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Intégrale de Peuterey à la journée

Pour la cordée Oscargo

Un mont Blanc pas comme les autres : l’intégrale de Peuterey à la journée, en 16h30 de la vallée au sommet. Par une cordée pas comme les autres : Hugo et Oscar Schmitt, deux jeunes frangins qui s’étaient offert Mitchka en face sud de la Meije de la même façon. Ils ont visiblement pris du galon !

Il y a quelques années, lorsque j’ai découvert l’existence de cette longue arête reliant le Val Veny au sommet du Mont-Blanc, j’ai tout de suite été émerveillé. Les récits de cette course paraissaient beaucoup plus proches de l’aventure que de la course d’alpinisme classique. A cette époque, j’en avais parlé à mon frère comme d’un rêve très ambitieux que nous pourrions tenter dans de nombreuses années.

Mais l’intensification de notre pratique a rapidement rendu ce rêve réalisable et nous avons de plus en plus discuté de la possibilité de réaliser cette course d’ampleur à la journée. Dans un premier temps, cela nous paraissait impossible, puis, après réflexion et étude des récits et topos, on a commencé à y croire… On a donc débuté ce mois de Juillet avec comme but final en tête la réalisation de cette intégrale de Peuterey à la journée.

 

Préparation entre Écrins et Mont Blanc

Après un confinement studieux et un peu vide de grimpe, on a décidé de concentrer les projets de l’été sur des grosses bavantes style alpi/trail avec de la grimpe en 5+/6a max. On commence alors par une petite semaine dans la vallée de Cham. Bien sûr, aucunes remontées mécaniques cet été non plus, à l’ancienne.

Voie normale du Peigne puis refuge du Couvercle dans la même journée, c’était une bonne grosse première bambée ! On est arrivés au refuge rincés pour tenter l’arrête du Moine le lendemain, y’avait encore du taf niveau caisse… Le lendemain, le temps nous pose un but et on redescend pour un Poco Loco (burger) bien mérité à Cham.

Puis on « répète » le Tour du Tour de Kilian Jornet (superbe découverte du bassin du Tour à voir sur sa chaine YouTube). En bref, départ du village du Tour, montée à Albert 1er, Aiguille du Génépi, Aiguilles du Tour puis Chardonnay par l’arrête Forbes et redescente au Tour. De très bonnes sensations et un temps honorable (seulement 2 heures de plus que Jornet !).

Le Padre nous rejoint ensuite pour la suite de notre périple alpin pour relier La Bérarde (passage obligé d’un été réussi !). Le compère Matis Bondurand nous rejoint également, c’est un novice en alpi estival mais sa caisse légendaire de collant pipette contrebalancera ! Un petit tour à la Barre des Ecrins pour commencer (le sommet des Ecrins manquait encore à notre palmarès) par la face Sud puis redescente par le col des Ecrins, magnifique itinéraire !

Et puis il fallait bien rendre visite à la face S de la Meije, donc pour faire découvrir la joie des grandes parois, on amène Matis dans la Pierre Allain. Pas de doute, il va devoir se mettre à grimper le bougre !

L’intégrale de Peuterey, de gauche à droite, la Noire, les Dames Anglaises, la Blanche, le Grand Pilier d’Angle. ©JC

Acclimatation à l’Innominata

Après une soirée du 13 juillet courte mais très sympas à La Bérarde, on met les voiles vers le Val Veny en Italie pour l’épisode final de notre périple. Pour finir de se préparer et surtout pour l’acclimatation, le Padre nous conseille l’Innominata qui nous permet de découvrir (de loin) l’intégrale, un beau morceau !

Cette fois ci, pour se ménager, on monte à Eccles la veille pour mettre un push rapide le lendemain. Trois grosses heures et quelques frigos plus tard on est au sommet du Mont Blanc où l’on rencontre les première cordées de la voie normale. La forme est plutôt bonne et on descend à fond par la voie des Papes (voie normale Italienne), J’envoie un message au Padre, il n’est pas encore levé alors on le rejoindra en bas de la vallée…

La veille de la course, on monte au refuge de la Noire pour repérer l’attaque de la voie. Une énorme avalanche avait dévalé le vallon la veille.

Derniers préparatifs et discussions, comme des gros boulets on n’a pas été foutus de prévoir un peu le truc et on a pas de corde de 60 (ce qu’il faut en principe). On décide donc après quelques tests de prendre une corde à double de 50 et une corde dyneema de 50. Le coulissement d’une corde par rapport à l’autre s’est avéré assez minime et puisque les rappels ne font que 30, nos 50 mètres permettent d’avoir de la marge. On espère juste ne pas coincer le nœud… On décide également de ne pas prendre de popote mais plus d’eau que prévu soit 4,5 litres pour 2.

Pour finir de se préparer et surtout pour l’acclimatation, le Padre nous conseille l’Innominata qui nous permet de découvrir l’Intégrale.

Préparation : dans la Pierre Allain à la Meije. © H. et O. Schmitt

Acclimatation : à l’Innominata, passage au pic Eccles. © H. et O. Schmitt

L’intégrale

Lundi 20 Juillet, 3 h 15, départ pour le mastodonte : l’intégrale de Peuterey par l’arrête Sud de la Noire à la journée. Comme d’habitude sur ce genre de projet, chacun sait ce qu’il a à faire, pas de temps à perdre, on ne discute pas, chacun est dans son esprit, concentré. On tombe les couches successivement, la journée s’annonce chaude !

Vers 5 heure moins le quart on arrive au dernier torrent dans lequel on remplit nos 4,5 litres d’eau, Oscar va partir en tête alors je prends plus de poids… Le sac est plus lourd que ce que je pensais, j’ai un peu peur de ma capacité à avancer vite dans la Noire avec ce poids sur le dos…On passe la petite rimaye et on s’encorde en haut de la première longueur, 5 h 15, déjà 15 min de retard, let’s go !

Le poids du sac à dos me met des doutes mais mon escalade devient rapidement de plus en plus sure et fluide. Oscar fait de courts arrêts de temps en temps pour checker le topo sur le tél et me demander mon avis ou encore pour récupérer le matos. Son sens de l’itinéraire s’étant aiguisé rapidement, on avait décidé qu’il ferait tout devant.

La Noire, c’est loooonnnnng, mais on avance vite, on avale les pointes les unes après les autres, quelques hésitations mais pas d’erreurs d’itinéraire. Le soleil se lève peu à peu, le paysage est grandiose, une ambiance dont je me rappellerai toujours, d’autant plus que la météo était parfaite, une des plus belle journée en montagne de ma vie, pas un nuage !

On ne parle pas vraiment à part pour les infos importantes, on est motivés et concentrés et hop, on arrive au sommet un peu avant 10 h. Moins de 4 h 45 pour l’arrête S de la Noire à vue, alors ça, ça met le smile et ça donne confiance pour la suite. Surtout que la forme est encore bien là.

La Noire, c’est loooonnnnng, mais on avance vite, on avale les pointes les unes après les autres sans faire d’erreur

Quinze minutes de pause pour manger un bout, prendre quelques photos et surtout une bonne pause technique pour Oscar. Puis sans perdre de temps on enchaîne sur les rappels (au moins 15). Le nouvel équipement est dément ! C’est vrai qu’en voyant la gueule des anciens relais on comprend pourquoi ce rééquipement a diminué l’engagement de la course… Avec nos deux cordes de 50, on réussit à ne pas coincer le nœud mais il faut désemmêler les cordes quelques fois. C’est ambiance, cette longue descente en rappel bien raide pour arriver… Dans le Mordor ! Les Dames Anglaises, ça sent la pourriture à plein nez, t’as pas envie de rester longtemps ! Il fait sombre, les restes de neige sont noirs, pas un seul cailloux ne tient en place et surtout, le topo (C2C) est plus qu’elliptique à partir du sommet de la Noire… On doit trouver notre propre chemin.

On s’est sans aucun doute gourré, on a pris une brèche au centre et trouvé une unique cordelette sur un becquet sur laquelle on a fait un rappel de l’autre côté pour ensuite désescalade des piles de frigos, c’était un peu comme faire joujou dans une décharge. On savait qu’on était dans la bonne direction et d’après ce que l’on sait, ça passe à peu près de partout alors on continue. Après une petite heure et demie de bartasse, on atteint le refuge Craveri…

Depuis l’arête sud de l’Aiguille Noire de Peuterey, vue sur la pointe Gamba © Hugo et Oscar Schmitt

Au-dessus du glacier de Frêney © Hugo et Oscar Schmitt

Hugo, posé devant la Vierge de la Noire. © Schmitt

Grand Pilier d’Angle

Il est 13 h 15, à peine en retard sur l’horaire, une pause s’impose ! On s’arrête jusqu’à 13 h 50 pour manger les tucs bacon et le bout de comté, seul repas salé que nous avions prévu. On réorganise un peu les sacs pour la suite et on cherche l’itinéraire. Encore une fois le topo ne donne pas beaucoup, voire pas d’infos. On décide de partir un peu à l’aveugle en espérant et c’était la bonne option !

Après 30 ou 40 minutes, je commence à entrer dans le dur, c’était vraiment fluide jusqu’à maintenant mais le corps commence à m’en vouloir. On est dans la montée de la Gugliermina, on s’est désencordés pour les risques de chute de pierres et Oscar est devant, pas encore vraiment de signe de fatigue pour lui mais je suis à la peine… Les frigos pleuvent dont un bloc que Oscar décroche et qui passe à 50 cm de moi, c’est ambiance roulette russe mais la fatigue atténue la sensation de risque, je suis un peu anesthésié…

On rejoint enfin l’arrête et la pointe n’est pas loin, Oscar fait une petite erreur d’itinéraire qui nous fait faire un petit pas de 5 en solo (j’ai pas adoré de ouf ouf). Puis on est arrivés à la fameuse demi-lune. Vue magnifique et surtout, on savait qu’une fois arrivés à la Blanche dans les temps, c’était bon et que le reste était faisable… Au mental comme on dit ! Il est 16 h.

La fin du Grand Pilier d’Angle me met en rogne, je râle avec moi-même, ça commence à faire vraiment long 

Les rappels de la Blanche pour rejoindre le col de Peuterey sont plus nombreux et long que prévu, ils me permettent de me reposer un peu. Un beau coin de bivouac est aménagé au col et une cordée est au début du Grand Pilier d’Angle, ils sont vraiment lents et vu l’heure on doute un peu de leur capacité à arriver au sommet mais ils ne semblent pas être en détresse.

Ils ont choisi de partir à droite (plus long mais moins expo), pour nous, pas de temps à perdre, on part droit devant et vite pour ne pas rester exposé trop longtemps. De l’eau coule au niveau de la rimaye, on boit un petit coup pour refaire les niveaux. La fin du Grand Pilier d’Angle me met en rogne, je ne suis plus lucide à 100 % et mon escalade est hésitante et déséquilibrée, je râle avec moi-même, ça commence à faire vraiment long et je veux arriver.

En arrivant au sommet du Pilier d’Angle, on est encore en collant et polaire mais la température baisse beaucoup d’un coup, on enfile les gore tex et je mets le pantalon puis on enchaine vers le Mont-Blanc de Courmayeur. A partir de ce moment, pour moi c’est le début du calvaire physique. Je commence à m’arrêter de temps en temps un peu malgré moi, je m’endors à moitié… Mes souvenirs de cette partie sont assez flous, je me rappelle chanter des portions de musique de deux secondes en boucle comme un disque rayé pour me motiver. C’est dans ces moments où l’on se demande un peu pourquoi on ne boit pas un spritz en bord de mer… Jusqu’à ce que l’on ne se demande plus rien, tout est focalisé sur le fait d’avancer, l’esprit ne doit pas laisser le choix au corps. C’est bientôt la fin, il ne faut pas s’arrêter, tout donner, ne pas avoir de regrets.

Peuterey en collants © Hugo et Oscar Schmitt

 © Hugo et Oscar Schmitt

Dans le rétro, la Blanche de Peuterey © Hugo et Oscar Schmitt

Fin d’aprem, la pente finale de l’arête passée à l’ombre © Hugo et Oscar Schmitt

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On passe la lèvre de neige, on arrive au Mont Blanc de Courmayeur, on voit le sommet et je suis saisi d’un grand frisson, grosse décharge d’une de ces drogues corporelles, je me sens invincible. On est accueilli par le soleil du soir et un vent glacial… Oscar est encore en collant et prend une caillante de l’extrême, je l’aide à mettre le pantalon avec les crampons et les grosses chaussures qui gênent, une vrai galère… Une fois bien refroidis par ces 10 minutes merdiques (Oscar tu aurais dû le mettre en même temps que moi, ton falsard !), on enchaine rapidement, j’ai envie de bouffer le Mont Blanc ! (Et de bouffer tout court aussi). On arrive au sommet un peu après 19 h 30, c’est ma-gni-fique, je retiens un peu mes larmes, on ne réalise pas vraiment que l’on a réussi, on l’a fait ! Un couple de Russes visiblement très réchauffés nous y attend, c’est un peu la rencontre de deux mondes. On a la sensation d’arriver comme deux héros mais ils n’ont évidemment aucune idée de ce que l’on a fait, et nous on a aucune idée de ce qu’ils font à cette heure au sommet du Mont Blanc sans sac et en sous gants ! Et puis on est GELÉS, les corps ne chauffent plus, je ne sens plus mes pieds, il faut vite descendre…

On arrive rapidement à Vallot, on mange un peu et on a aucune envie de dormir là donc on continue sur le Goûter. En s’en rapprochant, on se rend compte que l’on veut et peut descendre plus bas, Tête Rousse est moins cher et on veut avoir un minimum à faire le lendemain pour rejoindre les Houches (à pieds). Entre le Goûter et Tête Rousse j’ai le sentiment d’être un rescapé, je suis un zombie et c’est interminable… On arrive finalement au refuge à 21 h 45, juste avant le coucher du soleil, j’arrête la montre, on se pose sur la terrasse, je suis un peu perdu. La gardienne sort : « je parie que vous avez pas réservé, qu’est-ce qui vous prend de monter à cette heure ? » et moi de répondre : « On est vraiment désolés, en fait on monte pas, on descend, on a fait l’intégrale à la journée, et puis en fait on gnagnagngna », « Ah bon ben d’accord entrez alors » Ouf… Quelques minutes plus tard je viens la voire pour lui demander si elle a par hasard quelque chose à manger ou à boire. « Ah non désolé, on a fermé la caisse, mais tenez, une grande bouteille d’eau, c’est 6 euros » (quand on aime on ne compte pas). Puis elle revient avec le sourire : « en fait c’est mon anniversaire, on a un gros gâteau, vous en voulez ? » On s’est regardés avec Oscar, un sourire s’est instantanément déposé sur nos lèvres et comme deux fous on a hoché la tête l’air de dire « plus y’en a, mieux c’est ». Trente secondes plus tard on avait sur la table les deux plus grandes parts de gâteau que j’ai vu de ma vie.

Après avoir fini non sans mal les deux parts gargantuesques, on n’a pas fait de vieux os. Le lendemain, le corps n’était étonnamment pas si meurtri, un petit déjeuner hors de prix plus tard on quittait le refuge. Merci à la gardienne pour la super ambiance du soir et la nuitée gratos !

Deux grosses heures plus tard on arrivait dans le centre des Houches où le Padre nous attendait. Le restaurant Oscar la montagne à Cluses a malheureusement fermé ses portes alors papa a fait chauffer la carte à Sallanches. Puis retour sur Lyon dans la journée pour moi… Le lendemain je partais en randonnée itinérante dans les Bauges avec la seule et unique Eva !

Summit ! © Hugo et Oscar Schmitt

Hugo et Oscar, gelés mais heureux ! © Schmitt

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