe pour une aventure dans les Aiguilles de Chamonix en plein hiver. Tout commence par l’idée de tracer une nouvelle ligne en face ouest de Blaitière. En libre, si possible. Mais pas sans de vrais doutes quant à la faisabilité d’un tel projet. Premier épisode d’un récit signé Léo Billon, avec Thomas Auvaro, Jordi Noguere et Seb Ratel.

Un lundi matin d’automne, il est 7h45, je roule sur l’autoroute blanche en direction de l’Ecole Militaire de Haute Montagne pour le rassemblement hebdomadaire.

Les lundis matin, tout le personnel de l’école a rendez-vous à 8h pour assister à la cérémonie dite « des couleurs », cérémonie qui consiste à hisser le drapeau français au sommet d’un mât, chanter la Marseillaise tous en cœur, et recevoir un bref point de situation de la part du chef de l’Ecole.   

Je suis en retard, le pare-brise est juste assez dégivré pour me laisser apercevoir un bout de route et quelques bribes des Aiguilles de Chamonix. Bien qu’accoutumés à ce décor, mes yeux ont toujours plus tendance à se porter sur ces dernières que sur la route qui, elle, m’a lassé depuis un moment. Je fais visuellement le tour du propriétaire. Mes yeux se posent une énième fois sur une parcelle de la face Nord-Ouest de l’Aiguille de Blaitière. Cet endroit, cela fait un moment que je l’observe. Il est raide et d’apparence lisse, se dissimule dans les replis les plus sombres des Aiguilles et, pour sublimer ces qualités, serait vierge de toute voie.

J’arrive juste à temps pour la cérémonie, à la suite de laquelle je file me plonger dans tous les topos dont recèle le GMHM (Groupe Militaire de Haute Montagne), histoire de re-re-vérifier que ce morceau de granit n’a connu nulle trace du passage de l’homme. Ma recherche abonde en ce sens.

L’automne glisse petit à petit vers l’hiver, on en est à la limite calendaire lorsque Thomas me sollicite une fois de plus avec son inlassable requête, digne d’une réplique de Minus et Cortex : « Qu’est-ce qu’on va faire demain ? ». J’ose pour la première fois lui proposer mon idée et il est facilement convaincu.

Comme disait Desmaison : « La montagne en hiver, ça commence avec un gros sac ». Suivant ses paroles, on s’empresse de remplir les nôtres jusque par-dessus bord, en partie à cause de mon envie de vouloir emporter un portaledge, certes léger, mais tout de même… Je concède facilement que c’est une lubie, néanmoins mon collègue ne proteste pas longtemps et charge notre maison en travers, sur le dessus de son sac. Faute de remontées mécaniques, le départ se fera à pied de Chamonix.

L’hiver sur les Aiguilles de Cham. ©GMHM

Face à notre plan quelque peu douteux, Jordi préfère se laisser tenter par les festins que lui réservent les fêtes de fin d’année, chez lui dans les Pyrénées. Le jour J, il se propose tout de même pour soulager nos épaules jusqu’au Plan de l’Aiguille, en portant une part non négligeable de notre fardeau.

La neige peu abondante, voire absente à basse altitude, nous fait opter pour une stratégie désastreuse : les raquettes à neige… Dès le Plan de l’Aiguille, et même un peu avant, la neige se fait pour le coup bien présente et nos ustensiles peinent à remplir leur rôle. Malgré les raquettes, nous nous enfonçons profondément, écrasés par le poids de nos charges.

Cette première journée est des plus éprouvantes. Thomas expérimente par deux fois la technique involontaire de déclenchement à distance d’avalanche.

Les plus de 1600 mètres de dénivelé de l’approche nous conduisent au pied du mur dans un inamical couloir encaissé, depuis lequel on est censé démarrer notre nouvelle voie. Malheureusement, aucune ligne de fissures évidentes ne nous saute aux yeux, tout est compact, bouché…

Il est déjà tard lorsque l’on s’affale avec bonheur dans notre portaledge (avec tente s’il vous plaît !). Je m’endors avec l’espoir que, dans la nuit, une belle fissure pousse le long de la paroi.

Aiguille de Blaitière 3522 m. La nouvelle ligne, Blast, est à peu près à l’aplomb du sommet. ©GMHM

Le lendemain, il fait plus clair et une option se dessine… la seule.

Mon acolyte ayant pour sa part peu rêvé, ne trouvant que rarement le sommeil, il me laisse le luxe de tenter de défricher la voie. Je parviens à gratter 40 mètres dans ce mur impressionnant. Thomas me rejoint, la mine encore plus déconfite, ça ne va pas fort pour lui. Je négocie d’aller voir quelques mètres de plus. Son accord me propulse dans une longueur qui lève les doutes sur la suite : ça passe, il y a une ligne !

Mais celle-ci ne se laisse pas faire. Pour connecter, il me faut traverser 5 mètres dans une dalle lisse, seulement pourvue d’un vague rebord évasé pour les pieds et le néant pour les mains. Un pas de funambulisme me permet de passer ; je suis comblé, l’aventure peut continuer !

Mais ce ne sera pas pour aujourd’hui, Thomas est au bout du rouleau. On sonne le clairon et on entame la retraite. En raquettes…

Le sérac qui surplombe un court moment l’approche de la voie décide de s’effondrer peu après notre passage. Le temps d’un déglutissement, on observe le souffle de l’aérosol.

C’est les épaules basses, déçu et abattu, que Thomas descend recharger ses batteries dans son sud natal. Pour ma part, je ne suis ni déçu ni frustré mais plutôt excité comme une souris devant un bout de fromage. Il y a une ligne, je n’avais pas rêvé ! J’ai tellement hâte d’y retourner, que je passe la fin de l’année à réactualiser frénétiquement toutes les 6 heures la météo.

Premier essai : un sac énorme avec un portaledge, mais pas de skis. ©GMHM

Premières longueurs. ©GMHM

Les mots de Thomas

« Aurais-je chopé ce foutu covid ?! ». Avec peine je parviens à rejoindre le Caporal Billon au premier relais. Il se propose pour grimper au moins encore une longueur pour avoir une meilleure vue sur la suite de la voie. En l’assurant j’essayais de me remobiliser, de manger, de boire, mais rien n’améliorait mon état…  Sans aucune réflexion, et même quelques mots réconfortants, Léo me rejoint au relais et équipe des rappels pour notre retraite. J’ai aussi certainement sous-estimé l’ampleur du projet dans lequel nous nous étions lancés.

Pourtant j’aurais du m’en douter quand Léo m’avait proposé ce projet : « La ligne est là c’est quasi-sûr, mais ça va être raide, il faut qu’on prenne le ledge et du matos d’artif… ». Lui qui est d’habitude le spécialiste pour épurer les racks de matos était cette fois moins confiant. Quelques jours auparavant, lors d’une de nos discussions il m’avait aussi confié chercher des projets qui constituaient un réel challenge pour lui, un autre indice qui aurait du me mettre la puce à l’oreille…

Mais les faits sont là… première entreprise sérieuse depuis mon arrivée au GMHM et cela foire à cause de moi ! La remise en question est inévitable pour moi qui ait le cerveau qui mouline toujours un peu (trop). Je prend petit à petit conscience que je me mets plus la pression que ce que j’imaginais depuis mon arrivée au groupe. Pour moi qui suis cette équipe depuis l’adolescence, avec des étoiles dans les yeux, l’intégrer est évidemment une grande chance, mais il faut en être digne !

Durant cette première tentative j’ai eu la très désagréable sensation de perdre le contrôle de mes émotions. Serai-je à nouveau maître de ces dernières lors de notre prochain essai ?

Les mots de Jordi

De nos jours, il est de plus en plus utopique de penser ouvrir quelque chose à Chamonix tant le massif du Mont-Blanc s’est fait parcourir de toutes parts et par tous les versants. Ce n’est pas l’envie qui nous en manque mais dès que nous levons les yeux et regardons un sommet, nous y apposons les innombrables itinéraires qui y mènent. Ouvrir une voie n’est donc pas une mince affaire. Mais c’était sans compter sur Léo, qui depuis chez lui, a une vue sur les Aiguilles de Chamonix. Et il nous a dégoté une jolie face nord ouest de Blaitière qui n’a pas encore vu d’alpiniste.

 

Deuxième tentative

Le 2 janvier. Là, un créneau se dessine. Les pictogrammes représentent un soleil, parfois un nuage, mais rien qui ne devrait tomber du ciel pendant au moins quatre jours !

Et les températures ? Les qualificatifs utilisés par les météorologues sont sans appel : « froid pénétrant », « en-dessous des normales de saison ». Il est annoncé jusqu’à -26 degrés à l’Aiguille du Midi, et ce n’est pas loin de là où on va… Un créneau de beau donc, mais un créneau glacial !

Le soleil de Nice ayant fait son office sur le moral de Thomas, c’est remonté comme un coucou qu’il nous revient du Sud. Sébastien, indisponible la première fois, fait étalage de tout l’enthousiasme dont il est capable pour nous rejoindre, et on l’accueille avec plaisir. Le Pyrénéen, sentant le vent tourner, se glisse lui aussi dans l’équipe.

Ce sera une cordée de quatre, ou plutôt deux cordées de deux, car les ambitions sont revues à la hausse ! En plus d’ouvrir une voie, on aimerait la faire en libre. Avec Rat’s (le petit diminutif de Ratel), on est nostalgique de Glandasse et avide de transposer nos techniques et stratégies acquises dans le Vercors, sur les parois du massif du Mont-Blanc. Thomas et Jordi restent quelque peu perplexes devant notre délire…

Et c’est de nouveau l’heure du rituel des sacs, toujours gros de préférence ! On a testé le portaledge la dernière fois, ma lubie est passée, je concède de ne pas le prendre cette fois-ci. On le remplace par des petites tentes qui, au vu des nuits glaciales qui nous attendent, ne seront pas du luxe.

Les remontées sont toujours fermées mais la neige est descendue dans la vallée, on troque donc les abominables raquettes contre des skis légers. On décide également de faire halte au refuge du Plan de l’Aiguille, histoire de couper l’approche.

Le matin du mercredi 6 janvier, notre joyeuse équipe s’extirpe du refuge pour se retrouver plongée dans un épais brouillard. Nos smartphones sont de précieux atouts pour nous diriger et nous permettre de passer par-dessus cette opaque barrière, qui laisse soudain place à une splendide mer de coton. On retrouve le redoutable sérac, sous lequel on évite de s’éterniser, avant d’atteindre à nouveau le pied de l’inexpugnable mur que l’on convoite.

Deuxième tentative, les skis permettent d’arriver moins rôtis au pied de Blaitière. ©GMHM

Léo attaque la voie. ©GMHM

Nouveau départ

Une stratégie bien propre au GMHM de l’ancien temps est mise en place : un des grimpeurs sera désigné terrassier pour aujourd’hui. Sa mission, creuser deux terrasses dans une pente de neige à 40 degrés pour y installer nos tentes. C’est Jordi qui écope de cette lourde et besogneuse tâche.

Pour les trois autres, il s’agira d’aller grimper en libre les deux longueurs gravies la dernière fois et, si possible, d’en ouvrir une troisième.

Sébastien, pour sa reprise du dry, se charge de libérer la première, je me repaye la longueur de la dalle sordide, la libérant aussi, et Thomas s’occupe de la troisième, directement en libre ! Au milieu de tout cela, un sac échappe des mains de Seb et vient s’écraser, en un bruit retentissant et soudain, dans le couloir où il poursuit sa course à vitesse folle, le tout sous une pluie d’injures de la part de son expéditeur.

Jordi, inquiété au milieu de sa sieste dans la tente, sort la tête pour voir quel cataclysme s’apprête à s’abattre sur lui. Il a à peine le temps de comprendre que c’est un sac qui lui fonce dessus, qu’il tend les bras et nous offre le plus bel arrêt de sa carrière de gardien de but. En moins d’une seconde, il vient de réparer une sacrée bourde commise 100 mètres plus haut !

Le sac est éventré mais son contenu est resté sagement à l’intérieur. Après cette belle action, il ne reste plus qu’à fixer nos cordes pour le rejoindre et retrouver le nid douillet qu’il nous a préparé.

Sauf qu’en descendant, Thomas certainement inspiré par l’action de Seb, se retrouve déséquilibré et vient heurter un bloc posé, pour sa part, en équilibre. Le missile se retrouve projeté dans le couloir et, malheureusement pour cette fois, c’est encore Jordi qui est à la réception… Le bloc transperce la tente de part en part et passe pile entre les jambes de notre gardien de but.

Premier tiers de la voie. ©GMHM

Jordi au relais. ©GMHM

Les mots de Thomas

Le matin au refuge le réveil a été difficile, les questions qui m’ont hantaient sont de retour, j’ai peur de faire échouer mes compagnons de cordée. Je suis à deux doigts de les laisser partir sans moi, mais cette fois je me remobilise ! Il faut que j’y retourne, j’ai eu le temps de faire un bilan sur mes motivations à me lancer dans des projets comme ceux-là, je dois aller vérifier si les réponses que j’ai en moi sont les bonnes.

Seb se charge de la première longueur, et parvient à libérer. Plutôt pas mal pour quelqu’un qui n’a pas fait d’alpinisme depuis un an… connaissant son palmarès je me dis que c’est comme le vélo, cela ne doit pas se perdre !

Léo se charge de la deuxième longueur qu’il enchaine aussi, en second je suis impressionné par ce qu’il vient de grimper !…

À mon tour de faire ma part du job ! J’attaque la troisième longueur qui paraît plus classique, le rocher est plus fracturé et les protections paraissent bonnes. Mais cela ne suffit pas à me détendre, après avoir grimpé les deux premières longueurs je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé ! Seb me tend le marteau et les pitons, je décline son offre pour le moment, bien décidé à essayer moi aussi de libérer une partie de cette voie. Je franchis un mur raide et poursuis dans un dièdre plus roulant. Cette grande longueur nous amène à une bonne vire de neige, à l’aplomb du dièdre caractéristique que nous avions repéré !

Je fais relais et souffle un grand coup, ça y est je retrouve le sourire. Durant ces deux premiers jours j’ai pris sur moi, je n’étais pas en confiance et appréhendais mon retour en montagne. Cette longueur m’a remis dans le match, ma détermination à atteindre le sommet est de retour !

Mais comme souvent en montagne, les moments d’euphorie sont de courte durée. En rejoignant le bivouac en rappel, je rippe d’un crampon sur une dalle de granit et décroche un beau bloc !

 

Le bloc transperce la tente de part en part et passe pile entre les jambes de Jordi.

Par miracle, aucun dégât n’est à déplorer sur le bonhomme mais, en plus de la tente doublement trouée, l’explosion a totalement démoli un des matelas gonflables.

Thomas se fera pardonner en dormant sur les sacs… Pour clore cette première journée un peu trop riche en émotions, on réalise le petit rituel du soir : faire de l’eau, manger, et enfin se glisser dans les duvets tout en espérant que la journée du lendemain sera un peu plus platonique.

Les 120 mètres de cordes fixés la veille, que l’on doit remonter, nous obligent à un réveil fort matinal en cette période où le jour fait la grasse matinée. Nous sommes le 7 janvier, le froid est mordant. Notre terrassier d’un jour redevient grimpeur. Il s’élance, plante des pitons, coince des coinceurs, enfonce un bird beak (micro piton en forme de bec d’oiseau), et puis plus rien, la solution ne lui vient pas.

Moment de tension… l’aventure s’arrête-t-elle déjà là ? Mon bout de fromage dont j’ai tant rêvé est-il en fait un petit bout de mauvais emmental disposé sur une tapette à souris en train de se refermer sur nous ?

Jordi décide de céder la place à Sébastien, qui redonne rapidement fière allure à mon fromage et désamorce la tapette à souris à l’aide de trois bird beaks.

Au relais, on commençait à se cailler sévère, un petit courant d’air a fait tomber le ressenti de la température à la limite du supportable. Je suis à deux doigts d’abandonner nos velléités de libre mais je me remobilise pendant que Seb tire les cordes et m’explique les méthodes. Il essaye de me guider comme il peut dans cette longueur délicate et pauvrement protégée. Finalement, j’enchaîne en même temps que l’onglée me frappe. L’aventure du libre continue.

Premières longueurs. ©GMHM

Quelques minutes de soleil dans cette face orientée nord-ouest. ©GMHM

La revanche de Thomas

Le secret de Seb Ratel ? « Il faut juste regarder un mètre devant soi pour ne pas se décourager… ». Jordi, bien décidé à prendre sa revanche remonte le dièdre sur deux belles longueurs de dry bien raides. Il parvient à enchainer la seconde tout de suite en libre, mais s’aide de quelques pitons dans la première. Leo décidé à ce que notre « Team Free ascent » (toutes les longueurs doivent être enchainées en tête par au moins un des membres de l’équipe) Léo me propose de m’y coller. J’accepte, mais c’est tendu que je m’élance dans la longueur. C’est étrange de  « taper un run » là-haut et de partir sans matos au baudrier, il faut faire confiance à celui qui a préparé les points de protection de la longueur et accepter l’engagement entre ces derniers. Je pars dans la longueur sous pression, d’abord car c’est à moi de libérer cette longueur pour le reste de l’équipe mais surtout car c’est raide et que les points ne sont pas tous les mètres. Les encouragements de mes compères m’aident à rester dans ma bulle de concentration, et à ne pas lâcher le morceau en libre ! Malgré quelques bonnes vibrations, notamment dues à un câblé désireux de quitter trop vite son emplacement, je parviens à libérer la longueur. Bon combat pour moi, l’ascension en libre peut se poursuivre pour l’équipe ! 

Jordi, dans le même temps, continue dans le dièdre en une seconde longueur qu’il réalise cette fois-ci directement en libre, et donc à vue !

Au-dessus de lui, le dièdre se bouche, il a des difficultés à faire relais. De ce point, on peut voir qu’il nous manque une bonne vingtaine de mètres pour rejoindre une section moins raide, qui nous mènera aux banquettes de neige à mi-paroi. Il me cède la main. Une solution se dessinant sur la gauche pourrait permettre d’éviter cette zone où les fissures n’ont pas l’air disposé à accueillir de quelconques friends, et peut être difficilement des pitons. Du bas, ce contournement paraît une bonne option. Cerise sur le gâteau, il nous semble même y distinguer un « râteau de chèvre » qui nous laisse penser qu’une fois à son niveau, ce devrait être gagné. En général en montagne, ce genre d’obstacle est assez évident à négocier.

Quelle cuisante erreur d’appréciation !

C’est bien par là qu’il faut passer en effet, mais l’accès à la mangeoire à biquettes n’est déjà pas aisé. Et que dire du râtelier lui-même ! Un vrai moment désagréable… Le rebord trop lisse et trop incliné, pas de pieds, trop de neige, bref rien ne va. J’arrive tant bien que mal à la zone de relais. Heureusement que j’ai enchaîné directement, car j’aurais détesté y retourner, et je ne l’aurais pas souhaité à mes comparses non plus.

A partir de là, la paroi se couche effectivement. Je poursuis par une petite longueur de plus qui nous mène dans du terrain plus classique et nous permet de sortir du premier bastion. En quelques longueurs de mixte facile (excepté une erreur d’itinéraire nous obligeant à une désagréable désescalade suivie d’une grimpe engagée, le tout proche d’un passage facile…), on rejoint le pied du second ressaut. A la lueur des dernières lumières, celui-ci paraît vraiment impressionnant.

Mais on n’a pas vraiment le temps de l’analyser et de s’éterniser dans sa contemplation, car la zone de bivouac est peu propice à l’installation du campement… Le terrassement nous coûte  pas mal de sueur (ainsi qu’une pelle), avant de nous laisser savourer la délicieuse position allongée.

En général en montagne, un « râteau de chèvres » est le genre d’obstacle assez évident à négocier. Quelle cuisante erreur d’appréciation !

2ème bivouac en pleine face. ©GMHM

La tente déchirée laisse une vue imprenable sur Cham’. ©GMHM

Derrière l’aiguille du Plan, première lueur sur l’Aiguille du Midi, à l’aube. ©GMHM

Je laisse une fois de plus à Seb la pénible tâche de faire fondre de la neige et cuisiner. Tout en dégustant l’excellent repas qu’il nous concocte, on discute de nos inquiétudes quant aux incertitudes qui nous surplombent.

Comment sera la fissure déversante de départ ? Et le toit qui suit, il a l’air bouché. La fin du bouclier paraît moins fissurée, va-t-on buter sur un mur en dalle ?

Des interrogations qui se résument en deux grandes questions :

Va-t-on réussir à passer ? Va-t-on réussir à le faire en libre ?

En grand impatient, j’ai hâte de me réveiller demain pour aller à la rencontre des réponses.

Léo Billon

La nuit de Jordi

Pour notre deuxième bivouac, avec un peu de terrassement et de fixage de corde nous arrivons à faire un campement plutôt commode. La lumière commence à baisser, tout comme les températures. Ce soir ils annoncent -26 degrés à l’Aiguille du Midi. Seb nous fait remarquer qu’il fait plus froid ici qu’à Vladivostok après avoir jeté un coup d’oeil sur Météoblue. On en rigole ! Tu la voulais ton hivernale… là tu l’as, me suis je dis ! Avec Thomas nous installons notre tente sur une petite plateforme creusée dans la pente de neige . Nous choisissons de mettre la baie vitrée grande ouverte face aux lumières de la vallée de Chamonix. C’est donc adossés contre la pente que nous passons cette soirée. L’un à coté de l’autre, épaule contre épaule, pieds presque dans le vide, à se battre avec notre réchaud. Quand l’un met ses mains sur la bouteille de gaz, l’autre les colle sur le réchaud et profite de cette source de chaleur avant d’aller les recoller sur la bouteille glacée. Un circuit presque fermé où nos mains passent d’une extrême à l’autre… Nous cassons, et c’est bien le mot, des morceaux de comté. Même après l’avoir mis contre nous, rien à faire, ça reste un glaçon avec goût fromage. Après tout ces petits instants givrés, nous plongeons tous les quatre dans nos duvets. Allongé, je remarque, avant d’éteindre ma frontale, que les cristaux de condensation brillent autant que les étoiles du ciel. C’est beau. Le souffle d’air qui s’engouffre dans notre tente est glacial.