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Himalaya | L’expé éclair du GMHM au Changabang

Si le Changabang, 6864 mètres, n’a aucun flanc accessible, son versant nord est ultra compact. Imaginez un bigwall de 1200 mètres en Himalaya. Une dent de requin aiguisée qui a vu passer le gotha de l’alpinisme. Une face nord à l’histoire tragique mais qui a souri au Groupe Militaire de Haute Montagne ce printemps. Récit d’une expé pas comme les autres.

De ce sommet, l’explorateur anglais Eric Shipton a dit qu’il paraissait « taillé d’un coup de couteau ». Le Changabang figure parmi les plus beaux sommets du Garhwal indien, au coeur de l’Himalaya. Sébastien Ratel l’assume d’autant mieux que le succès a été au rendez-vous : c’est lui qui a eu l’idée de viser un sommet « moins haut mais très technique ». Seb Ratel, militaire de carrière, quitte le GMHM l’automne prochain après onze ans de service et d’expéditions, au rythme d’une par an a minima : il tire sa révérence sur une superbe réussite, une ascension menée à un rythme impressionnant si l’on se penche sur les (quelques) autres ascensions de la montagne. « J’étais attiré par cette montagne très esthétique. L’idée de grimper sur du granite compact style Patagonie mais en Himalaya me séduisait. Avec le Groupe on était partant pour la face ouest, où s’est illustrée la fameuse cordée Boardman-Tasker. Mais les règles strictes du sanctuaire de la Nanda Devi, en bordure duquel se trouve le Changabang font que l’accès à la face ouest ne peut se faire que par un col pas simple à 5800 m ». Côté saison, les français s’inspirent de la première ascension de la face de Brendan Murphy et Andy Cave en style alpin en 1997 et optent pour le printemps. Plus d’ensoleillement – bien que ce soit une face nord, mais plus favorable que la face ouest in fine – et surtout moins froid. Les dés sont jetés. Au départ de Joshimath, dans le nord de l’Inde, quatre jours de trek permettent de rejoindre un camp de base à 4600 mètres. De là, aucune vue sur la face : il reste 1h30 pour la voir, et 18 km jusqu’à la rimaye, justifiant un camp de base avancé à 5200/5300 mètres. Il a beaucoup neigé et l’accès est pénible, mais la face hyper raide ne semble pas garnie de neige. Les voyants sont au vert.

Un sommet taillé d’un coup de couteau selon l’explorateur Eric Shipton.

Le Bagani glacier (Inde) avec le versant nord du Kalanka (6931 m. à g.) et du Changabang (6864 m. à d.). ©GMHM

Seb Moatti avant d’atteindre le 1er bivouac. ©GMHM

La cordée dans le crux du 2ème jour, photo prise avec une longue vue. ©GMHM

Il faut bien reconnaître que la face m’impressionnE. Seb Ratel

Changabang 2018, le récit

« C’est un beau granite gris, clair, souvent de très bonne qualité car compact, à l’exception d’écailles fragiles qui seront en fait dangereuses lors de la descente, explique Seb Ratel. On a commencé par monter voir la face ouest depuis le col. Il était similaire à une face nord de la Tour Ronde, autant dire qu’il y avait beaucoup de neige. On a même buté la première fois avant d’y retourner le lendemain. Il neigeait tous les après-midi. Finalement on a décidé de passer deux nuits au col pour s’acclimater, mais de choisir la face nord qui nous attirait le plus. » Le GMHM a un deal avec Méteo France et bénéficie d’un routeur météo qui une fois par jour envoyait un précieux bulletin au Groupe. Une journée de grand beau est annoncée et la cordée décide d’aller voir : il ne s’agit pas d’une tentative mais d’une reconnaissance. « Il faut bien reconnaître que la face m’impressionnait. Le meilleur moyen de savoir s’il y avait assez de glace pour passer et si le rocher était OK c’était d’aller y faire un tour » explique Seb Ratel. La cordée fonce mais s’arrête vers 6100 mètres, 100m sous l’emplacement du futur bivouac. Descente sur lunules, pas de cordes laissées en place, et retour au camp de base pour voir le mauvais temps s’installer pour une semaine. Ce qui n’est pas une mauvaise chose pour l’acclimatation. L’automne dernier, Léo Billon s’était coltiné un Mal Aigu des Montagnes au Népal. Expé zéro. Cette fois il prend le temps et cela semble payer. Le routeur annonce un créneau de deux jours : il est l’heure de se botter les fesses et de se frotter au mythe.

Doutes

« La cordée de trois, c’est idéal. Moins de poids, et rotation du leader » témoigne Ratel. « On a démarré à 3h du matin après avoir dormi dans la rimaye. L’idée est que chacun refasse ses longueurs pour être efficace, du coup Léo Billon a refait une longueur en M6 bien exposée. On a atteint le seul emplacement de bivouac visible dans la face comme prévu, même s’il nous a fallu 1h30 de terrassement. À cinq heures du matin nous sommes repartis, cette fois en effectuant une grande traversée vers la gauche, trois longueurs horizontales en glace dure menées par Seb Moatti, longueurs qui nous ont explosés physiquement. » En traversant cette vitre posée au milieu de la face la cordée connecte le bas ouvert par la cordée Payne-Clyma lors d’une tentative en 1996 et le haut de la face ouvert par Murphy-Cave en 1997. Un mur en mixte donne accès à de fines goulottes délicates ; la cordée décide de s’alléger en laissant du matériel non indispensable. Une longueur très délicate, avec trois pendules livre la clé d’une goulotte cachée. « Je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir des doutes sur la faisabilité de l’entreprise », explique Seb Ratel. « Seule l’idée rassurante de pouvoir descendre la face en rappel me poussait à continuer ». Mais la belle goulotte s’évanouit dans le granite blanc au bout de deux longueurs : il ne reste que du rocher raide, un dièdre pas évident et l’orage qui menace. Sous les spindrifts c’est Léo Billon qui s’y colle. « Le premier jour j’étais crevé par l’altitude » confie Léo. « Le second jour c’était dur le matin mais ensuite ça allait, et quand j’ai pris la tête je me suis senti carrément mieux ». Seb Ratel renchérit : « En tête tu es électrisé, et comme en plus tu as un petit sac, et bien finalement on pourrait dire que ça passe mieux qu’en second… » La nuit tombe au milieu des nuées et des doutes de la cordée.

La goulotte s’évanouit dans le granitE blanc au bout de deux longueurs il ne reste que du rocher raide, un dièdre pas évident et l’orage qui menace.

La cordée dans le bas de la face, vue prise en drone piloté depuis la rimaye. ©GMHM

Seb Ratel dans le cône de glace du 2ème jour à 6300 m. ©GMHM

Quand tu atteins ce genre de sommet tu penses pas mal à la descente. Léo Billon.

Soudain, vers 19h30 c’est le soulagement : la cordée atteint l’arête faîtière. La neige est bétonnée par le vent et c’est après une séance de pelletage que la cordée peut s’écrouler dans la tente. Mais l’orage claque : éclairs, coups de tonnerre, bourrasque, la soirée est tout sauf détendue quand on la passe à 6650 mètres dans de telles conditions. Le lendemain matin tout va mieux : le temps est beau, l’arête n’est pas simple en raison de des 20 cm de neige en sucre posés sur la glace noire mais ça passe, et vers les onze heures c’est la joie du sommet. Un sommet rarement foulé, avec une vue rare sur la Nanda Devi et le sanctuaire de la Nanda Devi. « Quand tu atteins ce genre de sommet, tu penses pas mal à la descente » reconnaît Seb Ratel. « Les accidents passés résonnent dans ta tête ». Léo Billon ajoute : « Ayant eu un seul accident en montagne, lors d’une descente, je ne suis jamais très euphorique en arrivant au sommet en général ». Un euphémisme quand vous savez que 1) il y a 1200 mètres de face à descendre ; 2) que parmi les dernières cordées à avoir foulé le même sommet tous ne sont pas parvenus vivants en bas. Seb Moatti assure la très délicate descente de l’arête puis le trio bascule dans la face en rappels sur les lunules bâties à la montée, jusqu’au point de jonction avec la traversée. Là, ils décident de s’épargner ladite traversée pour filer droit dans l’inconnu, au plus rapide. Une corde coincée leur fait perdre du temps et vingt mètres de corde. C’est le rush avant la nuit, d’autant que le brouillard a envahi la face. Quelques broches pour gagner du temps et c’est la délivrance. La rimaye que l’on a fini par tant désirer, se dessine sous les crampons. Le médecin et le chef du Groupe sont montés à leur rencontre. Soulagement, point d’errance sur le glacier.

Léo Billon cherche la solution quelques longueurs sous l’arête sommitale. ©GMHM

L’une des plus belles montagnes du monde, ou l’une des plus fascinantes.

The Shining Mountain

Sébastien Moatti, Sébastien Ratel et Léo Billon ont écrit une page heureuse du Changabang. Une très belle réussite en style alpin sur un sommet rare en trois jours seulement. Même aidés par le routeur météo, l’efficacité et la rapidité des trois du GMHM est à souligner, à mettre en parallèle avec le timing des (fortes) cordées précédentes. Là où les meilleurs, il y a vingt ans, mettaient dix jours, le GMHM boucle l’ascension en trois. Difficile de faire mieux. Quant à ouvrir une voie, sur cette face, il ne reste que l’option de tracer fastidieusement une voie parallèle à la voie russo-américaine, directe au sommet mais en artif, portaledges et semaines d’aller-retours. Au final, la jonction de l’itinéraire de la tentative de 1996 et celui de l’ascension de 1997 s’est révélé un choix judicieux, qui a permis une ascension fast and light dans un style très épuré, dans la lignée des plus belles ascensions de cette montagne fascinante. Cerise sur le gâteau : the Shining Mountain est peut-être l’une des plus belles montagnes du monde.

L’équipe du GMHM présente en Inde était composée de :

  • Cdt Pierre SANCIER
  • Médecin Benoît GINON
  • Adj Sébastien MOATTI
  • Cch Sébastien RATEL
  • 1ere classe Léo BILLON