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À l’aventure sur la grande île de la terre de feu

Exploration en cordillère de Darwin

Canal Beagle. Toute l'équipe sur le voilier Pic' La Lune, devant les glaces de Darwin. ©Oustric/Peytavin

Émilie Oustric et Arnaud Peytavin sont originaires de Nîmes, vivent à Sallanches et pratiquent l’alpinisme depuis 5 ans. Et ? Rares sont les amateurs de courtes expériences qui s’engagent en expédition en Terre de Feu et cordillère de Darwin, à l’extrême sud des Amériques. Émilie et Arnaud rentrent tout juste des montagnes de cette cordillère si peu fréquentée où, avec leur équipe, ils ont ouvert de nouveaux itinéraires. Récit.

Existe-t-il des endroits si peu explorés dans notre monde et toujours délaissés par les Hommes ?
La Cordillère Darwin, cachée dans les terres australes, reste en cela un lieu mythique. Protégée des Hommes par son climat dantesque et des formalités administratives frontalières, cette terre sauvage a toujours été un lieu d’inconnus et d’explorations. De Fitz Roy à Shipton, et plus récemment au GMHM, le mythe d’une terre inaccessible est resté, et l’extraordinaire première traversée intégrale de la cordillère que le GMHM a su réaliser en 2011, un exploit (1).

C’est dans cette optique de découverte, d’aventure et d’exploration que nous avons embarqué le 4 octobre 2022 à bord du voilier Pic’ La Lune, depuis Ushuaia. Celui-ci allait devenir notre source de réconfort, de ripaille et de Manu Chao pour les 12 jours à venir.

Arnaud, Émilie et Sebastian au sommet du Monte Frances ©Oustric/Peytavin

cartes et topos sont des données rares et bien gardées

À bord, une équipe digne du roman du Port de la Mer de Glace. Autant à l’aise en crampons et au timon qu’en pêche d’icebergs pour les glaçons de l’apéro. Au gouvernail, Diego – navigateur et géographe de la région – épaulé par Juanpi et Joël. Côté alpinistes, notre cordée franco-argentine comprenait également Seba – guide local d’Ushuaia et fin connaisseur de la région.

Grâce à cette tribu fueguina (comprenez de Terre de Feu), nos problématiques logistiques, administratives et gastronomiques ont été facilitées. De même que l’accès aux connaissances géographiques « précises » de la région : cartes et topos sont des données rares et bien gardées.

Aucun objectif de sommet n’avait été clairement établi. Au vu des conditions climatiques lunatiques et du manque d’informations depuis le terrain, la stratégie reposait plutôt sur une liste d’idées – du plan A à Z. Les maîtres mots restants adaptabilité et exploration.

Les eaux calmes du canal Beagle… ©Oustric/Peytavin

… invitent visiblement à la réflexion ©Oustric/Peytavin

Le plan G ou X ? Arnaud, Émilie et Sebastian ©Oustric/Peytavin

L’île Gordon, en rive sud du canal Beagle

Parmi cette liste darwinienne, 3 zones avaient su retenir notre attention : l’île Gordon, le fjord de Pia et son accès au Monte Darwin, et le Monte Frances.

Profitant d’une courte et humide fenêtre météo, notre premier débarquement nous a menés dans le fjord des Tres Brazos. Le relief adouci de l’île nous a permis d’y sortir nos spatules. Même si la quantité de neige n’était pas celle espérée, nos peaux de phoques ont su trouver un passage vers l’un des sommets voisins. Fiers et humides sur la cime jamais gravie, en contact radio avec le reste de l’équipage, nous le baptiserons Monte Apéro. En l’honneur de l’activité phare des soirées au bateau.

De retour à bord, face au manque général d’enneigement de l’île, nous décidons de ne pas poursuivre cette option glisse et à la place, nous mettons les voiles.

À gauche le Monte Apéro de l’île Gordon ©Oustric/Peytavin

Absences totales de traces humaines et de sentiers

Une nouvelle traversée d’accès au mont Darwin

Une ouverture météo nous permet de débarquer hâtivement dans le fjord de Pia enserré de glaces. L’objectif principal restera modeste au vu du climat du jour : il s’agit de trouver une nouvelle route d’approche vers le mythique Monte Darwin, en joignant le glacier Romanche. Cette fois-ci, les sensations d’isolement et d’éloignement sont intenses, décuplées par l’immensité du lieu et l’absence totale de traces humaines, de sentiers, et par la difficulté des communications radios.

Depuis le rivage, rejoindre les parties neigeuses se transforme immédiatement en guérilla sylvestre, avec une mention spéciale pour les épineux Calafates. Puis, une fois sur le fil des arêtes, notre avancée se retrouve freinée par les conditions climatiques patagonnes – à base de vent cinglant et de neige. L’équipée du jour aura quand même réussi à parcourir l’ensemble d’une belle crête neigeuse vierge, continuant son travail de baptême. Du Cerro Pic’ La Lune au Cerro Mirador ainsi nommés, cette nouvelle route permet une future jonction du fjord Pia au glacier Romanche, et un accès par le sud au mont Darwin.

Les glaces du fjord Pia ©Oustric/Peytavin

Dans la traversée du Cerro Pic’La Lune au Cerro Mirador  ©Oustric/Peytavin

Descente du Cerro Mirador avec vue sur le fjord Pia ©Oustric/Peytavin

Cette tentative journalière aura également été une occasion incroyable de repérage, de production d’images et de cartographie de ce fjord pour de futures excursions. 

Malheureusement, de retour à bord, les pronostics météos se détériorent franchement, avortant ainsi tous nos espoirs de tentative sur le Monte Darwin. On remet les voiles vers une nouvelle option.

Monte Frances

Culminant à 2261m, ce sommet fait partie des cimes majeures de la Cordillère Darwin. Vaincu pour la première fois par Shipton lui-même via le glacier Holanda, 5 répétitions ont eues lieu depuis. Amarrés, voire harnachés dans la Caleta Olla, notre équipe affine sa stratégie agitant pronostics météo et boule de cristal. Une lueur d’espoir climatique nous pousse à un portage express jusqu’à la laguna Frances où nous installons un camp de base.

Le Monte Frances vu du camp de base. La voie d’ascension remonte l’arête à droite de l’image ©Oustric/Peytavin

sommet débusqué GPS et radio au poing

Deux jours plus tard, nous y entamons notre course contre la montre pour le sommet. Si le départ se fait sous les étoiles dans la liesse générale, le sommet lui virera au chaos patagonique. Dans la tempête, face et sourcils en congères, nous débusquerons finalement le sommet GPS et radio au poing.

La descente au milieu des crevasses et des accumulations de neige fraîche se fera désespérée, en bonne partie à l’aveugle et à la roulette russe. Le climat patagon a su tenir ses promesses.

Bilan d’une aventure pleine de défis

Quelques heures plus tard, en fond de cale sur une mer du retour déchaînée, le debrief de cette expédition s’impose déjà. On s’accorde à le dire, ce projet en Terra Incognita aura été une belle expédition, riche en découverte et en apprentissage.

Pas d’exploits ni de prouesses à proprement parler, non. Mais une aventure qui reste malgré tout unique et engagée. Une aventure pleine de défis que ce soit météorologiques ou géographiques, humains ou logistiques. 

En rouge les navigations, en jaune les ascensions réalisées (Monte Frances à droite, Cerro Pic’ La Lune et Mirador au nord) ©Oustric/Peytavin

  • Météorologiques bien sûr, par le climat dantesque de Patagonie et la fureur de ses éléments. Auxquels il a bien fallu faire face et s’adapter coûte que coûte.
  • Géographiques, par l’inconnu, l’isolement et l’inaccessibilité de la Cordillère Darwin. Ces paramètres ont d’ailleurs décuplé la sensation d’exposition et d’engagement tout au long de cette expédition. Nous faisant revoir bien à la baisse les difficultés techniques envisagées lors de nos tentatives et excursions en cette terre australe.
  • Humaines, car toute expédition reste avant tout une aventure qui se partage. Dans les moments difficiles et les joies du sommet. Dans les prises de décisions et les demi-tours. Dans les moments d’attentes et de frustration. Il a fallu rester une équipe.
  • Logistiques, par l’imprévisibilité foisonnante autour de toute cette expédition et qui a rendu tous les plans B jusqu’à Z encore possibles.

Et finalement, ce sont bien tous ces défis, cet isolement et cette nature brute que nous étions venus chercher à Darwin. Une terre qui a encore de nombreux secrets à révéler. Une terre d’aventure et d’exception : une terre d’exploration.

 

(1) Replonger dans l’aventure du GMHM à travers la cordillère de Darwin, par son carnet de bord de l’expé.

Le récit d’une autre expédition récente à Darwin, par Julien Ravanello.