Ceci est un vrai feu de camp. ©Jocelyn Chavy
Débarquer à Ailefroide au cœur de l’été, en provenance des vastes plaines de l’ouest, c’est un peu arriver dans un petit Yosemite Valley. Sûrement mal informés, on s’attend à un fond de vallée peu fréquenté, un cul de sac, un petit bout du monde bien au frais au pied des glaciers. Carte postale en noir et blanc à l’image des glaciers mitoyens. On rêvait du petit camping façon aire naturelle en guise de camp de base à nos journées d’activités en plein air. Mais de prime abord ça sonne faux. Nous avions pourtant eu un bon écho de la vallée avant de venir…
Beaucoup (trop ?) de monde, de voitures, de commerces. On a fui les rivages de l’océan et leurs vagues d’estivants, on se retrouve en montagne pris dans un torrent de grimpeurs, randonneurs, traileurs, vététistes et autres curieux. Douche froide à Ailefroide. Alors on se fraie un chemin dans le dédale du vaste camping, on trouve tant bien que mal sa place dans une petite clairière d’épicéas, on pose le camp façon joyeux barnum familial.
À Ailefroide, il est possible qu’une telle concentration de personnes de tous âges cohabitent dans le calme, le respect. Simple mais tellement rare de nos jours.
Après quelques heures passées sur place à repérer doucement les lieux, on se dit que quelque chose cloche. Vraiment. C’est terriblement calme, apaisé. Point de musique à tue-tête, point d’annonces dans des hauts parleurs grésillant, point d’éclats de voix, point de télévision déversant du JT. Tout au plus les cris joyeux des marmots qui goûtent les joies de la vie au grand air. Pour un peu on ferait presque partie des plus bruyant nous autres, touristes fraîchement arrivés, pas encore apaisés par les lieux ni rincés par les longues bordées plus ou moins verticales. Mais cela viendra.
Les heures passent, les jours, les soirées, les nuits et on comprend, on admet que c’est simplement possible. Possible qu’une telle concentration de personnes de tous âges et de diverses nationalités cohabitent dans le calme, le respect. Simple mais tellement rare de nos jours.
Comme un symbole de cette tribu apaisée, Ailefroide autorise ce qui partout ou presque en France est désormais interdit : le feu de camp. Le feu de camp, une « robinsonnade » qui réjouit petits et grands. Ramasser du bois – mort et en dehors des limites du parc national adjacent – construire son feu dans la place délimitée par quelques cailloux, craquer une allumette, souffler, nourrir, attiser, contempler, entretenir, se jouer de la fumée dont l’odeur imprègnera nos habits, quoiqu’on fasse, et c’est tant mieux. Laisser l’esprit vagabonder au grès des flammes, sous l’éclat approbateur des étoiles qui de tout là-haut doivent y percevoir un reflet de leur propre brillance. Cuisiner au feu de bois façon trappeur, pomme de terre dans la cendre et banane au chocolat arrosée de rhum – antidote au rhume – chamalows grillés pour les bambins. Quatre étoiles ? Non, bien davantage.
Ailefroide autorise ce qui partout ou presque en France est désormais interdit : le feu de camp. Le feu de camp, une « robinsonnade » qui réjouit petits et grands.
Du bon sens, un brin de vigilance et finalement rien ne peut arriver. Alors pourquoi donc après qu’il eut marqué l’un des grands tournants de l’histoire de l’humanité, le « feu de camp » est-il désormais banni du domaine public dans la quasi-totalité de l’hexagone, y compris à l’écart des véritables zones à risque de la moitié sud ? Retour de flammes ! Négligence, bêtise, incendie, tapage, dégradations. Sans vouloir souffler sur les braises, les bonnes raisons ne manquent pas à bien y regarder. Enrobez-les du sacro-saint principe de précaution et le tour est joué. Etouffé le feu de camp. Alors même qu’on serait bien tentés d’y voir une occasion supplémentaire de responsabiliser le citoyen.
Comme par hasard ce même principe de précaution lorgne trop souvent sur les activités dites « à risque » dont certaines occupent les journées des estivants à Ailefroide. En premier lieu desquelles : l’escalade.
Faut-il en conclure que celles et ceux-là même qui s’adonnent à l’escalade et se responsabilisent en conséquence, ont aujourd’hui la confiance des pouvoirs publics en matière de feu de camp ? Ici, force est de constater que oui ! Feu vert au feu ouvert. Belle reconnaissance pour la communauté éclectique et en partie hirsute des grimpeurs et autres arpenteurs.
Dès lors, on trouve l’énergie dans quelques bûches crépitantes, le soir autour du feu. Ce feu qui après une bonne nuit de sommeil, nous animera encore le lendemain au moment de nous élancer dans une grande voix des parois environnantes.
À Ailefroide, le grimpeur a le feu sacré.