Les montagnes sont les sentinelles du climat. Là-haut, le réchauffement se montre plus violent et frappe de plein fouet les glaciers. Les alpinistes sont les tristes spectateurs de leur recul inexorable, symbole d’un changement climatique galopant. Les glaciers sont-ils condamnés ? Quelles conséquences ? Éléments de réponse par le glaciologue Bernard Francou, recueillis lors du 4ème Sustainable Summits de Chamonix.
es plus jeunes d’entre vous seront sûrement surpris d’apprendre que des alpinistes à l’âge pas si canonique ont fait leurs gammes à l’école de glace des Bossons, sur le glacier du même nom, au tout début des années 90. Chose absolument impossible aujourd’hui quand on voit le recul de la langue glaciaire, devenue trop lointaine, trop abrupte, et trop dangereuse. Ce genre de changement illustre à quel point la fonte des glaciers est rapide, visible à l’oeil nu, rendant palpable à quiconque le changement climatique. Ce constat, vous l’avez tous fait, mi-nostalgique, mi-alarmiste. Les glaciers se retirent pour disparaître, et les conséquences sont importantes pour la pratique de l’alpinisme comme l’explique Ludovic Ravanel dans un article récent.



À quel rythme ?
Les heures des glaciers de montagne sont donc comptées. La seule inconnue reste le rythme et l’ampleur de leur retrait. Une donnée qui dépend de la morphologie spécifique à chaque glacier, héritée de leur terrain, de leur altitude ou du climat local. Sur des glaciers très surveillés comme celui d’Aletsch, le plus grand d’Europe, les modèles prédisent une diminution de sa masse de 40% d’ici 2100 avec les températures actuelles. Un scénario hypothétique car même si l’homme arrêtait dès demain toute émission de gaz à effet de serre, les températures continueraient d’augmenter. Quand on intègre les prévisions du GIEC à +2 degrés, jugées « acceptables », les calculs donnent une réduction de 90%. Selon cette simulation, les glaciers tempérés de Vanoise et des Écrins auront tiré leur révérence d’ici un ou deux siècles. Ne survivraient que les glaciers froids du mont Blanc au-dessus de 3500 mètres. La mer de Glace, quant à elle, abandonnerait la métaphore pour devenir un véritable lac turquoise à la confluence des glaciers de Leschaux et du Tacul. Une perspective qui aurait sûrement enchanté les Chamoniards d’il y a trois siècles, effrayés lors du « Petit âge glaciaire » par la progression du glacier des Bois jusque dans la vallée et dont l’appétit gargantuesque eut raison de deux hameaux.
Une chose est sûre, les paysages de haute montagne sont éphémères et vont subir de profondes mutations, bouleversant l’alpinisme, les sociétés montagnarde, la biodiversité alpine… À l’échelle d’une vie, c’est vertigineux. À court terme, les pouvoirs publics devront accompagner ces transformations pour le tourisme. La ville de Chamonix a déjà financé une nouvelle voie d’accès au refuge de la Charpoua (2841m) à cause du retrait de la mer de Glace (même si les sommes investies sont sujet à discussion chez les guides). Les Suisses ont déjà pris le parti d’aménagements lourds comme à la Bernina pour assurer les ascensions malgré le retrait des glaces.

La mer de Glace, été 2013. © Jocelyn Chavy.
Quand Samivel s’estompe…
La disparition de pans entiers de cryosphère à la période estivale accentue aussi la difficulté des courses d’alpinisme et diminuent l’intérêt esthétique de certains itinéraires désormais caillouteux, scabreux. L’idéal de blancheur alpine imagé par Samivel s’estompe. Un coup d’oeil à la mer de Glace pendant notre passage à Chamonix suffisait pour constater des teintes plus sombres, les roches n’étant plus évacuées à cause de l’arrêt du glissement glaciaire (10 mètres par an contre 100 mètres avant les années 80). Seul point positif à leur des cailloux : ils protègent de la fonte la surface du glacier, pour un temps. Les Suisses ont repris à leur compte cette technique sur une fraction du glacier du Rhône, dans le Valais. D’immenses bâches blanches y réfléchissent le soleil et empêchent la fonte de la grotte de glace ouverte aux touristes. Un spectacle triste, laid. Une mesure en tout cas dérisoire, l’ultime réflexe de survie d’un monde révolu qui considérait la montagne et ses glaciers comme intangibles. Or, ce milieu est bien mouvant et modifie à son tour l’alpinisme tel qu’il fut pratiqué par Rébuffat, si bien que les topos des années 70 sont sur le point d’être relégués au rang de livres d’histoire. De quoi ouvrir un nouveau chapitre dans la longue série de mutations qu’a connu la discipline depuis sa naissance.

Pour aller plus loin :
Quoi de neuf sur la planète blanche ?, de Bernard Francou et Christian Vincent, Glénat, 2015
Sale temps pour les glaciers, L’Alpe numéro 78, Glénat, 2017