Empoté : voici le journaliste, lorsqu’il doit choisir un athlète atypique mais symbolique – SIC. Et puis l’évidence, lorsque 4 noms sonnent une vie bien remplie. Laurie, Phaï, Pang, Castes. Oui, Laurie ce serait une Allégorie, au fronton d’un opéra run : « La Compétition ». Une gravure d’almanach, la blessure éduque. Du pingpong international aux mondiaux de trail, « LPPC » a gros à inculquer. Rdv virtuel pour un confinapéro – le temps devant soi.
Oubliez le concours de cicatrices. De Toulouse au Cambodge, Laurie est claire. Hargne, projets, humour-ponctuation. Pas le temps de s’épancher, les états d’âme, on verra après : Mrs Phaï, c’est la simplicité heureuse d’une tornade. Et ce bonus qui fait les champions ; âme d’enfant en réserve, sans doute. Et pourtant.
Chapitre 1 : la balle blanche en fait une ado haut niveau. Pongiste Internationale, Laurie Phaï écrit sa première histoire de performance. Sport individuel, pourtant le gout de l’équipe l’imprime jusqu’en 2007. Chapitre 2 : l’appel de la course est un hurlement en 2013. Sa foulée sent le cross boueux, les entrainements Kway/frontale sur un tartan dégueu, et les weekends à se déchirer – les scores suivent. Elle devient semi ET marathon, asphalte ET bitume. Chapitre 3 : elle déboule en 2016 et s’abonne aux podiums trails.
8, 32, 62…kilomètres : diversité incluse. Quadruple Reine d’Angkor (2017 à 2020), top 10 d’une Mascareignes en passant par l’Atlas (3e de l’UTAT Challenge 2016), roulez jeunesse jusqu’aux Mondiaux Trail 2019 – et en équipe. Enfin Laurie Phaï, c’est une compétitrice cumularde, amatrice de foulée barrée : grimper la Tour Eiffel ou tâter une Red Bull 400. En résumé hiphop, Laurie promène un mental d’amazone sous casquette 5 panels, alors que les blessures en auraient couché d’autres. Certains l’appellent résilience, d’autres transcendance. Une certitude, sa discrétion est à la hauteur de son engagement pour les autres, et de sa machine à rêves. Ma meilleure pote est championne de trail ?
AOUT 2013 : Au boulot, des collègues font des trails, je leur dis ok pour le Tripou Trail. 1er dossard. Azimutée.
Courir : si rébarbatif pour tant de sportifs ! Pourquoi le trail après 15 ans de balle blanche ?
Laurie Phaï Pang Castes : En 2007, je pose ma raquette internationale, pour terminer mes études et profiter de la vie « normale ». 5h d’entraînement/jour pour un sport où on naturalise des chinoises à la chaine en Europe…je ne trouve plus de motivation. Un 1er enfant en 2012, sa sœur qui arrive en 2013, mais le drame de son décès à la naissance. 3 jours de néant. 3 jours de chaos puis un appel, une urgence : sortir, courir, bouger, je ne sais pas. Tiens des baskets propres…et me voilà entrain de trotter dans l’Aveyron. J’essaie, bon dieu ça pique – j’ai toujours détesté courir, anti-ludique total. Mais là, voici que j’adore. Je vais n’importe où, avec un peu de chance je vais me perdre, de toute façon je le suis déjà. Je garde tout en moi mais j’ai l’impression que ma rage se transpire. Au boulot, des collègues font des trails, je leur dis ok pour le Tripou Trail. Aout 2013, 1er dossard. Azimutée.
Pacers ou compagnons de luxe, et sourire éternel. ©Laurie Phai
Quand tu débutes, as-tu déjà une vision du trail, ou est-ce un simple besoin de te dépenser ?
LPPC : D’urgence, je dois me faire mal. Ne penser à rien très rapidement, mais également phosphorer à bloc – paradoxe de l’endurance. Retrouver aussi un semblant de physique : même si le mental est alors à zéro, j’avais perdu beaucoup de poids et ce sport me redonne un équilibre minimum. Et puis remettre le corps en marche, organise un tantinet les idées, aussi noires soient-elles. Courir ? je n’y connais rien et franchement, la science ne me branche pas. FC max, VMA, seuil…. Je m’en fiche complet. 10 km/h, c’est bien ça non ? Chiffre rond, peu importe le terrain, j’essaye de rester à 10 ! Un jour, j’accroche un numéro, je finis 3èmeféminine du trail Ikalana… et je pars avant le podium car je ne sais même pas mon score ! Mais je suis cassée, je manque de vomir, et j’adore ça. Ma « vision » devient ceci : donner le maximum, ne surtout pas se prendre la tête, et ne surtout pas reproduire la pression ping pong – toute seule dans ton aire de jeu, la main qui tremble, implacable. Là, tu es en pleine nature, on se moque du résultat, au pire tu quittes les sentiers et tu peux même disparaître (seul l’organisateur s’inquiétera !). Des courses tous les weekends, personne ne me connaît, on court et au revoir. Le rêve et l’anti-solo pression. Alors je m’y mets, tôt le matin et à la mi-journée.
D’urgence, je dois me faire mal. Ne penser à rien très rapidement, mais également phosphorer à bloc – paradoxe de l’endurance.
On est frappés par la diversité de tes expériences de courses : KV, escalier, semi, marathon, cross, trail, mondial,…
LPPC : Chaque course est une surprise, basta la lassitude. J’ai tellement envie de profiter de la vie, qui file littéralement. Peu importe le format, à chaque fois c’est une pointe d’adrénaline mais avec l’expérience, on ne filtre que le meilleur. J’accroche peu de dossard depuis que je fais de la route, du coup m’aligner sur une course m’excite, voire me fait un peu trembler. Mais après le top départ, trois foulées et ça n’est que du bonheur. Après, pour passer directement du court à un 42 ou 62Km (2016), je ne connais rien de la recette. Je crois qu’il ne faut pas se poser de questions… J’ai envie, je m’inscris et je me prépare. Le corps est capable de tellement de choses, prépare le bien physiquement et le mental suivra en général. Pas d’accord ?
Le corps est capable de tellement de choses, prépare le bien physiquement et le mental suivra en général. Pas d’accord ?
On connait ton approche de la nutrition (ambassadrice Meltonic). Le trail t’incite-t-il à t’en soucier, par rapport à ton passé pongiste ?
LPPC : C’est vrai, la nutrition n’était pas primordiale lorsque j’évoluais en Équipe de France. Jeune..et chanceuse, je mangeais correctement et le corps tenait. Mais en running, j’ai découvert les points de côté, fringales, hypo, etc. Tu l’as dit : je n’avais aucun plan, sauf tout découvrir. Trail, court, long, cross, route. Du coup j’ai tout testé ; du gel tutti frutti à la boisson du petit chimiste. L’endurance est par définition une pratique qui décuple l’importance de la nutrition (impacts, durée, acidification). La découverte de cette marque mellifère a été un vrai cap, tant sur la durée que sur le mieux-être. Bio, sans gluten, centré sur la digestibilité ; des clefs évidentes et qui me vont bien. Cette approche devrait s’appliquer à tous les sports. Sans parler du quotidien…
Sélection Cambodgienne historique, Mondiaux de Trail 2019. ©Laurie Phai
La blessure accompagne ta vie – histoire paternelle, vie de femme. Ton parcours sportif réussi est un message : se ‘constituer’ de ses blessures ?
LPPC : Rien d’extraordinaire : la vie de chacun amène son lot de bobos, mais aussi de bonheurs. Mon père a subi les Khmers Rouges, prisonnier, fuite, famille assassinée… Réfugié en France en 1978, il rencontre ma mère et entre 1981 et 1986, nous voyons le jour avec ma sœur et mon frère. A mon tour, il arrive cet événement en 2013 mais finalement tu découvres qu’aujourd’hui tout le monde galère à avoir des enfants… Or, j’en ai déjà un, il va bien, et puis moi aussi je suis sauve – car on s’apercevra que la poche était infectée, que j’ai frôlé la mort par septicémie…Tu gamberges, tu es forcé à relativiser, oui, j’ose le dire. Finalement le corps a bien fait son boulot, en étant forcé d’« expulser » le corps malade. Puis je retrouve un équilibre avec le sport, qui a toujours fait partie de ma vie, je rencontre Ludo, il me fait courir au Cambodge, etc. Et regarde tous les projets qui ont suivi…
Mon père a subi les Khmers Rouges, prisonnier, fuite, famille assassinée… Réfugié en France en 1978.
Formée à un autre sport, quelles sont tes sensations quand tu cours ?
LPPC : Du pingpong au trail, il n’y a qu’un pas ! Pour le cross, je n’avais pas commencé pour performer…mais aujourd’hui je suis mordue. Ce sport est dingue, et parfois décrié : j’aurais envie de donner envie aux plus jeunes. Je n’ai commencé qu’en 2018 mais j’étais heureuse de me qualifier aux championnats de France. Et puis je sais pas mal poser le cerveau et y aller avec le goût du sang dans la bouche. Et quand je vois à quel point ça fait progresser. Pour le trail, ça dépend du format : sur du court, je ne profite pas beaucoup, j’ai envie de jouer les premières places, car je suis plutôt faite pour. Et j’ai toujours la banane ! Je garde toujours en tête que ça peut s’arrêter du jour au lendemain, et je veux sourire un maximum à ces moments-là. Pour le long c’est différent : je suis novice et j’ai toujours peur d’exploser, alors je prends le temps de m’arrêter sur les ravitos, de papoter. Et c’est pour ça que j’aime toucher à tout, ça tue tout ennui.
Il y a donc cette rencontre avec un certain Ludo Collet*. Que se passe-t-il ?
LPPC : Mai 2016 c’est le Festa Trail, et j’y suis-je en mode touriste comme toujours. Car j’ai décidé de passer mon DEJEPS en tennis de table ! Je m’aligne sur le 18km nocturne, découverte. Et je termine 3ème féminine. Ludo m’accueille et on accroche de suite, il me pose pas mal de questions sur mon parcours et très rapidement via Messenger, on échange sur l’intégration du groupe d’athlètes qu’il coache**. On tente la préparation du Mad Trail 62km (je n’en ai jamais couru 30 !) et…je gagne cette course en étant hyper bien. La victoire est anecdotique : je découvre surtout la sensation d’être bien préparée, et ça, ça fait sens. Je me sens mieux, Ludo est protecteur, il va m’aider à trouver des courses sympas à faire, sans trop gamberger. ll comprend mon cheminement, ne me met jamais la pression, et il me parle du trail d’Angkor de janvier 2017 : la course qui va changer ma vie.
j’ai trop côtoyé le haut niveau, où le dopage m’a écœurée (…). En revanche, j’ai rencontré des femmes exceptionnelles qui ont eu des parcours de vie bien plus difficiles.
Quels sont tes modèles d’athlètes féminines, et pourquoi ?
LPPC : Question complexe : j’ai trop côtoyé le haut niveau, où le dopage m’a écœurée. Alors je ne citerai pas de modèles d’athlètes de ce milieu. Trop de désillusions à l’INSEP, et quand je vois certaines « championnes » qui se font attraper et qui reviennent… sachant que la mémoire musculaire prouve à vie que tu es dopée, mais ça c’est un autre sujet – no comment. En revanche, j’ai rencontré des femmes exceptionnelles qui ont eu des parcours de vie bien plus difficiles que le mien, et qui ont réussi des exploits. Anaïs Quemener et Emmanuelle Mayeur qui ont vaincu le cancer, s’alignent sur des ultras, ou réussissent des chronos dingues. Avec bien plus d’humilité que beaucoup d’instagrameuses…Ces filles, j’y pense quand je suis en course ou dans le dur. Elles m’ont plusieurs fois aidé à puiser, ne rien lâcher. Honnêtement, je les en remercie.
Ultra Trail d’Angkor, 4 couronnes. ©Laurie Phai
Angkor, 2020 : record et 4e victoire. On te voit transformée, visiblement épanouie par rapport aux victoires précédentes. Que s’est-il passé ?
LPPC : Oui, je me sens bien grâce aux 3 premières courses. Car la première fois, je me sens portée en accélérant au km 20, et en sentant les jambes répondre. Car la deuxième fois, je confirme par un bon chrono sur le 16K. Car en 2019, je gagne le 32K avec 14 minutes de mieux que ma 1ère victoire, alors que j’ai passé la semaine à m’occuper de Ludo à l’hosto. Et je me sens bien car on a l’autorisation de tourner des images dans ces monuments historiques classés à l’UNESCO pour ce documentaire fou ! En fait, chaque année je me sens en meilleure forme et je relativise énormément, je me dis que même si je ne gagne pas, c’est simplement que beaucoup sont meilleures que moi. Et que la vie continue…
Le Cambodge fait partie des pays qui n’ont aucun athlète validé pour les minimas internationaux. Aujourd’hui, je reste bien placée.
L’ultra ou le très long, le projet off, y penses-tu pour l’avenir ?
LPPC : Figure-toi que oui : cette année, je voulais découvrir le 100km, et m’étais inscrite à la CCC. Oups ! Sachant qu’ensuite, j’avais le marathon des JO début août, et donc ce 100K aurait été sans grosse prépa. Aventure…Mais comme toujours, on se serait débrouillé(e) pour trouver quelques ressources, positivons….! Le foncier aurait été là mais pas le dénivelé. Côté ‘off’, pas de projet, je ne me sens pas les épaules pour organiser ça mais pourquoi faire un ultra en ex-Indochine un jour ?
2020, c’est ton projet de marathon Olympique : tu visais Berlin sous les 3h. Ce fut Valence en 3h10, surmontant la blessure et heureuse. Covid oblige, où en es-tu ?
LPPC : Le Cambodge fait partie des pays qui n’ont aucun athlète validé pour les minimas internationaux. La clause d’universalité autorise l’inscription de deux athlètes. Aujourd’hui, je reste bien placée, car je passe le meilleur chrono en marathon. Mais ils peuvent prendre une coureuse de 100m ou de 800 ! C’est du lobbying… Le deal de battre le record de 2h59 n’était pas obligatoire, mais en même temps il faut avoir un chrono officiel correct, car c’est le comité olympique international qui valide la proposition du comité olympique national. Les inscriptions devaient être entérinées fin mai 2020, puis Covid a foutu le bordel. Mais je reste en contact avec le comité olympique cambodgien, le président m’a dit qu’ils allaient œuvrer pour m’inscrire. JO et Cambodge, 2 causes à te faire déplacer des montagnes.
Ludovic Collet, coach et bien plus. ©Bouba-LaRéunion
Pongiste jusqu’en 2016 , entends-tu encore en tête le tictac de la balle en courant ?
LPPC : J’ai arrêté l’équipe de France en 2007 mais en effet, j’ai continué en championnats par équipe avec Nîmes, j’ai coaché l’équipe féminine Suisse aux championnats d’Europe et aux Mondiaux en 2014. J’ai même fait une rencontre en 2ème D en novembre 2019 ! Mais non, le ti-coti-coti de la baballe (et tout le reste), je n’y pense plus du tout. Cela dit, toujours ma licence pour dépanner, et ça me fait surtout plaisir de revoir les copines…car je n’ai plus trop de repères raquette en main !
mon rêve actuel est très concret : détecter deux jeunes cambodgiens (garçon et fille) pour les PROCHAINS mondiaux de trail.
Le rêve sportif ultime, quel serait-il ?
LPPC : On pourrait penser JO 2020, mais finalement je ne crois pas en avoir : j’ai participé à de grands événements mais les meilleurs souvenirs, restent ceux qui sont partagés. Alors j’ai bien des envies, comme faire des courses mythiques et découvrir certains endroits, mais on va dire que mon rêve actuel est un projet très concret ; celui de détecter deux jeunes « 100% » cambodgiens (un garçon et une fille) pour les mondiaux de trail en 2021. C’est pourquoi je devais y retourner en mai 2020, afin d’organiser un stage gratuit. Histoire d’identifier des jeunes à entraîner, et de les aider à découvrir ce genre d’événements…qui fait briller les yeux et battre le cœur.
Développer le trail au Cambodge : possible ?
LPPC : Parfaitement…et motivant. Ainsi en mai 2020, je devais intervenir une semaine dans l’école Happy Chandara School qui scolarise 1300 jeunes filles défavorisées : une cinquantaine préparant le 10km de Phnom Penh, qui devait se tenir en juin. On organisait également 3 jours de stage dans la région de Kirirom pour une dizaine de trailers cambodgiens dans le but de détecter des futurs pépites. Je sens que mon corps ne tiendra pas longtemps à s’entraîner à ce rythme intense, et je me sens beaucoup plus enjouée à l’idée de développer ce sport là-bas. D’où la création en janvier 2020 de notre association Trail Sans Frontières, avec Abdo Kemmissa.
Mon corps ne tiendra pas longtemps à s’entraîner à ce rythme, et je me sens beaucoup plus enjouée à l’idée de développer le trail au Cambodge.
Rumeur ou vérité : ce grand projet d’un film en tournage sur ton/tes histoire(s) ?
LPPC : Discrétion oblige, Covid en prime qui rebat sans cesse les cartes. Mais évidemment un projet documentaire extrêmement motivant. Impliquant, aussi. Disons que la chose parlera d’histoires de vies entrecroisées, de famille, et de rencontres. Cinéma, festivals, télévision…là aussi très ouvert et ça se précise. Fin 2020, c’était l’azimut, quelques décalages…mais j’en dirai plus dès que possible !
* Ludovic Collet, figure emblématique du trail : speaker et animateur historique de l’UTMB (et autres), mais également coach de Laurie Phaï, Abderrahim Kemmissa, Sabrina Laudes, et de la sélection Cambodgienne lors des Mondiaux de Trail 2019.