Le 27 juillet 2023, Mohammed Hassan, porteur pakistanais, est décédé dans la traversée du Bottleneck au K2, vers 8200m. C’était sa première ascension en tant que porteur de haute altitude (High altitude porter, HAP en anglais).
Les raisons de sa chute restent obscures. Hassan pourrait avoir glissé, avoir été déstabilisé par une petite plaque en bordure de trace ou avoir subi tout autre problème physique le déséquilibrant. Attaché à la corde fixe, le jeune porteur de 27 ans a été retenu et n’est tombé que de quelques mètres, mais s’est retrouvé tête en bas.
Pour d’autres raisons troubles telles que le manque d’équipement (pas de combinaison en duvet, pas de gants chauds, pas de masque à oxygène) et/ou son manque d’expérience (ses jambes auraient été entravées par son baudrier défait), Mohammed Hassan n’a pas été en mesure de se remettre debout et de remonter jusqu’à la trace. Il est mort probablement de froid et d’épuisement quelques heures plus tard.
l’émotion s’est rapidement
transformée en scandale
Le passage du Bottleneck (8200m) au K2. Le corps étendu (sans vie ?) de Mohammed Hassan est visible en noir et jaune/orange. ©Lakpa Sherpa/8K Expeditions
Nous reproduisons ici l’une des photos dont émane le scandale. Elle est certes gênante, mais comme souvent en photo-journalisme, c’est ce qui lui procure sa force et interpelle. Autrement dit : sans cette photographie, Mohammed Hassan serait mort dans une plus grande indifférence encore.
C’est un drame. La mort de quiconque en montagne est un drame. Même sur le 8000 le plus meurtrier de tous.
Mais l’émotion s’est rapidement transformée en scandale par le biais des images (photos et vidéo) de la file d’alpinistes enjambant Hassan – vivant puis mort ? – afin de continuer leur chemin vers le sommet.
Non assistance à personne en danger ?
Accusée en premier lieu de ne pas avoir aidé Hassan, Kristin Harila raconte sa version des faits dans un texte écrit à froid. Son caméraman, Gabriel Torso nous a confirmé cette version. Il aurait aidé Hassan pendant près de 2h30, lui donnant son masque à oxygène, tentant de le réchauffer, de le remonter sur la trace avec l’aide d’un autre Sherpa arrivé plus tard.
Un autre témoignage provient de Wilhelm Steindl. L’Autrichien affirme quant à lui que rien n’a été fait pour aider le jeune Pakistanais, que l’appât du sommet (pour les 200 prétendants de cette journée) ou du gain (pour la recordwoman Harila) a conduit les autres alpinistes à ne pas porter secours à cet homme agonisant au sol. Steindl se base sur un rush vidéo de drone tourné par Philip Flämig… mais qui n’a pas assisté à la scène puisque il a fait demi-tour avant le Bottleneck.
Un impossible sauvetage ?
Il est assez facile et confortable de jeter l’opprobre sur les alpinistes présents ce jour là, star norvégienne en tête (la cible parfaite). Ils seraient tous de vils occidentaux uniquement intéressés par leur sommet. Ils n’ont peut-être rien fait, mais pour la majorité d’entre eux, c’est moins par mépris que par incompétence. Il faut bien se rendre compte que passé 7500m, l’hypoxie associée à la fatigue plonge les alpinistes dans un état de torpeur. La réflexion n’est plus aussi vive, voire carrément minimale, et les forces pour se mouvoir se réduisent au strict minimum.
Surtout, l’effet de groupe, amplifié par les fortes affluences à 8000m, renforce le phénomène de dilution de la responsabilité. Sans compter que chaque client considère qu’il y a toujours plus compétent que lui pour mettre en place un secours. Là-haut, la plupart évoluent bien au-delà de leur limites de compétences. Certains n’ont carrément rien à faire là et veulent cocher un sommet réservé il n’y pas si longtemps, à la crème des alpinistes.
les fortes affluences à 8000m
renforcent le phénomène
de dilution de la responsabilité
La vraie question est à poser à l’employeur de Mohammed Hassan, l’agence pakistanaise Lela Peak. Hassan aurait été envoyé en « support » à la fixing team de l’agence (HAP pakistanais dans le cas présent qui installent les cordes fixes). A-t-elle surestimé les compétences du jeune porteur ? A-t-elle agi par soucis d’économie ? Et surtout, où était le reste de l’équipe quand Hassan agonisait ? Toutes ces questions convergent probablement vers la véritable responsabilité.
Cachez ce racisme que je ne saurais voir
Côté critiques, en particulier dans l’arène des réseaux sociaux, il est trop facile de feindre la découverte du racisme en montagne en 2023. La hiérarchie occidentaux/Népalais/Pakistanais n’est malheureusement pas nouvelle.
Tous les trekkeurs ou alpinistes occidentaux au Pakistan (et ailleurs !) ont recours aux services d’agences dans lesquelles les inégalités ont la vie dure. Un HAP pakistanais gagne par exemple moins s’il va au sommet qu’un Sherpa népalais, son Summit bonus étant près de 30% inférieur. Tous les clients sont complices de ce système insupportable tant qu’ils ne réagissent pas auprès des employeurs ou qu’ils ne choisissent pas mieux leurs prestataires. S’indigner est une (bonne) une chose, mais agir est bien mieux.
S’indigner est une (bonne) une chose,
agir est bien mieux
Quant à considérer que l’on ne peut rien faire pour un pauvre homme en danger à 8200m quand on sait à peine cramponner, c’est peut-être, ironie de l’histoire, la preuve d’un reste de lucidité.
Plus proche, sous nos yeux, l’hypocrisie demeure puisque nous ne voulons pas voir ceux qui échouent depuis l’Afrique ou le Moyen-Orient aux abords du col de Montgenèvre à 1400m, ou ceux qui meurent parfois sur les sentiers de nos vacances. Et vous qui enjambez-vous ?