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Tom Ballard et Daniele Nardi morts au Nanga Parbat

Nanga Parbat. ©Elisabeth Revol.

La recherche de Tom Ballard et Daniele Nardi au Nanga Parbat se poursuit au Pakistan alors qu’il faudrait un miracle pour les revoir vivants. Hier, l’équipe de secours menée par le Basque Alex Txikon a repéré au télescope depuis le camp de base ce qui ressemblerait à deux silhouettes sur l’éperon Mummery. L’espoir n’est pourtant guère de mise alors que la cordée a disparu depuis douze jours. Entre atermoiements et tweets en série, récit d’un échec.

L

’avalanche d’informations et de messages qui a déferlé depuis le mercredi 27 février – l’alerte n’aurait pas été déclenchée le 27 ou le 28, mais dès le 26 au matin d’après une source dite officielle – a provoqué des approximations dans la plupart des articles écrits sur le sujet, pour ne pas dire des erreurs.

Un secours en hiver sur un 8000 pakistanais comme le Nanga Parbat, où seulement une expé évolue, n’arrive pas tous les quatre matins, d’autant plus dans un contexte de guerre mobilisant les moyens héliportés militaires, ceux-ci d’usage aux secours civils, et plus encore lorsque ce contexte entraine la fermeture de tout l’espace aérien. Le secours d’Elisabeth Revol et de Tomek Makiewicz sur la même montagne, l’hiver dernier, était contextuellement plus simple, néanmoins inédit au Pakistan par son engagement. Cela fait peu de recul ou d’automatismes assimilés pour remettre ça si vite. Enfin, commencer à dire qu’un secours est possible sur un 8000 en hiver mériterait d’attribuer à la chose une probabilité de réussite très faible, pour ne pas dire infime.

Pontecorvo et twitter

Concernant la recherche d’informations, il a été difficile de recueillir le moindre communiqué de presse auprès des ambassades, dont les boites mails étaient parfois saturées. Une communication choisie a minima ? Pas impossible. Durant les opérations de secours, des informations officielles ont émané des courtes mais néanmoins fréquentes déclarations de l’ambassadeur italien à Islamabad Stefano Pontecorvo, via son compte twitter : et Pontecorvo n’a pas manqué, parfois, de relayer sans commentaire des articles de médias divers. Furent également déclarées comme informations officielles les messages postés sur le compte facebook de l’Italien Daniele Nardi (d’où notamment la précision sur la date de l’alerte, plus haut). D’autres témoins, journalistes plus ou moins proches des évènements, autres proches des alpinistes, ont également fourni des éléments aux gens qui questionnaient. Citons parmi eux la journaliste russe Anna Piunova[1], en liaison notamment rapprochée avec l’expédition russo-kazakh-kirghiz actuellement au K2, mais pas que. Moultes « informations » ont donc circulé : certains contenus non officialisés ont fait progresser la connaissance et la compréhension ou, au contraire, rendu plus opaques les actions menées et fragilisé les informations rendues officiellement : un marasme pur et simple « dangereux » pour Jean-Michel Asselin[2], parmi les observateurs.

Au-delà du drame, des questions demeurent

Mourir en montagne est pour beaucoup d’alpinistes et d’himalayistes un échec. Et ce secours est très probablement un échec, dans la mesure où Tom Ballard et Daniele Nardi sont très probablement morts. Aujourd’hui, les éléments évoqués et plus ou moins bien communiqués pendant les opérations sont plus clairs – il est probable que certains de ces éléments soient nuancés, discutés, précisés dans l’avenir – mais il demeure bien sûr des questions non négligeables sur l’organisation en elle-même du secours.

Premièrement, des questions peuvent se poser sur les choix faits par les dirigeants des opérations parmi les forces d’intervention en présence : les expéditions dites  « russe » (chef d’expé Artem Braun) et « espagnole » (chef d’expé Alex Txicon) au K2, les himalayistes Rahmat Ullah Baig et Kareem Hayat, compagnons de Nardi et Ballard au début de l’expédition au Nanga Parbat mais revenus du camp de base lorsque la disparition s’est avérée, d’autres himalayistes pakistanais, notamment Muhammad Ali Sadpara, auteur de la première hivernale du Nanga Parbat par la voie Kinshofer en 2016 et trois fois summiter, et d’autres compatriotes de ce dernier présents à Skardu. Rappelons ici que Skardu est située à environ mi-chemin du K2 et du Nanga Parbat, et est aussi le lieu d’une base aérienne pour les hélicoptères dédiés aux secours. À vol d’oiseau, moins de deux cent kilomètres séparent les deux 8000. C’est peu, mais c’est beaucoup quand l’espace aérien est en principe fermé.

Deuxièmement, à quel point ces choix étaient-ils liés à des enjeux différents de celui de la performance même du secours, alors que le pays est en plein conflit ouvert avec l’Inde ? Des enjeux liant par exemple l’Italie et/ou la Grande Bretagne au Pakistan, à l’Inde, ou encore la Russie ou l’Espagne au Pakistan, à l’Inde ? Et les autres alliés politiques et économiques de ces pays ? Ce secours a-t-il fini par devenir, en partie, un élément de négociations pouvant peser sur les relations diplomatiques des uns avec les autres, ou encore une vitrine pour le Pakistan ?

Une histoire folle

L’effort est considérable : il faut chaque jour obtenir deux hélicoptères et des autorisations de vols au sein de l’espace aérien fermé suite à des attentats perpétrés par pakistanais et indiens, créant notamment de vives tensions dans des zones relativement proches du K2. Des sommes importantes sont à fournir pour chaque mission héliportée (environ 30 à 40 000 euros la mission). Et il faut dans le même temps, pour le commandement des opérations de secours, faire l’état des lieux des forces en présence et les choisir, enfin décider des actions tout en gardant un œil sur la météo. À ce jeu, l’Italie s’est imposée rapidement aux yeux de tous, notamment à travers l’action de Stefano Pontecorvo.

Chaque mission de secours avec deux hélicos coûte 30 à 40000 euros.

Le 28 février au soir, à l’issue de la première recherche héliportée au Nanga, le premier dépôt effectué par l’expédition en prévision d’une intervention de secours aurait été largement dépensé. D’ailleurs, pour cette journée, Pontecorvo aurait joué de son art diplomatique pour trouver le reste nécessaire, ou l’équivalent dirons-nous. Pour poursuivre les jours suivants, en bénéficiant par exemple de l’aide des grimpeurs présents au K2, il fallait absolument retrouver de l’argent. Le mauvais temps des 1er et 2 mars ne permettait de toute façon pas les vols à ce moment-là et il y avait un peu de temps. L’investissement des familles et proches des disparus a alors été décisif, dès le 2 mars.

Cerclés en rouge, à gauche le Nanga Parbat, à droite le K2. Au centre la base de Skardu. Infographie Jocelyn Chavy. Cliquez ici pour voir l’original.

Le soutien des proches et du public

En Italie, Nardi est une star. Il bénéficie de nombreux sponsors, c’est un athlète des 8000 version 2.0 suivi sur le réseau facebook, au jour de sa disparition le dimanche 24 février, par près de 78 000 personnes. Tom Ballard, plus jeune, est le technicien indiscutable de la cordée : il reste moins accompagné, suivi sur le même réseau par dix mille personnes. Comme un groupe de soutien s’est créée pour Revol et Makiewicz l’hiver dernier, le « groupe de soutien à Daniele Nardi et Tom Ballard » a ouvert une cagnotte dès le samedi 2 mars. Il est à nouveau annoncé, en parallèle, que Pontecorvo a aussi fait le nécessaire pour permettre l’intervention, obtenir des appareils pour le 3, garantir le paiement à la société gérante des hélicoptères… Cela a fonctionné : météo s’améliorant, les appareils ont pu voler, les secouristes être transportés, les observations poursuivies. Pour autant, des voix comme celle de son compatriote Simone Moro se sont fait entendre cette semaine : l’himalayiste a vertement critiqué d’une part la poursuite de la mise en danger des secouristes, et d’autre part le choix selon lui sujet à caution de la voie choisie par Nardi et Ballard, l’éperon Mummery.

Ballard et Nardi ont disparu depuis douze jours et douze nuits.

Tous les jours, les recherches continuent ainsi, poursuivies ou non selon les « conditions militaires ». Hier, par exemple, la reconnaissance des silhouettes a, selon plusieurs sources, été retardée par l’usage militaire requis des hélicoptères. Ce 8 mars, c’est un problème technique qui aurait retardé une nouvelle fois la manœuvre.

Vue de l’extérieur, ce jour, c’est hallucinant. Voilà douze nuits et bientôt douze jours que Nardi et Ballard ont disparu aux alentours des 6300 mètres sur l’éperon Mummery, en hiver, seuls dans la face, à plus de 2000 mètres de dénivelé du camp de base ou 1500 mètres du début des pentes raides de la paroi. Le vendredi 1er mars, une avalanche a été filmée du camp de base : grosse, elle a balayé l’itinéraire au moins de 6200 mètres environ et jusqu’au bas de la face. Mais les secours n’en démordent pas : les disparus sont parfois tenaces. Nardi et Ballard le sont. Le secours continue, et retrouver les corps serait déjà quelque chose. Poursuivre néanmoins des jours ces recherches et cette cagnotte, entretenir l’espoir à travers des déclarations officielles très courtes et peu précises a interrogé une partie des observateurs qui, pour certains, étaient déjà choqués par d’autres choses : l’opacité ou le cruel manque de précisions sur les actions menées, sur les pourquoi, et sur ces fameux choix de forces en présence. Toujours est-il qu’aujourd’hui le 8 mars, près de 146 000 euros sont récoltés et la page facebook de Nardi, où chaque jour tombe les informations dites officielles, compte désormais près de 89 000 followers (+14% depuis le 24 février).

Dénouement ?

L’heure ne devrait-elle pas être celle du recueillement des familles, et du repos des femmes et des hommes impliqués sur le terrain des recherches depuis le 25 février ? Cela pourrait être aussi, pour (nous) les journalistes, l’heure de respecter l’ensemble des témoins directs, à pied d’œuvre au sein des secours ou sur les montagnes voisines, et d’attendre leurs disponibilités. Le Nanga Parbat, lui, garde ses secrets.

 

[1] Rédactrice en chef du site www.mountain.ru, dédié à l’alpinisme et l’himalayisme russe.

[2] Journaliste notamment ex-rédacteur en chef des magazines Montagnes, Vertical, Alpinisme et randonnée, écrivain.

 

À lire, notre article précédent, Tom Ballard et Daniele Nardi disparus au Nanga Parbat.