Chamonix Film Festival : un palmarès 2025 éclectique et engagé

Champions of the golden valley ©Ben Sturgulewski

Après une semaine de projections, le Chamonix Film Festival vient de clôturer sa cinquième édition. Dix-huit films en compétition, mais aussi les ateliers, les rencontres et les ciné-débats : une richesse et une variété intenses. En témoigne le palmarès 2025, avec des films qui ont ému aux larmes le jury et les spectateurs. La beauté du cinéma, sans nul doute.

C‘est une alchimie, résultant d’émotions, de partage, de rencontres parfois insoupçonnées. Un festival, des gens et des films : on ne prévoit pas quand, comment, ni qui va être percuté. Mais c’est l’objectif. Au-delà d’une volonté de faire briller le cinéma de montagne, le Chamonix Film Festival garde son esprit indépendant, les thématiques qui lui sont chères – sociales, professionnelles – et bien sûr, des films, certains spectaculaires, engagés, ou plus intimistes.

Dans cette ambiance particulière, celle d’une capitale de l’alpinisme livrée au tourisme mondialisé, un Chamonix dans lequel on injecterait un peu plus d’humain et un peu moins de Strava, il faut s’immerger le temps d’une soirée pour mesurer la chance d’aller voir ailleurs comment les montagnes rapprochent les hommes – et les femmes. Que ce soit pour réaliser une performance, tenter de l’expliquer, ou pour témoigner de cette appétence particulière pour là-haut.

 

Se laisser emmener par un film : mieux dans une salle de cinéma !

Invités du CFF, Cory Richards et Catherine Destivelle, avec Benjamin Védrines, le parrain du festival ©JC

Le palmarès

Sur la scène du Vox à Chamonix ce 14 juin, devant une salle archi-comble, Florence Saugues a témoigné de ce que le jury dont elle fait partie a ressenti en voyant Champions of the Golden Valley : une émotion indiscible. « Après la projection du film nous sommes restés tous les cinq silencieux, tout était dit. » Le film qui a raflé le Grand Prix est l’histoire d’un réfugié – et de l’Afghanistan contemporain, à travers le prisme d’une communauté qui découvre le ski.

Outre Florence, grand reporter à Paris Match, le jury était composé de Lauriane Miara, illustratrice, de Jocelyn Chavy, de la rédaction d’Alpine Mag, d’Hugo Clouzeau et de Rémy Tézier, réalisateurs.

Comme la souligné Florence, le jury a choisi de récompenser des films qui lui ont procuré le plus d’émotions mais aussi, fait le choix de films engagés, que ce soit avec le Grand Prix, sur le versant politique et social, avec Mon frère Sotos, de la famille Nef, ou, sur le registre d’un hommage à une alpiniste féministe, The Last Expedition, d’Elisa Kubarska, et sans oublier, sur le versant intime, The Walk of Life de Raphaël Fourau, prix Alpine Mag ! Voyons en détail le palmarès.

Le 12 juin s’est tenue dans les salons du Plan B la 2e journée de la montagne sociale et solidaire.

L’équipe du film d’Antoine Mesnage sur scène. ©JC

Grand Prix 2025, Champions of the Golden Valley, de Ben Sturgulewski

Nous sommes en 2019, dans une haute vallée de montagne qui symbolise la culture et le drame de l’Afghanistan, celle de Bamiyan, où se trouvaient les immenses bouddhas sculptés dans la paroi jusqu’à ce que les Talibans ne les fassent sauter, quelques mois avant le 11 septembre 2001.

Après avoir manqué sa chance de devenir le premier skieur olympique d’Afghanistan, Alishah Farhang retourne dans ses montagnes pour inspirer une nouvelle culture du ski.

Ce qui pourrait être un gentil film de ski bascule alors dans une autre dimension : celle qui nous permet de saisir comment ce club de ski hétéroclite devient le lieu où enfants, ados,  jeunes garçons, jeunes filles, s’émancipent et rêvent de l’avenir. Les gamins fabriquent eux-mêmes leurs skis en bois, et des raisons d’espérer.

L’hiver 2022 la course a lieu devant les officiels et une communauté enfin unie. Mais ce n’est qu’un répit avant que l’Afghanistan ne plonge dans le chaos et la terreur avec le retour des Talibans à l’été.

Photo somptueuse, récit d’une destinée chargé d’émotions que traverse la grande Histoire, Champions of the Golden Valley est un chef d’oeuvre signé Ben Sturgulewski, à voir absolument dans les prochains festivals. 

Prix Spécial du Jury, Mon frère Sotos, de Laszlo Nef

Le film Mon frère Sotos réunit la famille Nef autour de leur frère Arsène atteint du syndrome de Sotos. Une maladie génétique rare, qui ne l’empêchera pas d’apprendre, mais limitera ses activités physiques et scolaires. Sa sœur et ses deux grands frères – dont Tanguy Nef, membre de l’équipe suisse de ski – n’ont pas baissé les bras.

Oubliant sa différence et animés d’une solidarité fraternelle sans faille, ils emmènent Arsène dans les Pyrénées pour son premier raid à ski. Hésitations et difficultés sont surmontés grâce à cette solidarité, un boulevard d’amour qui se perçoit dans les détails, à chaque instant.

À la fin du film, l’un des membres de la fratrie explique qu’ils ont cru aidé Arsène pendant toutes ces années. Alors que c’était Arsène qui les a aidés, eux, à devenir meilleurs. Sur scène, avec sa soeur Tamara à ses côtés, Arsène savoure le triomphe du film à son sujet. Et annonce qu’il a décidé de partir seul, à l’aventure, trois jours, en vélo. L’aventure continue. 

Prix de la Narration, The Last Expedition, de Eliza Kubarska

C’est la plus grande alpiniste polonaise, et sans doute, la plus grande himalayiste de tous les temps, première femme au K2 en 1986. Wanda Rutkiewicz n’est jamais revenue du Kangchenjunga, qui aurait dû être son neuvième 8000. The Last Expedition est le récit de la quête de cette disparue, au fil des vallées himalayennes et d’interviews de par le monde. La cinéaste polonaise Eliza Kubarska, auteur du magnifique Wall of Shadows primé ici trois ans plus tôt, évite l’écueil de l’hagiographie pour mieux cerner son personnage, féministe avant l’heure mais pas simpliste.

Femme libre, Wanda Rutkiewicz a dû affronter le machisme de son époque, et la jalousie énorme de ses confrères masculins, polonais ou non. Blessée, entourée de nombreux fantômes – celui de son frère disparu enfant sur une mine anti-personnel, et ceux, par dizaines, d’alpinistes disparus, Wanda a-t-elle choisi, comme Jean Bourgeois l’a fait à l’Everest, à « descendre de l’autre côté ? »

Toute la réussite du film est là, servie par des archives exceptionnelles : d’une hypothèse très incertaine (elle aurait survécu et choisi de se retirer du monde) parvenir à esquisser le portrait fascinant d’une femme hors du commun. Majeur.

Prix Alpine Mag, The Walk of Life, de Raphaël Fourau

Les lecteurs d’Alpine Mag connaissent bien le couple de grimpeurs formé de Caroline Ciavaldini et James Pearson, auteurs de chroniques régulières sur Alpine. Moins connue de ce côté-ci de la Manche est la raison pour laquelle James Pearson est venu s’installer en France il y a une quinzaine d’années.

C’est le sujet de The Walk of Life, un très beau film sur lequel nous reviendrons plus longuement avec James et Caro. Raphaël Fourau a suivi le couple pendant trois ans, un tournage qui a vu éclore, lentement, l’une des voies en trad les plus dures du monde – si ce n’est la plus dure : Bon Voyage, à Annot, chef d’oeuvre de James.

Mais plus qu’un film d’escalade, The Walk of Life est une question : qu’est-ce qui nous anime profondément ? Réussir la voie la plus dure ? Obtenir la reconnaissance, l’amour des autres ? Servi par des images superbes, et une bonne dose de franchise dans ses paroles, The Walk of Life mérite ce beau prix Alpine Mag décerné par  l’ensemble du Jury.

Prix Coup de coeur du Jury, La Madone, de G. Pierrel et L. Jamet

Faire un film d’alpinisme qui ne parle pas (que) de performance (et de loin) : c’est le pari réussi par les réalisateurs Guillaume Pierrel et Laurent Jamet avec La Madone. L’année dernière, Lucien Boucansaud et Guillaume Pierrel entreprennent une course inédite : relier les sept Vierges sacrées du massif du Mont-Blanc.

Perchées au sommet des montagnes les plus abruptes, ces statues témoignent d’une époque où les hommes cherchaient protection et repères dans les hauteurs. Guidés par les traces des anciens et les récits de figures emblématiques, ils réalisent que ces statues incarnent la mémoire d’un patrimoine universel, mêlant ascensions épiques et traditions montagnardes, que l’on glane au gré des rencontres avec des guides, photographes, gardiens de refuge.

Le film évite l’écueil de la bigoterie pour se placer sur le terrain ontologique : Étienne Klein est là pour établir le lien entre le très haut et le très bas, et on suit avec passion la guirlande de sommets que tressent Guillaume et Lucien au fil de leur longue escapade. L’occasion de voir que la voie normale des Drus n’est pas une promenade. 

Prix du public, K2 Mon Amour, de Mathieu Rivoire

C’est l’un des exploits accomplis en 2024 en haute altitude : le couple Zébulon Roche et Liv Sansoz parviennent au sommet du K2, sans oxygène, fin juillet, avant d’en sauter en parapente biplace, une première mondiale. K2 mon amour raconte cette expédition simplement, avec humour et retenue, jusqu’à 8611 mètres.

Là, la musique s’arrête et le coeur de Liv bat la chamade, alors qu’elle s’assoit au sommet, en attendant Zeb. On retient son souffle pour ce moment magique, avec eux, quand ils décollent soudainement de la deuxième montagne la plus haute du globe. Avant d’embrasser l’espace, qui flotte autour d’eux.

Souffle coupé, à l’écran et dans la salle, qui a voté et décerné le prix du public à K2 mon amour de Mathieu Rivoire.

D’autres films ont sans doute durablement imprimé la rétine des spectateurs. On pense à Des Équilibres d’Antoine Mesnage, collectif de highliners, à Dissidence, l’histoire de deux jumeaux indonésiens ignorés dans leur propre pays. On pense à Sama, le beau reportage escalade tourné au Liban dans la plaine de la Bekaa sur les refugiés syriens, Et bien sûr le Futur de l’escalade, de Guillaume Broust, un documentaire qui fait l’état des lieux de l’escalade autour des problèmes liés au développement de l’activité. Sans oublier les deux films projetés gratuitement en plein air, au parc Couttet : le récent L’Ascension et Au-delà des cimes le désormais classique de Rémy Tézier.

Une belle histoire

Créé par Morgane et Christophe Raylat, le Chamonix Film Festival a ainsi clôt une semaine de projections. Mais on l’a dit, un festival ne se résume pas à des films, mais à des rencontres. Il y a eu celles permises par le Verre des Montagnardes, apéro organisé en partenariat avec le festival Femmes en Montagne. Il y a aussi l’exposition photo Les hommes de l’ombre d’Ulysse Lefebvre au Plan B – ces sherpas que certains films ignorent.

Et puis il y a le festival live. Après son film qui relate son aventure à vélo, Far Enough, Jean Rouaux a emmené un groupe un vélo pour une session bloc au col des Montets. La rencontre au Plan B avec Benjamin Védrines, et le couple Roche/Sansoz a fait salle comble.

Après la projection en plein air du film l’Ascension – qui retrace son Everest de 2003 – Nadir Dendoune, le « tocard de l’Everest » a accompagné un groupe de jeunes au refuge Albert 1er pour une initiation à l’alpinisme avec l’association En passant par la montagne. Qui était l’une des assos présentes lors de la 2e journée de la montagne sociale et solidaire, le 12 juin. On y a débattu de l’art et la manière de promouvoir celle-ci, par le biais d’un Manifeste qui sera publié le 21 septembre prochain.

Ulysse Lefebvre et l’expo du Plan B.

Cory Richards et Jean Rouaux

©E.K.

Mentionnons également le succès de la journée professionnelle autour des réalisateurs de montagne et Sophie Planque. D’ailleurs, pour la 3e année, Ushuaia TV, le FODACIM et le Chamonix Film Festival ont décerné un prix, appel à projets, doté de 17500 euros : il a été promis à Thomas Yzèbe et JB Jouy pour la Fleur et le Glacier (qui parlera de la Bérarde, entre autres), à voir au festival en 2026.

Les livres et les auteurs n’étaient pas en reste, avec la présence de Catherine Destivelle, de Charlie Buffet, d’Hervé Bodeau, et celle, en tant qu’animateur, de Guillaume Desmurs. L’auteur du magistral roman Saskia – et de la chronique JO 2030 sur Alpine Mag – a délivré ses conseils en écriture et en scénario lors de plusieurs ateliers dédiés. Et n’oublions pas l’une des rencontres phares de cette semaine chamoniarde : Cory Richards, venu parler de son livre les Brûlures de glace – on vous reparle très vite de cette rencontre marquante. Il y en a eu d’autres, et c’est là tout le sens du Chamonix Film Festival.

 

Dimanche 16 juin se tenait la cerise sur le gâteau du festival. Benjamin Védrines (également parrain de cette édition), et Jérémie Chenal ont offert en avant première la diffusion de leur nouveau film qui raconte la moisson exceptionnelle de descentes à skis engrangées au printemps 2024 par Benjamin Védrines et Nicolas Jean, dans le massif des Écrins. Le peintre Jean-Marc Rochette intervient également dans ce film. Une belle histoire de plus à s’en mettre plein les yeux. Merci et longue vie au Cham Film Festival !