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Les vacances de Denis Urubko

Disons que tout s’est accéléré depuis le sauvetage d’Élisabeth Revol au Nanga Parbat : les 8000 en hiver déchaînent les passions, et semblent encore pour une part de l’Himalayisme un domaine d’élite, d’exploration des limites humaines. En témoignent les nombreuses tentatives sur le K2, 8611m, toujours invaincu en hiver – quand même le pôle Nord l’a été cette année au coeur de la nuit polaire. Ultime himalayiste présent sur le Baltoro, Denis Urubko a jeté ses forces dans une tentative en solo sur le Broad Peak. Mais après une avalanche sur la tête et diverses frayeurs, il a fait demi-tour à 7400 mètres, annonçant à sa femme qu’il en avait « assez « . Et qu’il allait se consacrer à l’escalade sportive – pour réussir son premier 8a, comme il l’a confirmé à notre confrère Desnivel.

Grand himalayiste, Denis a gravi sans oxygène les 14 sommets de plus de 8000m depuis 2009 et réalisé de belles premières : il a fait 22 8000 (!) au total. Et il en a marre. Il a envie de soleil, et de petits déjeuners sans lyophilisés ou chapatis. 

Denis a envie de soleil, de chaleur humaine, et de petits déjeuners sans chapatis. 

Stupeurs et tremblements : 55 ans quasiment jour pour jour après Walter Bonatti, le plus grand montagnard actuel, Denis Urubko, annonce prendre la même décision, renoncer au grand alpinisme. En février 1965, le grand Walter venait à bout d’une voie nouvelle en solo et en hiver dans la face nord du Cervin, et tirait sa révérence à l’âge de 35 ans. Il démarrait une deuxième vie de reporter, amateur de terres lointaines et d’une jolie actrice italienne.

À 46 ans, Denis Urubko a déjà poussé le bouchon pas mal d’expéditions supplémentaires, tout en sauvant d’autres himalayistes en détresse, de Jean-Christophe Lafaille à E. Revol. Quand il n’est pas en Himalaya Denis vit à Bergame, en Lombardie, région de naissance de Bonatti, où une jeune et jolie journaliste espagnole est venue l’interviewer il y a quelques années. Maria « Pipi » Cardell est devenue sa compagne, y compris de cordée. Après tout, Denis a de la marge : l’écrivain italien Erri de Luca a fait son premier 8a à 47 ans, son premier 8b+ à 53 ans.

Denis veut faire du 8a. Après tout, il a de la marge. Erri de Luca a fait son premier 8b+ à 53 ans.

En même temps qu’Urubko sur le Baltoro, Mingma G. Sherpa a couiné, pestant contre ces 8000 pakistanais dont les camps de base en hiver sont sous la neige et les vents furieux. Les Pakistanais, dont on présume l’appétence pour l’ex-militaire kazakh Urubko, ont envoyé deux hélicos pour le ramener à Skardu. Denis a râlé de ne pas faire le sommet, mais il était sûrement content de gagner cinq jours de marche sur les caillasses enneigées du Baltoro, ce qui faisait en théorie cinq jours de moins avant de retrouver Pipi Cardell. 

Pour les avoir croisés, les deux tourtereaux s’entendent à merveille, et Denis doit déjà échafauder des plans pour aller grimper sur l’île de Sakhaline, à l’autre bout de la Sibérie, là où il a grandi. Oui, là-bas, il y a des voies au bord de la mer, équipées par des locaux qui ont appris à équiper en regardant des vidéos Youtube, d’après Denis. Si vous y allez, faites gaffe aux spits. Et saluez un quadragénaire en forme, assez malin pour faire demi-tour, ou pour faire croire qu’il est en vacances.