Simon Gietl, l’autre diable des Dolomites

Il est plutôt du genre discret, en tous cas il ne parle pas pour ne rien dire, en montagne ou sur les réseaux. C’est pourtant une figure de l’alpinisme des Dolomites, du Tyrol du sud plus précisément. Fidèle partisan d’un alpinisme épuré, il court les montagnes des Alpes et du monde avec toute la technique et la rapidité de l’alpiniste polyvalent. Rencontre avec Simon Gietl chez lui, près de Bolzano en Italie.

Corno Del Renon. Voilà le nom prometteur de la montagne que nous nous apprêtons à gravir. Corno del Renon, ça sonne. Ça claque. Ça évoque un lieu presque diabolique, une corne de renom, un défi pour alpinistes enflammés, endiablés. Olé.

Mais rien d’ibérique ici. Le Corno del Renon s’appelle aussi Ritner Horn, son autre nom en allemand cette fois, idiome le plus utilisé dans le Trentin-Haut Adige, le plus germain des coins italiens où culmine cette montagne de 2260 m d’altitude.

Sur les hauteurs de la vallée de Bolzano, porte d’entrée vers les Dolomites. ©Ulysse Lefebvre

Aucun de nous ne connaissait l’Agner
avant l’ouverture d’Ultima Perla
Michi Wohlleben

C’est que nous sommes à Bolzano, ville porte des Dolomites et point de rendez-vous donné avec Simon Gietl, figure de l’alpinisme et personnage singulier. Le sponsor principal de Simon, Salewa, a organisé la rencontre à l’occasion d’une réunion à son siège situé en périphérie de Bolzano. Le programme étant de discuter mais aussi de grimper, autant dire que les idées fusaient. Les voies d’escalade sont pléthores dans ce piémont des Dolomites et même si les géants du massif sont encore à quelques heures de route, le rocher est déjà bien présent. Avec Simon Gietl sous la main, autant dire que tout semblait possible.

Simon Gietl. ©Salewa

Mais c’était sans compter sur la pluie et le rocher détrempé. Exit l’escalade, place à la randonnée. Et rapide s’il vous plait. Du fast-hiking comme ils disent. Et ça tombe bien, Simon Gietl est du genre à accélérer la cadence et à courir, même là où les autres mesurent chacun de leurs pas. Que ce soit dans des itinéraires classiques comme en 2011, lorsqu’il gravit la voie Heckmair, en face nord de l’Eiger, en un temps record (4h25 avec Roger Schaëli. Ou encore sur des itinéraires moins parcourus comme en 2017, quand il réalise la traversée hivernale des emblématiques Tri Cime di Lavaredo, en cordée avec Michi Wohlleben dans le temps record de 9h15.

Mais le chrono n’est pas le moteur de Simon. Pour preuve : le tyrolien retournera dans la même traversée en 2020, en solitaire cette fois, et en 36h. Serait-ce l’amour de la montagne que d’y retourner encore et encore, sans plus grand chose à prouver ? Ou la sagesse de l’âge ?

le sud-tyrolien fait partie de ces rares alpinistes polyvalents
capables d’aller vite en montagne
tout en grimpant des voies techniques avec les piolets
ou en serrant les prises

S’il est « un autre diable des Dolomites », c’est moins par le verbe haut d’un Tita Piaz, diable originel, que par son allure hirsute. Gietl ne parle pas pour ne rien dire. Avec sa tignasse ébouriffée et cette petite mèche indienne tenue à part telle une amulette capillaire, ascendant sioux, il conserve toujours le visage poupon du jeune alpiniste fougueux qu’il était et est encore.

À 41 ans, son air jovial et curieux cache une longue expérience sur les sommets du monde, le plus souvent loin des foules, comme au Shivling, en Inde en 2017, où ouvre Shiva’s Ice avec Vittorio Messini. On le connait surtout en France pour ses expéditions partagées avec Mathieu Maynadier. Au printemps 2023, avec Roger Schaeli, le trio ouvre une voie sur le sommet sud du Meru (6570 m), l’un des plus beaux pics granitiques du Gharwal indien. Un peu plus tard la même année, Gietl réalise la première ascension hivernale d’Ultima Perla au mont Agner, considéré comme le big wall des Dolomites. Avec l’Allemand Michi Wohlleben et le Suisse Lukas Hinterberger, il réalise là une ascension technique extrêmement engagée où « chuter n’était pas une option ».

Le sud-tyrolien fait partie de ces rares alpinistes polyvalents, capables d’aller vite en montagne, tout en grimpant des voies techniques avec les piolets ou même en serrant les prises. En 2015, il libérait d’ailleurs la magnifique Odyssée (8a+, 1400 m) en face nord de l’Eiger, avec Roger Schaeli toujours. Du lourd.

Au Meru, en Inde, avec Mathieu Maynadier et Roger Schaeli en 2023. ©Coll. Gietl.

Loin d’être une tête brûlée, Simon Gietl est plutôt un bon père de famille qui gère ses vies personnelles et professionnelles en conséquence. C’est l’une des raisons pour lesquelles il travaille finalement très peu comme guide de haute montagne : « J’emmène surtout des clients en cascade de glace l’hiver. C’est comme ça que j’arrive à me dégager du temps pour grimper pour moi, tout en prenant soin de ma famille. C’est un équilibre qui me convient bien depuis plusieurs années » confie t-il. 

Simon Gietl au Corno del Renon, sur les hauteurs de Bolzano en Italie. ©UL

Sa vie professionnelle est elle aussi gérée sagement et selon les principes d’un « alpinisme traditionnel », pour reprendre l’expression d’un autre sud-tyrolien célèbre, du nom de Reinhold Messner. Ethique de progression, engagement, style alpin et créativité sont autant d’aiguillons dans son parcours d’alpiniste. 

Fidèle à ses principes, Gietl l’est aussi à son sponsor Salewa depuis 20 ans. À l’heure des mercato de grimpeurs entre grands équipementiers de montagne, le cas Gietl est assez significatif de sa vision de la montagne, loin des nombreuses surenchères. Installé dans un petit village de la vallée de Tauferer Ahrntal, au sud des Dolomites, son voisin n’est autre que Hans Kammerlander. C’est d’ailleurs avec lui qu’il est parti en « vacances » au Canada, il y a une dizaine d’années, pour gravir le mont Assiniboine, « le Cervin du coin, très beau, par sa voie normale ». On imagine le niveau des discussion à la fête des voisins du coin.

loin d’être une tête brûlée 
Simon Gietl est plutôt un bon père de famille

Mais Gietl reste avant tout un amoureux des Dolomites. Il continue encore et toujours d’y repérer des nouvelles lignes. En avril dernier, il ouvrait un itinéraire en solitaire : « Mes deux compagnons de cordée se sont désistés la veille au soir, donc j’y suis allé seul. L’envie de grimper était trop forte ». Mais point de free solo ici. De Paul Preuss, Gietl partage une idée essentielle : « Ce que tu grimpes, tu l’assumes ».

Sans aller jusque’à désescalader toutes ses voies, Gietl assume le besoin d’un minimum de sécurité et s’auto-assure dans le pilier nord-est du Wildgall. Dans ce qui ressemblerait presque à un petit Dru, le solitaire gravit les 300m d’une pure fissure granitique avec crampons et piolets. « Il reste un peu d’équipement dans la voie mais dans la majeure partie, on peut s’assurer sur friends » explique Simon tout sourire, avant d’ajouter peu plus grave « mais il vaut mieux y aller en bonnes conditions de regel car les pierres tombent souvent »… Malgré tout, il imprime son plaisir simple d’être là-haut en baptisant la voie Lumina, en souvenir d’un midi au sommet. 

Simon Gietl dans Lumina, au Wildgall. ©SG

©SG

La ligne Lumina, ouverte par Simon Gietl au Wildgall le 12 avril 2025 (M7, A0, 300m). ©SG

Alors que les mines se referment, que la sueur perle sur les fronts et que les discussions se font plus rares, la montre indique près de 20km parcourus, pour 1800m de dénivelé positif. La culture de la «  marche rapide » est toujours inversement proportionnelle aux moyens de transport disponibles. Parlez-en aux habitants de l’Oisans. Pourtant ici les chemins s’étirent sur la montagne aplanie, long dos d’éléphant aménagé par endroits, laissé aux écureuils à d’autres, livré aux skieurs sur pistes à son sommet. 

Simon Gietl a le mot rare mais le dialogue facile. ©UL

Attentif à la forme de chacun, Simon va s’enquérir des sensations de chacun et n’est pas avare de plaisanteries qui requinquent le moral des moins entraînés. À l’évocation de sa future expé, cet été au Pérou dans la région du Jirishanca, il détaille la future cordée : « Je pars avec Dani Arnold car il est très fort en alpinisme mixte, et avec Alexandre Huber car il excelle en escalade rocheuse. Et moi, il m’ont pris parce que je suis très fort aux cartes ! ». Dans l’alpinisme traditionnel, faut-il rappeler que l’humilité reste une valeur essentielle ?