Mercredi 30 août 2023, Chamonix, rue du Docteur Paccard. Je marche d’un bon pas sur le chemin d’un rendez-vous dans le centre-ville. Je double du monde, presqu’au pas de course car, comme souvent, je ne suis pas en avance.
Quand soudain, je me sens suivi. Un autre homme pressé me talonne alors même que, chaussé de tongs dans le plus pur style estival, façon je-bosse-mais-je-résiste, je suis au maximum de mes capacités.
Bon sang c’est sûr il me rattrape. Je me prends au jeu, j’accélère. Il me tient le bougre. Il a pourtant le pas lourd et le souffle rauque. Il a dû souffrir ces dernières heures. Ça y’est il me double ! C’est un personnage claudiquant, tout de flasques et de fluo vêtu. Ses traits sont tirés mais son sourire est bien visible.
Et puis soudain, un cri, vif et franc. Je sursaute. Puis d’autres voix qui se joignent à la première pour devenir une véritable clameur. Et des mains qui claquent et applaudissent franchement. Comme ça, en pleine ville. Une agression ? Une star de passage ? Mais non, tout le monde va bien et point de Kiki Catalan ou de François géant dans les parages.
Tous ont la banane
Ceux qui courent
et ceux qui les regardent courir
Il s’agit simplement des derniers concurrents de la redoutable course TDS (Tour des ducs de Savoie) touchant au but après plus de 40h de course. Pourtant, ceux-là ont la banane. Ceux qui courent et ceux qui les regardent courir, sportifs usés par plus de 40 heures de course et badauds en goguette qui n’y connaissent rien. Et les uns acclament les autres.
Que penser de l’audience incroyable que suscite cette course aux yeux et aux oreilles du grand public, alors même que beaucoup d’autres sports de montagne en mériterait ne serait-ce qu’un tout petit pourcentage ?
Passée cette considération optimiste, ma conscience me rappelle que tout ça est quand même un sacré bazar écologique.
Je me souviens aussi du surnom de « gnous » donné par Sylvain Tesson aux traileurs à l’instinct grégaire, amateurs de dossards dans une discipline qui se pratique très bien hors des courses organisées.
Aussi, comment échapper au nouveau nom officiel de la course avec son sponsor pas comme il faut, la provocation que ça représente et l’incohérence pour un évènement « de pleine nature » ?
Et puis c’est l’éboulement en vallée de Maurienne, la coupure des trafics routiers et ferroviaires vers l’Italie et la file d’attente longue comme jamais pour le tunnel du Mont-Blanc qui m’ont rappelé que le plus gros problème de trafic et de pollution était sûrement ailleurs.
Comme chaque année, l’UTMB génère le pire et le meilleur et fait couler beaucoup d’encre (y compris chez Alpine Mag). Jeter le bébé avec l’eau du bain serait probablement trop facile et surtout contre productif pour améliorer les choses, sur cet évènement et tous les autres. À charge surtout pour les intéressés et leurs détracteurs de continuer à y bosser le reste du temps, quand les projecteurs sont éteints. Ce sera à suivre dans nos pages évidemment.
Mais pour le moment, j’avoue ne garder que le meilleur. De côté les polémiques et la solastalgie, seul me revient le souvenir fugace des quelques humains heureux croisés par là. C’est peut-être un peu facile, sûrement une fainéantise de l’esprit. Mais parfois ça repose. Ça requinque. Ça ventile. Ça dégrise aussi.
Ce n’est pas tous les jours qu’on voit l’engouement d’anonymes pour d’autres anonymes. Et puis à l’instar du proverbe chinois qui dit que les gens heureux ne sont pas pressés, j’avoue avoir un faible pour les bons derniers. Bonne rentrée à tous, et que la pente soit douce.