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Pourquoi faut-il lire le Mont Analogue ?

Roman inachevé par la mort de son auteur, René Daumal, en 1944, le Mont Analogue fait partie de ces mythes de la littérature, la grande. Poète aux tendances surréalistes, René Daumal a cherché, sa courte vie durant, à répondre aux questions existentielles en pratiquant l’alpinisme et, étudiant le sanskrit, la mystique hindoue. Axis mundi, la montagne comme centre du monde devient la quête d’une vie, mais l’homme ne peut s’en satisfaire, cherchant le sens de celle-ci en apprenant à travers de multiples strates de compréhension, comme le voulait René Daumal, que cette quête est infinie.

Le Mont Analogue ? C’est la plus haute des montagnes, sans doute plus haute que huit mille mètres. Située sur un continent encore jamais découvert, le Mont Analogue a ceci de particulier qu’il est resté invisible jusqu’à ce qu’une expédition d’intrépides alpinistes ne se mettent à sa recherche. Sur ce canevas, qui pourrait être celui d’un (excellent) roman de Jules Verne, René Daumal a « rendu croyable cette histoire véridique » selon ses propres mots. Poète né en 1908, René Daumal a dans sa jeunesse usé de substances toxiques pour rencontrer un autre monde, écrit nombre de poésies parfois sombres (le Contre Ciel) avant d’écrire ce « Roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques », qu’il n’a pu achever, terrassé par la tuberculose en mai 1944.

Une montagne axe du monde

Situé dans le Pacifique Sud, le Mont Analogue par sa masse énorme équilibre l’ensemble des montagnes présentes dans l’hémisphère nord. D’une valeur symbolique inaccessible aux communs des mortels – mais, ironiquement, Daumal fait des guides de haute montagne du lieu ses gardiens qui monnayent le passage à prix d’or, chaque expédition devant rembourser des frais exorbitants – le Mont Analogue tient du mont Sinaï, en Égypte, où Moïse rencontra Dieu pour la première fois, du Mont Olympe bien connu des Dieux, et surtout du mont Meru. Situé au centre de la Terre dans la mythologie indienne (un sommet du Garhwal indien porte ce nom), le Meru est l’axe du monde et pour les croyants hindous, bouddhistes ou jaïns, sa représentation terrestre n’est autre que le Kailash, au Tibet chinois. Il faut avoir vu des centaines de pèlerins braver le froid glacial et l’altitude (5700 mètres) pour effectuer le tour sacré (la Kora du Kalaish) de la montagne en trois jours pour comprendre l’importance énorme qu’a, aujourd’hui encore, ce lieu mythique mais bien réel. Comme le Kailash, ou Meru, dont Daumal avait connaissance puisqu’il étudiait le sanskrit et avait accompagné un danseur hindou dans les années 30, le Mont Analogue est celui des superlatifs, la montagne que l’on vénère mais qui reste inaccessible.

Révéré mais jamais gravi, le mont Kailash, 6638 m, au Tibet. ©Jocelyn Chavy

Un conte infini

Le récit de Daumal commence par la visite du narrateur chez Pierre Sogol (nom dont l’anagramme doit éclairer le lecteur), sorte de pure lumière du rocher chez qui on entre en escaladant la façade parisienne. Il se poursuit par le montage, puis le départ d’une expédition destinée à gravir le Mont Analogue, après que les « héros » aient déterminé l’emplacement de celui-ci : il est caché par la courbure de l’espace (Daumal est inspiré par la récente découverte d’Einstein). Le récit d’aventures classiques mue peu à peu, en évoquant cette montagne impossible lien entre la Terre et le ciel, symbole commun à toutes les religions, et chemin inconnu vers un « ailleurs » où l’âme s’élève. De simple projet l’alpinisme devient le moyen de « passer », d’avancer malgré les tentations de facilité auxquelles font face les explorateurs de Daumal, ou les difficultés d’une société indigène dirigée par les montagnards (et que l’on peut voir comme très écolo avant l’heure, refusant le moteur, punissant ceux qui malmènent la nature). Daumal en profite pour poser cette « Définition : l’alpinisme est l’art de parcourir les montagnes en affrontant les plus grands dangers avec la plus grande prudence. On appelle ici art l’accomplissement d’un savoir dans une action. »

l’alpinisme est l’art de parcourir les montagnes en affrontant les plus grands dangers avec la plus grande prudence. On appelle ici art l’accomplissement d’un savoir dans une action.

Influencé, on l’a dit, par la mystique hindoue, René Daumal a peut-être voulu, avec ce conte, tenter son ultime ascension. La plus longue (« cette expédition peut durer des années »), la plus mystérieuse (et donc la plus difficile), que le narrateur outre ses compagnons entreprend avec sa femme (Daumal s’est marié au début de la guerre avec Vera, juive, et vit à Paris à moitié caché). Ode métaphysique aux alpinistes conquérants de l’inutile (et qui doivent apprendre le dépouillement), cette histoire tronquée a de quoi dérouter mais ses différentes « strates » (poésie, alpinisme, aventure, ironie…) laissent le lecteur autant de voies possibles, voire même, autant de mouvements possibles pour réaliser cette unique voie, que l’on peut donc, à loisir, lire et relire pour en trouver de nouvelles méthodes.

Daumal y a laissé ces bribes de topo : « Que possédions-nous qui eût réellement de la valeur ? Avec quoi pouvait-on payer la nouvelle connaissance que nous allions y chercher ? Allions-nous la mendier ? Ou bien devrions-nous l’acquérir à crédit ? Chacun faisait son inventaire, et chacun de jour en jour se sentait plus pauvre, ne voyant rien autour de lui ni en lui qui lui appartînt réellement. » 

Pour cet été, Alpine Mag offre à ses abonnés la lecture du Mont Analogue en dix épisodes.

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